Extrait d’un article d’Anne Bernet dans France catholique :
L’enthousiasme des historiens laïcs à l’égard de la Renaissance devrait éveiller chez les catholiques une certaine méfiance, tout comme, d’ailleurs, cette appellation de Renaissance, tardivement apparue sous la plume de l’historien et peintre Giorgio Vasari (1511-1574), dans un strict contexte artistique de retour aux techniques des maîtres antiques, mais dévoyée par la suite.
S’il y eut renaissance, il faut bien, en effet, qu’il y ait eu mort et qu’un printemps prometteur ait succédé à un trop long hiver, « arrachement au tombeau de la nuit médiévale » (Daniel-Rops). Autrement dit, une rupture assumée et définitive avec ce Moyen Âge qui vit naître et grandir la chrétienté, univers mental, politique et social où tout tournait autour de Dieu.
Malgré ses splendides réalisations, ses génies, ses chefs-d’œuvre, la Renaissance aura donc été d’abord un changement de paradigme qui imposa la primauté de l’homme sur son Créateur.
Tout cela ne s’est pas fait en un jour, n’en déplaise aux simplificateurs et la crise polymorphe qui aboutit, au XIVe siècle en Italie, au XVe siècle en France, à cette véritable révolution intellectuelle et morale vient de loin.
Peste, guerres et crises
Faut-il l’attribuer à la peste noire qui, en cinq ans (1347-1352), tue entre 30 et 60 % de la population européenne et provoque un vide démographique impossible à combler, brisant ainsi l’élan vital ? À la guerre de Cent Ans ? À une crise de l’autorité qui atteint les gouvernements laïcs mais davantage encore le pouvoir spirituel avec le Grand Schisme d’Occident et une papauté éloignée de Rome prêtant le dos aux scandales en tous genres ? À une rupture d’unité encore inédite dans le tissu chrétien avec les précurseurs du protestantisme, Wiclef en Angleterre, Huss en Europe centrale, puis la perte pourtant annoncée de l’empire byzantin à laquelle les princes chrétiens ne sauront rien opposer d’efficace en temps utile ? À une rupture dans les façons d’être, prévisible dès le XIIIe siècle, avec le monde féodal, le modèle chevaleresque dépassé par une vision plus pragmatique des affaires de ce temps, se laissant subvertir par une morale de commerçants et grands bourgeois incarnée par les banquiers lombards et les marchands toscans ? À l’émergence des États-Nations qui feront passer leurs intérêts propres avant ceux de la chrétienté et refuseront la tutelle du pape ? Ou plutôt à tout cela en même temps… […]