Claude Valleix, préfet honoraire, estime dans Valeurs actuelles, que l'UE n'en a plus pour longtemps :
"ce modèle institutionnel hybride ne fonctionne pas. Ni fédéral, ni unitaire, il parie sur le rapprochement des populations pour évoluer vers une intégration progressive, grâce à l’usure du temps. Croire à un affaiblissement progressif des résistances souveraines pour qu’émerge, comme la Vénus anadyomène, une Europe suffisamment intégrée pour disposer de tous les attributs d’une puissance étatique est la principale erreur de ses architectes. […] Celle de l’euro en est la parfaite illustration. En abandonnant leur pouvoir monétaire à la BCE sans donner à l’Union les moyens de contrôle coercitifs de leurs politiques budgétaires, les États membres ont pris un risque inouï. Pour soutenir leurs économies menacées et maintenir le niveau des prestations publiques, ils ont dû creuser les déficits et alourdir leurs dettes. Les États les plus faibles sont aujourd’hui en situation de faillite, cas de figure inédit dont ils ne peuvent s’extraire qu’en sortant de la zone euro à moins de bénéficier de la solidarité des États membres.
La solidarité européenne a, par ailleurs, les limites que peuvent supporter l’Allemagne et la France […]. Si les marchés se dérobent […], le Fonds européen de stabilisation monétaire sera inopérant avant d’avoir été installé. C’est dire l’inadaptation des mécanismes de la gestion de la monnaie unique qui exige une politique budgétaire de type fédéral, sans quoi les dettes des uns devront être financées par les impôts des autres. La zone euro est en sursis. Seule une forte et rapide croissance pourrait la tirer de ce cauchemar dont le romantisme de la construction européenne est largement responsable. […]
Tirons au moins de l’accident des conclusions utiles. L’efficacité d’un système institutionnel se mesure à sa capacité à affronter les crises, faute de quoi il faut improviser en permanence […]. Soit les États sont prêts à s’arrimer dans une Europe fédérale : alors il faut relancer un projet de Constitution européenne pour la mettre en place ; soit ils ne le sont pas – ce qui est une évidence : alors quel est l’intérêt du mécanisme européen de stabilité, simple système à écoper, qui ne résout pas les problèmes de fond d’une Europe qui prend l’eau à la première pluie ? L’intégration ne se fera pas à 27, et encore moins à 33. Toutes les tentatives pour donner une âme au Marché commun fondateur ont échoué, car le cadre en a été élargi avant sa consolidation. L’Europe est avant tout une aventure franco-allemande. Il faudra un jour ou l’autre donner à ce couple les moyens de son épanouissement, auquel finira par adhérer sa parentèle périphérique. Cette évolution ne se fera pas sans crise institutionnelle, puisque l’Union s’est ficelée dans le traité de Lisbonne de telle sorte qu’il est plus facile d’en sortir que de le modifier. Il va falloir se résoudre à affronter la réalité, peut-être plus vite qu’on ne le pense."
Noe
Le petit jeu consistant à laisser entendre qu’une sortie de l’euro serait inévitable fait partie de la stratégie de l’UE pour faire avancer l’Europe fédérale en brandissant le spectre de la désintégration économique et institutionnelle, si d’ultimes abandons de souveraineté ne sont pas consentis par les gouvernements nationaux. Réfléchissez un peu: ce sont les banques qui ont créé la zone euro en finançant les Etats membres constamment déficitaires, pour leur plus grand profit, et ce sont maintenant les mêmes banques qui crient au loup sous prétexte que l’endettement est devenue insupportable (un scénario bien connu depuis la crise des subprimes), ce qui condamnerait la monnaie unique victime des tragiques conséquences économiques du surendettement. Autrement dit ce sont les mêmes acteurs qui financent d’un côté les émissions obligataires de la zone euro et qui spéculeraient d’un autre côté contre ces mêmes émissions, parce que le risque crédit des Etats membres serait devenu insupportable. Cela ne tient pas debout, pour la simple raison que les banques n’ont aucun intérêt à provoquer leur nationalisation en coupant les vivres aux Etats déficitaires. Elles ne font en fait que se garantir contre le risque crédit en en faisant monter les spreads des CDS (elles engrangent les primes de risque), sachant très bien qu’elles peuvent compter sur la BCE pour maintenir la valeur des titres par des opérations de rachat massif. Les institutions financières ont donc tout intérêt à l’extension des prérogatives de la BCE qui accepte de racheter des obligations dégradées en violation de ses statuts originaux, pour se rapprocher du modèle économique de la FED, c’est-à-dire en garantissant les banques contre le risque souverain par la création illimité de monnaie. Deuxième victoire des banques: elles ont obtenu la mutualisation des dettes nationales par la création d’un fond d’émission européen garanti par les principaux Etats membres au détriment du contribuable. Troisième victoire des banques: la création d’un gouvernement économique européen qui interdit aux Etats membres de la zone euro de s’affranchir des règles de la gouvernance européenne, c’est-à-dire qui les rend totalement prisonniers des plans de remboursement déterminées par les banques et les créditeurs internationaux comme le FMI. Donc tout se passe comme si les cris d’orfraie poussés par les analystes, ne servaient qu’à enfermer davantage les Etats nationaux dans le processus d’intégration budgétaire qui était l’ultime pièce pour sauvegarder la main mise des banques sur l’administration européenne des vassaux nationaux condamnés à rembourser infiniment leurs dettes. Le message est clair: ou vous reconnaissez que les banques sont indispensables au fonctionnement de l’économie, ou vous disparaissez dans le trou noir de la dette. Ce n’est donc pas l’euro qui est menacé de disparition, mais l’idée même d’indépendance par rapport aux banques d’investissement qui ont réussi une fois de plus à gagner la complicité des politiques pour conserver leurs privilèges de création monétaire.