Un lecteur me signale cet entretien de 2003 avec le père Zénon, iconographe de renom, un ardent défenseur de la tradition orthodoxe et fervent adepte du rapprochement des Églises chrétiennes. Extraits :
Comment passer de la Tradition à la modernité ?
Ce qui est le plus actuel, c’est la Tradition avec un grand « T ». Il ne faut pas la confondre avec les coutumes et les traditions locales. La Tradition c’est la foi vivante. Foi qui est révélée pour tout le monde, toujours et partout. La Tradition ne doit jamais céder face à la modernité. Elle n’est pas figée, elle se situe dans un immuable présent. L’essentiel dans la Tradition d’aujourd’hui est de sentir, de ressentir, d’apprendre à écouter, à connaître, à reconnaître. En parler ne suffit pas, il faut la mettre en pratique pour témoigner au monde de sa vérité. Ceux qui parlent de Dieu et ne le rencontrent pas, engendrent la polémique.
Comment montrer Dieu ?
Par le rayonnement de notre vie, de nos regards, de nos gestes. Par le témoignage concret de notre foi. Nous pouvons lire dans Ezéchiel…
Après avoir fait un signe de croix, il ouvre sa Bible, lentement, il commence à lire d’une voix grave :
« La parole de Dieu me fut adressée, en ces mots : Fils de l’homme, je t’établis comme sentinelle sur la maison d’Israël. Tu écouteras la parole qui sortira de ma bouche, et tu les avertiras de ma part. Quand je dirai au méchant : Tu mourras ! si tu ne l’avertis pas, si tu ne parles pas pour détourner le méchant de sa mauvaise voie et pour lui sauver la vie, ce méchant mourra dans son iniquité, et je te redemanderai son sang.
– Mais si tu avertis le méchant, et qu’il ne se détourne pas de sa méchanceté et de sa mauvaise voie, il mourra dans son iniquité, et toi, tu sauveras ton âme.
-Si un juste se détourne de sa justice et fait ce qui est mal, je mettrai un piège devant lui, et il mourra ; parce que tu ne l’as pas averti, il mourra dans son péché, on ne parlera plus de la justice qu’il a pratiquée, et je te redemanderai son sang.
-Mais si tu avertis le juste de ne pas pécher, et qu’il ne pèche pas, il vivra, parce qu’il s’est laissé avertir, et toi, tu sauveras ton âme » (Éz 3, 16-21).Le Seigneur insiste auprès d’Ezéchiel, lui disant que chacun demeure responsable de son action, mais qu’il aura à rendre compte de son témoignage auprès des méchants et des justes. « Va vers mon peuple et parle lui… »
Comment distinguer la modernité du prophétisme ?
Le prophétisme n’a rien à voir avec l’art divinatoire, les prédictions. Chaque nouveau baptisé reçoit du prêtre le charisme, la dignité de « roi, prêtre et prophète ».
Nous devons retrouver en nous-mêmes celui qui prépare la venue du Messie. Nous devons le faire en annonçant aux fidèles la Bonne Nouvelle, en parlant la langue qu’ils comprennent. Aujourd’hui les fidèles sont las des discours, ils n’ont plus envie d’entendre des mots, ils recherchent des exemples à suivre. Il faut faire voir. Il ne faut pas dire « regardez » mais apprendre aux fidèles à regarder. Leur faire découvrir le sens profond du repentir. Distinguer le repentir de la prise de conscience. On reconnaît un arbre à ses fruits, un homme à ses oeuvres.
Le monachisme est-il compatible avec la modernité ?
Le monachisme du IVe siècle, comme l’a vécu saint Antoine, est impossible à vivre aujourd’hui. Le moine n’est pas meilleur que les autres hommes, son habit ne le protège de rien, parfois au contraire. Le monachisme doit rester dans le cadre de l’Église.
Le moine est un chrétien qui décide de suivre le Christ au plus près, avec plus d’abnégation, qui décide d’auto-contrôler ses pulsions et qui se laisse vérifier par son Père spirituel dans le combat des passions. Le monachisme, c’est l’aspiration à la ressemblance au Christ. Saint Silouane dit : « Le saint ressemble au Christ ». Il est important de voir rayonner la joie sur son visage.
Que pouvons-nous répondre aux fidèles qui reprochent aux moines de s’adapter au progrès ?
Qu’ils viennent vous rendre visite à cheval. Il y a une évolution inévitable mais elle doit toujours nous ramener auprès de Dieu. L’ascèse ne nous sépare pas de ce qui existe, mais nous suscite à répondre « présent » à la Lumière par la transparence de notre vie, de notre être. La vie est dynamique par nature, chaque arrêt est une mort. Soyons des êtres théophores, porteurs de Dieu.