Le père Ian Justyn est le prieur du monastère cistercien de Vissy Brod en Tchéquie. Il raconte dans la lettre de Paix Liturgique :
La fondation de notre abbaye remonte au 13ème siècle où elle naquit de la volonté du seigneur local, dont l’épouse souhaita qu’il la confiât à des moines cisterciens. Cette fondation qui débuta en 1259 se fit dans un désert boisé au bord de la Vitava. A l’époque, la région n’était guère peuplée et la ville actuelle de Vyssy Brod se constitua au cours des siècles en appendice de l’abbaye. A partir de là les événements furent rapides et l’abbatiale actuelle fut édifiée en 1270. Sa voûte résonne encore des voix des milliers de moines qui y vécurent leur vocation cistercienne.
La situation se détériora pendant la guerre de Trente Ans, ce qui n’empêcha pas les moines de transformer leur abbaye dans un style baroque exubérant mais surtout de mettre en application les principes de réforme de la vie religieuse selon les directives du Concile de Trente avec notamment un encouragement à la vie intellectuelle, ce qui eut pour effet la création de la célèbre bibliothèque du monastère qui existe encore aujourd’hui.
La première grande épreuve de l’abbaye fut une conséquence du Joséphisme (la politique religieuse de Joseph II d’Autriche inspirée des Lumières) qui visait, avant votre Révolution, à la confiscation du patrimoine religieux et à la suppression de la vie contemplative jugée inutile. En 1786, l’abbé Hermann Kuntz fut démis de ses fonctions, l’abbaye eut interdiction de recevoir des novices et ses biens mis sous séquestre. Cependant en 1790, à la mort de l’empereur Joseph II, toutes ces mesures furent révoquées et l’abbaye pu retrouver sa vie antérieure. […]
Le 19ème siècle fut une période de renouveau sous l’abbatiat de Léopold Wackar, également Abbé général de l’ordre de Cîteaux. Cependant, la première guerre mondiale provoqua de nouvelles épreuves pour l’abbaye. Celle-ci fut quasiment ruinée par l’effort de guerre et la perte de ses terres agricoles. De plus, les nouvelles autorités de la toute nouvelle Tchécoslovaquie regardèrent les congrégations catholiques avec méfiance. C’est pour concilier celles-ci qu’une congrégation cistercienne entièrement tchèque et séparée de celle d’Autriche fut constituée en 1923 sous le vocable du très pur cœur de Marie.
L’heure de la grande épreuve était arrivée ?
En effet l’abbaye va se trouver plongée dans la tourmente des événements menant à la Seconde Guerre mondiale. Le président tchécoslovaque Edvard Beneš visite Vyšší Brod en 1937. Mais en 1938, aux termes des accords de Munich, les Sudètes, dont Vyšší Brod (en allemand Hohenfurth) fait partie, sont occupées par l’Allemagne. En 1941, l’abbaye est dissoute sur ordre des autorités occupantes, les moines les plus jeunes sont envoyés sur le Front de l’Est et les plus âgés doivent trouver refuge dans les paroisses environnantes. A la libération, la vie religieuse est brièvement rétablie à l’abbaye entre 1946 et 1949, mais seulement avec les religieux de langue tchèque survivants, les religieux de langue allemande ayant été expulsés du pays. En 1950, les autorités communistes tchécoslovaques exproprient les derniers moines restant. Ceux qui le peuvent quittent alors le pays pour rejoindre les abbayes situées en Autriche et en Bavière, ce qui veut dire qu’à ce moment l’abbaye n’existe plus et son patrimoine est dispersé dans les musées et bibliothèques de Tchécoslovaquie. […]
Après la Révolution de Velours, qui voit disparaître le régime communiste de Tchécoslovaquie, les lois antireligieuses sont supprimées et le 17 janvier 1990 les ordres monastiques sont de nouveaux autorisés. […] En mars 1991, deux des six moines survivants reviennent à l’abbaye. C’est là que je les rejoins et dans les décennies qui suivent l’abbaye est progressivement restaurée, et de jeunes moines accueillis et formés. […]
Pendant l’ère communiste l’abbaye est tombée en ruines, l’église abbatiale transformée en musée et notre bibliothèque de 70.000 volumes spoliés fut transférée à Prague, ce qui lui permis néanmoins d’être sauvée ainsi qu’une vénérable relique de la Vraie Croix enchâssée dans un reliquaire cruciforme byzantin. A leur arrivé, les moines ont récupéré les bâtiments dans un état lamentable mais ont pu récupérer les œuvres d’art et le fond de livres spoliés en 1950. Depuis notre arrivée nous avons entrepris, lentement, car cela est très lourd et onéreux, de restaurer les bâtiments qui servent à la renaissance de notre communauté. Mais une bonne moitié des bâtiments restent en ruines, dont l’ancienne brasserie et des étables que nous restaurerons au fils du temps car nous avons de nombreux projets. […] Actuellement nous effectuons le ravalement d’un bâtiment déjà restauré à l’intérieur. Il accueille la cantine et des chambres pour les ouvriers qui travaillent à l’abbaye ou pour des hôtes de passage mais, dès que nous le pourrons, nous souhaitons mettre en place des formations pour les servants de messe et pouvoir accueillir des fidèles pour des retraites spirituelles.
Au cours de cette renaissance quelle liturgie utilisiez-vous dans votre abbaye ?
Nous étions attachés aux racines de notre ordre et à sa liturgie antique, mais dans le contexte que je viens de vous présenter le seul fait de pouvoir revivre nous semblait déjà un miracle et nous avons dans un premier temps était obligés d’utiliser ce qui était le plus près de nos vœux c’est-à-dire le Nouvel Ordo Missæ en latin et grégorien.
Quand êtes-vous revenu à la messe traditionnelle ?
Comme je viens de le laisser entendre nous désirions profondément revenir à notre antique liturgie. Aussi, dès la publication du motu proprio Summorum Pontificum en 2007 sommes-nous revenus, non seulement à la célébration de la messe selon l’usus antiquior, mais aussi à la reprise de toute la liturgie cistercienne telle qu’elle avait été fixée en 1956. Ceci pour revenir aux racines de l’ancien rite cistercien, mais aussi parce que les bâtiments du monastère et l’ancien rite vont de pair. J’ajouterais aussi que le rite tridentin est le plus digne pour honorer Dieu et nous avons à cœur de le faire comme nos frères l’ont fait pendant plus de sept siècles, mais cela réjouit aussi le cœur des fidèles. […]
L’abbaye compte actuellement 6 moines et 3 novices. Nous accueillons désormais une à deux vocations par an mais la vie monastique cistercienne est très exigeante et la formation de nos moines assez longue (1 année de postulat, puis une année de noviciat et 3 années de profession simple avant de pouvoir prononcer des vœux solennels). C’est long et difficile et beaucoup nous quittent avant la fin de ce cycle mais cela est une garantie de stabilité pour notre avenir cistercien. […]