Extrait de l’intervention du Cardinal Robert Sarah lors de la troisième conférence internationale du clergé à Rome, prononcée le 15 janvier 2025 et publiée intégralement en anglais par The Catholic Herald :
[…] Les rites liturgiques que nous célébrons doivent être exactement ce qu’ils sont censés être, et rien d’autre.
Permettez-moi de vous donner un exemple courant. Où, dans les rubriques de la concélébration, est-il prévu que les prêtres ou les évêques concélébrants sortent leur téléphone et prennent des photos ? Je suis continuellement étonné et profondément scandalisé par ce manque total d’intégrité de la part d’hommes investis de l’œuvre unique du Christ, qu’ils sont les seuls à pouvoir accomplir, se comportant comme des touristes adolescents de passage au milieu de la Sainte Liturgie ! Il n’y a pas de place pour cela dans la Sainte Liturgie. Un prêtre ou un évêque qui se comporte ainsi doit faire son examen de conscience et chercher à renouveler profondément la nature et le sens de la liturgie. Il doit réfléchir et examiner s’il croit vraiment à la présence de Jésus dans la célébration eucharistique.
On pourrait sans doute citer beaucoup d’autres exemples ; mais c’est le principe qui est important : les rites liturgiques que nous célébrons doivent être exactement ce qu’ils sont censés être, et rien d’autre. C’est là que réside leur beauté. La soi-disant créativité ou même l’inculturation qui transforme la Sainte Liturgie en une réunion religieuse ou un spectacle culturel n’a rien à voir avec l’adoration de Dieu, le Tout-Puissant, que nous avons promis de célébrer fidèlement le jour de notre ordination ! Nous sommes les serviteurs, et non les maîtres, de la Sainte Liturgie ! Même les évêques n’en sont que les gardiens et les protecteurs, et non les propriétaires.
Ce principe implique, bien sûr, que nous soyons fidèles aux livres liturgiques tels qu’ils nous sont donnés par l’autorité légitime. Nous en reparlerons évoquant plus tard l’ars celebrandi. Il est vrai que les livres liturgiques réformés contiennent des options, mais il est possible, parfois au moyen de ces options, de transformer entièrement le cadre liturgique ou la configuration de telle célébration liturgique.
Je voudrais ici lancer un appel à cette herméneutique de la réforme dans la continuité dont a parlé le Pape Benoît XVI (Discours, 22 décembre 2005). C’est une opinion personnelle, mais il me semble que les livres liturgiques réformés ont désespérément besoin de cette continuité avec la tradition liturgique, que les Pères du Concile Vatican II ont cherché à réformer, s’ils veulent être vrais, beaux et bons, et ainsi faire de leur mieux pour la sanctification et l’édification du Peuple saint de Dieu. D’autres peuvent ne pas être d’accord. Mais selon ma lecture du Concile, c’est ce que celui-ci voulait : une réforme dans la continuité, et non en rupture avec le passé.
Cela soulève deux questions connexes, et si j’en dis trop, je risque de m’attirer des ennuis, je serai donc bref. Mais il faut dire quelque chose.
Tout d’abord, la question apparemment dépassée de la « réforme de la réforme liturgique postconciliaire », selon laquelle les livres liturgiques modernes devraient être révisés en vue de les enrichir d’éléments qui ont été perdus lors de la réforme elle-même. Cela n’est plus du tout à la mode actuellement auprès des autorités, mais la motivation et le raisonnement qui sous-tendent de telles mesures n’ont rien perdu de leur validité. Il ne m’appartient pas de dire quand le Seigneur, dans sa Providence, permettra que cette question soit à nouveau sérieusement prise en considération, mais il se peut que certains de nos jeunes frères prêtres ici présents vivent assez longtemps pour voir les livres liturgiques réformés rendus encore plus beaux. À ce sujet, je pense souvent au missel de l’Ordinariat des anciens anglicans et aux richesses qu’il contient comme un exemple de ce qui pourrait être possible de réaliser.
La deuxième question est celle de la célébration des rites liturgiques préconciliaires, l’usus antiquior du rite romain. J’ai déjà dit, en particulier à la lumière des fruits évidents que ces rites ont produits au cours des dernières décennies, que
Malgré des attitudes cléricales intransigeantes d’opposition à la vénérable liturgie grégorienne latine, attitudes typiques du cléricalisme que le pape François a dénoncé à plusieurs reprises, une nouvelle génération de jeunes a émergé au cœur de l’Église. Cette génération est celle des jeunes familles, qui démontrent que cette liturgie a un avenir parce qu’elle a un passé, une histoire de sainteté et de beauté qui ne peut être effacée ou abolie du jour au lendemain. (Twitter, 8 juillet 2021)
Je le maintiens. Et bien que je comprenne qu’à l’heure actuelle, de nombreux prêtres se trouvent dans une position très difficile en ce qui concerne l’usus antiquior, je vous encourage à ne jamais oublier ou nier la profonde vérité enseignée par le pape Benoît XVI :
Ce que les générations précédentes considéraient comme sacré reste sacré et grand pour nous aussi, et ne peut être tout à coup entièrement interdit ou même considéré comme nuisible. Il nous appartient à tous de préserver les richesses qui se sont développées dans la foi et la prière de l’Église, et de leur donner la place qui leur revient. (Lettre aux évêques, 7 juillet 2007)
J’en ai dit assez, peut-être trop ou même trop maladroitement au goût de certains : du moins je n’ai pas parlé de la beauté et de la valeur pastorale de la pratique légitime de célébrer la liturgie moderne ad orientem !
En gardant à l’esprit le principe de l’intégrité liturgique comme une composante essentielle de la beauté liturgique (et de la vérité et de la bonté liturgiques), passons à l’examen de quelques applications pratiques de ce principe. […]