Extrait de la conférence donnée par le Très Révérend Père Dom Jean Pateau Abbé de Notre-Dame de Fontgombault, à Rome, jeudi 14 septembre, lors du colloque qui s'est tenu pour les 10 ans de Summorum Pontificum :
"[…] Dom Jean Roy, abbé de Notre-Dame de Fontgombault de 1962 à 1977, accueillit de bonne grâce le petit train de réformes de l’Ordo Missæ en 1965. Ce n’est pas cependant sans quelques appréhensions qu’il suivit la fermentation qui devait aboutir en 1969 à la promulgation d’un nouvel Ordo Missæ dont il perçut à la fois les qualités et les limites. Fidèle au principe de ne rien dire qui ne soit théologiquement certain, ni faire qui ne soit canoniquement en règle, et contre de nombreuses et fortes pressions, le Père Abbé maintint l’usage du missel tridentin jusqu’à la fin de l’année 1974.
Selon le document de promulgation du nouveau Missel, celui-ci devenait obligatoire dès que les conférences épiscopales auraient obtenu l’approbation de la traduction. C’était le cas en cette fin d’année. Le Père Abbé obtempéra, non sans réticences, mais en considérant que des moines ne devaient pas même donner l’impression de désobéir. Plus tard, il dira que sa décision relevait plus de la prudence que de l’obéissance, car il n’était pas certain que le nouveau missel était obligatoire et que le missel tridentin était légitimement interdit. L’avenir montrera que son doute était justifié. Le Père Abbé recommanda aux prêtres de l’abbaye de conserver dans la célébration des saints mystères les dispositions de piété, de respect, de sens du sacré qu’ils avaient acquises à l’école du missel tridentin. C’est dans ce climat liturgique pesant que le Père Abbé a achevé sa vie lors d’un Congresso bénédictin à Rome en 1977 ; vie sans doute abrégée, au moins partiellement, par la lutte qu’il n’a cessé de mener pour la défense de la Sainte Église et de sa Tradition.
Par la lettre circulaire aux conférences épiscopales, Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984, la Congrégation pour le Culte divin faisait écho au désir du Souverain Pontife saint Jean- Paul II de donner satisfaction aux prêtres et aux fidèles désireux de célébrer selon le missel romain édité en 1962. À partir de la fête de l’Annonciation de 1985, les prêtres du monastère, à condition d'en faire personnellement la demande à l'ordinaire du lieu, reçurent la permission de dire la moitié des Messes de la semaine selon ce missel.
Une nouvelle étape fut franchie à la suite des malheureux « sacres d'Ecône », avec la création de la Commission Pontificale Ecclesia Dei. Au prix de tractations rendues difficiles par le fait de personnes influentes, Dom Antoine Forgeot, successeur du Père Abbé Jean, obtint de la Commission le rescrit du 22 février 1989 autorisant à reprendre de façon habituelle le Missel de 1962. Encouragée par la Commission pour tout ce qui pouvait esquisser un rapprochement avec le Missel de 1969, l’abbaye conserva le nouveau calendrier pour le sanctoral, et adopta quelques nouvelles préfaces, une prière universelle le dimanche… Ces usages se révéleraient aller dans le sens de la pensée du cardinal Ratzinger.
Le 7 juillet 2007, le motu proprio Summorum Pontificum rendit son entier droit de cité au missel de 1962. S’il ne fut pas à l’abbaye l’occasion de retrouvailles, déjà anticipées depuis plus de 20 ans, il augmenta la dévotion filiale et la gratitude des moines à l’égard de la Mère Église et envers Benoît XVI. Depuis cette date, une centaine de prêtres dont la moyenne d’âge est aux alentours de 30-40 ans, désireux d’apprendre à célébrer dans la forme extraordinaire, sont passés à l’abbaye. Envoyés par leur évêque en vue d’un ministère spécifique, venus d’eux-mêmes afin de répondre à des demandes de fidèles, ou simplement désireux de célébrer en privé cette forme vénérable afin de profiter de sa spiritualité, ils achèvent leur séjour avec la conviction d’avoir découvert un trésor. Les difficultés rencontrées tiennent à l’usage de la langue latine et à une prise de conscience d’une «conversion» à opérer dans la manière de célébrer sur laquelle nous reviendrons plus tard. […]
Si les moines de Fontgombault, après avoir pratiqué pendant environ dix ans le missel de 1969, ont souhaité un retour au missel de 1962, c’est que ce missel leur apparaît en particulière harmonie avec la vie monastique, quête de Dieu dans le silence du cloître, communion profonde dans un cœur à cœur prélude au face à face de l’éternité. Le caractère plus contemplatif de cette forme promeut la dimension verticale de la liturgie qui est « chemin de l’âme vers Dieu. » (Benoît XVI) Quelle joie ainsi à la redécouverte de la liturgie de l’octave de la Pentecôte ! […]
Ajoutons une réflexion à propos du lectionnaire du missel de 1962 jugé pauvre. L’enrichissement abondant de la lecture de la Sainte Écriture issu de la réforme liturgique, la longueur de certaines péricopes, ne nuiraient-ils pas à la contemplation ? Certes, les laïcs qui ont de moins en moins de temps à consacrer à la lectio divina, peut-être même les prêtres séculiers, écrasés par le ministère, en tirent profit. Pour les moines, l’abondance et la variété des lectures, goûtées par certains et sûrement non sans valeur, apparaissent plutôt généralement comme excessives. Ce parti pris sacrifie la répétition de péricopes relues, ruminées, connues par cœur, jamais épuisées. La multiplication des Préfaces pourrait susciter la même réflexion. Le cardinal Ratzinger a évoqué sagement « quelques nouvelles préfaces… un Lectionnaire élargi – un plus grand choix qu’avant, mais pas trop -» qui pourraient être adoptées dans la forme extraordinaire : non multa sed multum. La sobriété invite à la contemplation. […]"