Dans L'Homme Nouveau, Guillaume Bernard, maître de conférence à l'Institut catholique d'Etudes supérieures, aborde le sujet épineux de la peine de mort :
"L’Église n’a cessé de condamner l’homicide de l’innocent et du juste (Ex 23, 7). C’est pour cela qu’elle milite avec obstination contre l’avortement. Mais alors, pourquoi, tout en considérant qu’elle doit être utilisée avec prudence, ne s’oppose-t-elle pas au recours, par le pouvoir temporel, à la peine de mort dans les cas d’une grande gravité (Catéchisme de l’Église catholique, 1992, n. 2266) ? La question de la peine de mort s’intègre dans le cadre plus large de la légitime défense (saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIae, qu. 64, art. 7). Le commandement de ne pas tuer (Ex 20, 13 ; Dt 5, 17) a une valeur absolue quand il se réfère à une personne innocente, en particulier lorsqu’elle est faible et sans défense ; il s’applique corrélativement avec l’exhortation d’aimer son prochain comme soi-même. La légitime défense – qui est un devoir (Jean-Paul II, Evangelium vitae, 1995, nn. 27, 55 et 57) – ainsi que la sanction pénale ne constituent donc pas une exception à l’interdiction du meurtre puisqu’elles visent non un innocent mais un coupable et que la mise à mort n’est pas le but explicitement recherché mais, simplement, un inéluctable effet (Catéchisme, n. 2263).
La sanction, dont la peine de mort, peut avoir une portée utilitaire, comme de dissuader un éventuel criminel, mais sa finalité est rétributive. La sociabilité étant naturelle, le but de la peine est, avant tout, d’être commutative, c’est-à-dire de compenser la disharmonie introduite dans l’ordre des choses par un acte démesuré (Catéchisme, n. 2266). C’est dans cette logique que le docteur angélique prit la défense de la peine de mort (Somme théologique, IIa, IIae, qu. 64, art. 2-3). L’apparente contradiction entre l’exhortation évangélique d’aimer son prochain et le principe vétérotestamentaire du talion est résolue par la distinction du précepte moral (le pardon des offenses) et du principe juridique (de légitime défense). Cependant, il existe, peut-être, une cause plus profonde encore expliquant la position de l’Église catholique. Sous l’angle juridique, deux processus doivent, dans la Passion, être distingués. D’une part, accusé de blasphème et de subversion, le Christ accepta de subir une condamnation à mort que les chrétiens considèrent comme injuste. D’autre part, il endossa une culpabilité (celle des péchés des hommes) qui n’était pas la sienne : par pure bonté et gratuitement, il donna sa vie d’homme (Jn 10, 18). En utilisant l’institution humaine de la peine de mort (Mt 26, 42), le Juste a justifié les injustes (Rm 4, 25 ; Tt 2, 14 ; He 2, 9). Il semble donc possible de se demander si la négation de la légitimité de la peine de mort n’aurait pas d’implications théologiques. Ne pourrait-elle pas conduire à considérer que le Christ n’a pas pu, par amour pour sa créature (Rm 5, 8), s’offrir en holocauste (Lc 24, 26) ; qu’innocent (Lc 23, 41), il n’a pas pu prendre sur lui les fautes commises par les hommes (1 P 3, 18), qu’il n’a donc pas pu les racheter et, ainsi, leur éviter le châtiment qu’ils méritaient (Is 53, 5-6) ? S’opposer à la peine de mort ne peut-il pas mener au refus de voir dans le Christ la victime de propitiation pour les péchés des hommes (Catéchisme, n. 620 et n. 1992) et donc au rejet du mécanisme (pénal) intrinsèque de la Passion, la rétribution (Somme théologique, IIIa, qu. 48, art. 6), étant entendu que celle-ci a produit le salut des hommes en vertu de la divinité du Christ et non au seul titre de la mort (Somme théologique, IIIa, qu. 50, art. 6) ?
S’il est bien délicat d’administrer la preuve de la culpabilité, ce qui ne peut conduire qu’à une application parcimonieuse d’une sanction irrémédiable, ne serait-il pas, a contrario, très imprudent, pour un chrétien, de démentir la valeur expiatoire (dont la force est d’autant plus grande que la sanction est acceptée) de la peine, en général, et de celle de mort, en particulier ? S’il s’oppose au principe de la peine de mort, ne prend-il pas le risque de nier qu’avec la Passion, la Rédemption est (juridiquement) passée par une rétribution ?"