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Culture de mort : Avortement

La tragique affaire Palmade met en lumière la plus grande incohérence du droit pénal

La tragique affaire Palmade met en lumière la plus grande incohérence du droit pénal

De Morgane Daury-Fauveau sur Atlantico :

Qu’on en juge plutôt. En droit français, l’homicide involontaire du fœtus n’est pas punissable. L’affirmation nécessite quelques précisions.

D’abord, il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle et non d’une solution explicite légale. En effet, l’article 221-6 du code pénal incrimine

« Le fait de causer (…) par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui ».

Depuis un arrêt du 29 juin 2001 rendu par son Assemblée plénière, la Cour de cassation décide que

« le principe de légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître ».

Auparavant, la jurisprudence était hésitante et retenait parfois l’homicide involontaire, tout comme la non-assistance à personne à naître en péril (dans l’hypothèse du médecin appelé au chevet d’une parturiente qui ne se déplace pas, ou trop tardivement), notamment lorsque le fœtus avait atteint le stade de viabilité. Ce revirement de jurisprudence montre la relativité du motif de la décision : jusque-là, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale n’avait pas condamné la reconnaissance de l’homicide involontaire du fœtus. D’ailleurs, un étudiant de licence pourrait citer de nombreux exemples dans lesquels les juges ne se sont pas sentis bridés par ce principe et ont au contraire adopté une interprétation des textes que l’on pourrait qualifier d’extensive. Il n’empêche : depuis 2001, le conducteur ou l’obstétricien qui provoquent par leur faute le décès du fœtus ne commettent pas d’homicide involontaire. Ils seront seulement poursuivis pour des blessures involontaires ayant provoqué une interruption totale de travail de moins de trois mois sur la mère et encourront, à ce titre, pour le premier, deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (hors circonstances aggravantes, C. pén., art. 222-20-1) et pour le deuxième, 1500 euros d’amende, puisqu’il s’agit d’une contravention de 5ème classe (toujours hors circonstances aggravantes, C. pén., art. R625-2).

Ensuite et surtout, la solution produit une incohérence majeure : si l’enfant, blessé in utero, ne décède qu’une fois né, l’auteur de la faute sera condamné pour homicide involontaire. Il suffit pour cela que la victime ait pris une respiration, qu’elle ait survécu dans notre monde une seconde. De la même manière, si l’enfant survit à ses blessures subies in utero et naît vivant mais en ayant subi des lésions, l’auteur de la faute sera condamné pour blessures involontaires.

Disons-le clairement : du point de vue du conducteur ou de l’obstétricien, mieux vaut que la faute commise ait été instantanément fatale.

Dans l’affaire Palmade, les réquisitions du procureur demandaient le renvoi devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires (subies par la mère) et homicide involontaire. C’est donc que le procureur a souhaité donner l’occasion aux juges du siège de discuter à nouveau de la question de l’homicide involontaire du fœtus. Mais il n’a pas été suivi par le juge d’instruction qui dans son ordonnance de renvoi n’a visé que les blessures involontaires. Cela dit, le tribunal correctionnel saisi pourrait décider de modifier la qualification auquel cas, il devra en informer le prévenu et le mettre en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification.

Il faut l’espérer. Il faut mettre fin à l’incohérence. D’autant qu’elle est produite par une décision de 2001 contestable. Celle-ci a probablement été prise dans le spectre de la peur de donner un statut au fœtus. On a craint que celui-ci pourrait conduire à une remise en cause de l’IVG. A l’époque déjà, la crainte relevait du fantasme. Alors aujourd’hui, avec l’inscription de l’IVG dans la Constitution, une telle peur relève désormais d’une paranoïa (ou d’un dogmatisme) pathologique.

La vraie réflexion à laquelle il faut se livrer est celle de savoir s’il ne serait pas opportun de limiter, comme cela a été parfois le cas par le passé, la qualification d’homicide involontaire au fœtus viable. La viabilité est traditionnellement définie comme le fait d’être doté des organes nécessaires à la survie en dehors du sein de la mère. Cette autonomie permet de considérer, sans discussion possible, que le fœtus est « autrui », au sens de l’article 221-6 du code pénal. Et, disons-le, permet d’éviter les hésitations sur la certitude du lien de causalité entre la faute et le décès, élément constitutif de l’infraction, qui seront d’autant plus grandes que la grossesse est récente.

La Cour de cassation a eu encore récemment recours au principe d’interprétation stricte de la loi pour adopter une solution hautement contestable : dans l’affaire Halimi, elle s’est en effet retranchée derrière lui quand il s’est agi de considérer que le trouble psychique ou neuropsychique était une cause d’irresponsabilité pénale même lorsque l’état mental de l’individu était dû à la consommation volontaire de stupéfiants, donc à sa faute antérieure au passage à l’acte (Cass. crim., 14 avril 2021). Ici encore, la jurisprudence antérieure était hésitante et retenait parfois la solution contraire.

Il faut pourtant se garder de prendre des positions qui heurtent frontalement les convictions de l’immense majorité des citoyens. Le droit pénal se doit, au contraire, d’être le vecteur des aspirations de la société, faute de quoi, celle-ci se sentira un jour légitime à se passer de la justice institutionnelle.

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