Jeanne Smits a longuement interrogé le Dr Anca-Maria Cernea, le médecin roumain qui a suivi l'ensemble du synode sur la famille en tant qu'observatrice, pour L'Homme nouveau. Elle explique notamment comment elle avait le sentiment d'être en présence d'une « minorité léniniste » qui voulait faire avancer son ordre du jour révolutionnaire au sein même de l'Eglise. Jeanne Smits avait déjà traduit son intervention au synode. Extrait de l'entretien donné à L'Homme Nouveau :
"[…] La théorie du Genre n’est pas une politique américaine par définition. Je crois qu’il est important de la voir dans le contexte de l’École critique – un autre nom de l’École de Francfort. Judith Butler, la fondatrice de la théorie du Genre, s’inscrit officiellement dans cette École critique qui provient de l’École de Francfort. Et celle-ci a ses origines dans la période des années 1920. C’est un projet du Komintern, explicitement préparé pour saper l’Occident sur le plan moral et culturel. Il s’agissait de détruire la résistance morale des pays occidentaux, en vue de la Révolution : c’étaient les Russes qui préparaient la conquête du monde entier pour instaurer la société communiste.
Il y a eu des personnages très importants pour les débuts de cette tendance : Georg Lukács, un grand intellectuel hongrois malheureusement communiste, un personnage très subtil, qui a conçu ce projet. Puis cela a été la tâche de Willi Münzenberg, le chef du parti communiste allemand, qui s’est occupé de poser les fondations de l’École de Francfort. En même temps et en parallèle, il y a eu une autre lignée, celle d’Antonio Gramsci, communiste italien. Il a élaboré un projet de domination culturelle, mais dans son cas c’était explicitement en vue de l’instauration du communisme. Pour l’École de Francfort, c’est plutôt une tendance à détruire : ses tenants visent la destruction, elle ne propose pas de projet pour remplacer la réalité qu’ils contestent. Ils ne font que déconstruire, dénoncer, détruire : ils ne s’occupent que de la critique, et c’est pour cela qu’on l’appelle maintenant l’École critique.
La tendance de Gramsci est explicitement orientée vers une société communiste, mais il renverse un peu l’ordre classique du marxisme. Il ne professe pas d’abord la révolution violente, la prise des moyens de production, la nationalisation de la propriété : il soutient qu’il est plus important de conquérir d’abord l’hégémonie culturelle. Pour Gramsci, l’ennemi le plus important qu’il faut vaincre, pour pouvoir instaurer le communisme, c’est l’Église catholique. Il écrivait ces choses au cours des années 1920. Il recommandait de procéder sans rien dire du projet, mais d’utiliser plutôt des compagnons de route : des gens qui ne sont pas explicitement communistes et qui ne se rendent même pas compte du fait qu’ils sont utilisés comme des vecteurs pour le message communiste. Il disait qu’il fallait infiltrer la culture, les médias, l’université, et surtout, surtout l’Église catholique."