D’Olivier Pichon, historien, pour le Salon beige:
Huntington contre Fukuyama ?Les choses sont plus compliquées mais le discours de Vladimir Poutine à l’occasion de l’annexion des 4 régions orientales de l’Ukraine a été moins géopolitique que culturel, sa violente diatribe contre l’Occident est d’ordre civilisationnel.
La question est: Qu’est- ce que l’Occident ? Le mot est équivoque car, dans son extension maximale, il désigne aussi la Russie et les USA, deux pays de “Manifest Destiny”, calviniste pour les USA, avec la première formulation de John O ’Sullivan en 1845, et, orthodoxe et slavophile, pour la Russie. Moscou serait la troisième Rome après l’effacement de Constantinople. Tout cela issu de la matrice chrétienne.
Au milieu, l’Europe, entre ces deux messianismes, dans ses institutions, refuse ses racines chrétiennes, et se divise entre l’Est et l’Ouest, entre illibéralisme et libertarisme. L’Est refuse la culture LGBT, woke, et autres forgeries idéologiques des USA, mais ne rêve que de la protection militaire de ces derniers. L’Europe occidentale entre ces deux messianismes penche plutôt du côté atlantique comme résidu de la guerre froide, mais ne sait plus où elle est et ne s’aime plus, ne se connaît plus.
L’Antiquité nous fournit, en la matière, d’abondantes réflexions. Thucydide l’historien grec sur la guerre du Péloponnèse, a vécu l’affrontement entre Athènes et Sparte. Selon lui, cette guerre du Péloponnèse (431) signifie la fin d’une civilisation. Comme celle de 1914-1918, scellant la chute de la civilisation européenne. Il faut lire aussi L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain rédigée par l’historien britannique Edward Gibbon (XVIIIe siècle). Les analogies sont flagrantes. Esclaves barbares remplaçant la plèbe, celle-ci gratifiée du pain et des jeux, traduisez ubérisation, football, télévision et RSA, enrôlement des envahisseurs dans les armées, incertitudes sur le Limes et impuissance de l’espace Schengen, la déclinaison est longue…
Pour l’heure, la Russie a choisi, poussée largement par l’Etat profond américain, le camp des puissances montantes et rejoint donc le camp anti-occidental. Celui-ci ne représente pas une adhésion idéologique commune.Qu’y- a-t-il de commun entre la Russie, l’Inde ,l’Iran et la Chine, hormis le rejet de l’Occident ? Mais cette adhésion se fait en termes de rapports de force. Ils s’expriment par la montée en puissance (les BRICS et d’autres qui s’y agrègeront fatalement), par le rejet de la mondialisation en ce qu’elle est américaine. L’histoire est déjà écrite en termes de puissance économique. Les BRICS pèsent 45 % de la population de la planète, près du quart de sa richesse et les deux tiers de sa croissance.
Mais une guerre peut en cacher une autre, et l’on peut s’interroger sur l’acharnement de l’Etat profond américain à combattre la Russie. C’est, potentiellement, le piège de Thucydide qui est pourtant pertinent. Ce concept polémologique théorisé par Graham Allison (2010) fait encore référence à la Guerre du Péloponnèse, Sparte contre Athènes, causée, selon lui, par la perception de la montée en puissance de la cité-État rivale. Dans cette guerre, l’île de Melos qui voulut rester neutre fut anéantie par Athènes – une leçon à retenir ?
Allison considère que les États-Unis et la Chine, du fait du développement de cette dernière, sont engagés dans une pente presque inéluctable qui les mènera à se mesurer militairement. Que fera alors la Russie? (La Chine et l’Amérique dans le piège de Thucydide 2019)