Dans Le Figaro, Jean-Marie Guénois évoque le nouveau livre de Nicolas Doat, Le grand bonheur : Vie des moines, consacré à l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault. Extrait :
[…] Cet écrivain a obtenu du père abbé du monastère bénédictin de Fontgombault, situé dans le bas Berry, le rare privilège de pouvoir s’immerger, carnet de notes à la main, au cœur de cette communauté de 60 moines. Il a pu en interviewer, sur le fond, une trentaine. Un an durant, il a suivi leur vie de prière nocturne et diurne. Entendre leurs joies, leurs combats aussi. Marcher avec eux lors de leur promenade quotidienne. Goûter la même soupe. Visiter les lieux les plus inattendus de cette société miniature, totalement autonome puisqu’elle dispose d’une centrale électrique sur la Creuse. Le monastère est posé au bord de cette rivière depuis le XIe siècle… L’auteur a senti les odeurs de la ferme, de l’atelier de cuir, des fleurs du jardin, des vieilles reliures de la bibliothèque sans oublier les fientes du poulailler – il n’y a pas de mystique désincarnée. De cette cité de Dieu, rien n’a échappé à la curiosité de l’homme de plume.
Il en ressort un livre rare, profondément humain, très réaliste, concret et profondément spirituel, plein de foi, d’espérance et de charité, vertus chrétiennes à l’apparence dépassées qui sont toutefois le ciment de la vie communautaire des moines. Certes, Nicolas Diat n’aborde pas le fait que le criminel Jean-Claude Romand vive là depuis sa sortie de prison – c’est la tradition monastique de l’accueil de tous – mais ce livre, et c’est toute sa force, n’est précisément pas une enquête sur l’abbaye de Fontgombault. Il est une plongée unique dans la vie méconnue de moines cloîtrés au sein de l’une des plus florissantes abbayes de France. Le livre est bienveillant sans être un livre de bons sentiments ou un ouvrage pieux. C’est un livre vrai. […]
Autre chapitre passionnant, la gouvernance de l’abbaye. Où l’on saisit que le sage management pensé par saint Benoît (480-547), il y a quinze siècles et éprouvé depuis par de multiples expériences monastiques bénédictines partout dans le monde, n’a pas pris une ride. Les moines doivent obéissance au père abbé, mais il n’a pas un pouvoir absolu. Un moine qui trouverait une décision injuste peut légitimement s’en ouvrir à un autre responsable. Les décisions du père abbé sont encadrées par un «conseil» de cinq membres, dont deux sont désignés par lui-même mais trois sont élus par la communauté, et par un autre conseil, plus élargi, le «chapitre». Il s’agit de «prévenir des abus de pouvoir» écrit Diat. De même toutes les charges, appelées «obédiences», correspondant à des responsabilités de travail, doivent être transmises tous les trois ans, quitte à être confirmées, car «aucun moine n’est propriétaire de sa charge» . Elles portent parfois des noms truculents: chambrier, père zélateur (adjoint du maître des novices), réglementaire (responsable des cloches), réfectorier (en charge de mettre le couvert), confiseur (en charge de la confection des confitures et pâtes de fruits), etc. […]
Mais pourquoi ces hommes du silence ont-ils accepté de se livrer? dom Jean Pateau, l’actuel père abbé confie au Figaro : «Oui, pourquoi avoir accepté… le moine ne doit-il pas vivre caché? Dans la ligne du discours aux Bernardins, où Benoît XVI a réussi à faire aimer les moines qui, il y a plusieurs siècles, vivaient en les murs de ce couvent, il m’a semblé possible à travers les lignes d’un livre de faire connaître et aimer un visage particulier de l’Église qu’est la vie monastique. Ce livre doit aussi être compris comme une réponse, à notre mesure, à l’invitation du pape François à être en sortie… et nous pouvons le faire sans pour autant sortir. Ces pages visent aussi à faire aimer Dieu, à montrer que la relation avec lui se tisse non pas dans les méandres des cogitations mais dans la simplicité de la vie et à travers des caractères aussi différents que les vies qui ont mené au choix du monastère.» En attendant, ce choix de Dieu est un bonheur à lire.