Dans L'Homme Nouveau, Thibaud Collin critique le pamphlet d’Erwan Le Morhedec. Extrait :
"Passons sur les erreurs factuelles (le « spécialiste de Clovis » que serait « Henri Rouche », ou encore le général Cambronne renommé Camerone !) et les approximations et les contresens, malheureusement habituels dans ce genre littéraire, sur le paganisme de Maurras ou encore son « politique d’abord ».
Erwan Le Morhedec s’interroge : « Quel ressort peut inciter quelqu’un qui ne pratique ni régulièrement ni même occasionnellement à s’affirmer catholique quand on ne le retrouve qu’aux Rameaux pour le renouvellement de son buis ? ». Notre blogueur, qui manifestement a accès au for interne de certains de ses compatriotes, condamne ce qui lui apparaît être une instrumentalisation malhonnête de la foi chrétienne. Et il considère qu’il est de son devoir, d’une part, de dénoncer les fidèles qui acceptent avec complaisance, voire machiavélisme, cette réduction de la foi et, d’autre part, de mettre en garde les autres, naïfs, qui risqueraient de se faire manipuler par les premiers. Cela ne l’empêche pas de prêcher dans son dernier chapitre sur la nécessaire ouverture à tous et de faire l’éloge de la désormais célèbre posture de l’« Église en sortie » qui n’a pas à être une « douane ». Comprenne qui pourra.
Cet essai est-il donc à négliger ? Non, et pour deux raisons. Tout d’abord, parce qu’il pointe un réel problème, à savoir le danger d’une reprise non-critique du vocabulaire postmoderne de l’identité et donc de ses présupposés erronés ; et parce qu’il illustre à merveille une tentation inverse, que l’on peut nommer « dévote ». En critiquant à juste titre certains dangers de l’attitude identitaire, il néglige les causes ayant conduit à celle-ci et ce qu’elles manifestent en creux : la nécessaire prise en compte par la vie chrétienne de ces deux réalités naturelles que sont la famille et la nation. Il est donc à craindre que ce surnaturalisme ne fasse que renforcer le naturalisme qu’il critique. Or le défi central nous semble être d’articuler, dans le contexte actuel, effectivement très tendu, nature et grâce, foi et raison, selon le principe de Chalcédoine sur les deux natures du Christ « unies sans séparation ni confusion ». […]
Ainsi quand notre auteur déclare « qu’un pays en lui-même puisse être chrétien paraît aussi faux d’un point de vue spirituel que culturel », il annule par là des pans entiers de la réflexion de Jean-Paul II sur les patries, leur âme et le dessein divin sur elles ; et avant lui tous les papes qui ont voulu finement sortir les catholiques du nationalisme réducteur. Ou encore lorsqu’il reprend sans aucun recul critique la vulgate « droitdelhommisme » ou les poncifs habituels sur l’Église « constantinienne » et la royauté sociale de Jésus-Christ. Ce surnaturalisme n’est que le pendant du naturalisme, réel ou imaginaire, qu’il condamne. Souhaitons donc que les catholiques français ne succombent pas à la tentation dévote que Péguy a si admirablement caractérisée :
« Parce qu’ils n’ont pas la force (et la grâce) d’être de la nature ils croient qu’ils sont de la grâce. Parce qu’ils n’ont pas le courage temporel ils croient qu’ils sont entrés dans la pénétration de l’éternel. Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être du monde ils croient qu’ils sont de Dieu. » (Note conjointe sur la philosophie de Monsieur Descartes et la philosophie cartésienne, 1914).