Au cœur de l’Année jubilaire qui a pour thème « Pèlerins d’Espérance », après l’élection du pape Léon XIV et en vue de la Pentecôte, voici dix approches (dix “mots-clés”) demandées par le Salon beige à Rémi Fontaine sur l’“ADN” du Pèlerinage de Chrétienté, son histoire et son esprit qu’il nous présente dans son livre Chartres t’appelle ! (Via Romana).
1- CROISÉS : je donne en exergue cette citation du P. Sevin : « Il est toujours bon, pour ne pas vieillir de se retremper dans l’esprit de ses origines… » « Or notre esprit, ajoutait-il (au présent), est un esprit de croisade ou bien nous n’y sommes plus. » Il parlait évidemment pour les Scouts de France mais cela peut s’appliquer aussi à l’histoire de notre pèlerinage. C’est bien un esprit de croisade (au sens spirituel) qui a présidé à sa naissance. À l’appel du saint pape Jean-Paul II ! Il faut rappeler le contexte : élu en 1978 avec ses mots « N’ayez pas peur ! », il était venu en France apostropher notre nation : « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ! » Et au Parc des princes il avait interpelé notre jeunesse : « La permissivité morale ne rend pas heureux », reprenant aussi les mots de l’Evangile : « Jeune homme lève-toi, jeune fille lève-toi ! »
Dans le même temps était lancé le Centre Henri et André Charlier (du nom de deux grands convertis au catholicisme, l’un sculpteur, l’autre éducateur, amis de Péguy) avec une volonté de reconquête culturelle et d’amitié française. C’était juste au moment de l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir avec un gouvernement socialo-communiste. La situation devenait préoccupante pour les catholiques. La liberté d’enseignement notamment était clairement menacée.
Sous l’égide du Centre Charlier, à sa 3ème UDT au Mesnil-Saint-Loup (ce fameux petit village non pas d’irréductibles Gaulois mais de chrétiens fervents guidés par le P. Emmanuel !) nous avons donc décidé, avec plusieurs amis, de répondre à l’appel de Jean-Paul II en fils de France et de l’Église. Appel à sortir de nous-mêmes et à nous libérer pour aider les autres à en faire autant. Non pas libérer la Terre Sainte mais libérer nos âmes et l’espace français du venin de l’apostasie et du laïcisme. Je cite encore le P. Sevin : « Ces terres-là, ces terres spirituelles, elles relèvent du Christ, elles doivent faire retour à la Chrétienté. Mais pour cela, il faut que nous soyons nous-mêmes résolument Chrétienté ! » C’est le principe du pèlerinage.
2- FILS DE L’ÉGLISE : parce que si nous étions et restons « traditionalistes », nous étions et sommes résolument sous le commandement du Père commun des catholiques. Fidèles à part entière et non à part, singulièrement sous cet aspect de la nouvelle évangélisation alliant spirituel et temporel. Les “tradis”, comme on dit, « ce ne peut être ni un parti, ni une armée ni une Église ; c’est un état d’esprit, résumait Jean Madiran. Et, bien sûr un comportement. » Même si ce comportement apparaît trop souvent aux yeux de certains comme un « reproche vivant », leur seule présence leur étant insupportable (Sg 2, 14). C’est « une professio et une devotio ». Cela demeure l’esprit : une partie dans le tout, un levain dans la pâte. Nous ne voulons sûrement pas faire « Église à part » car c’est l’Église qui nous sauve tous, aujourd’hui et demain grâce à hier ! « Nous ne sommes que des nains juchés sur l’épaule de géants », comme disait saint Bernard de Chartres.
3- PIÉTÉ FILIALE : le Pèlerinage de Chrétienté se situe dans une histoire qui a désormais plus de 40 ans mais aussi et surtout dans une « préhistoire » récente ou lointaine. Cela remonte bien sûr à la Virgo pariturae (la Vierge qui enfante) vénérée par les druides puis à la relique du voile de la Vierge et à saint Louis mais plus récemment à Péguy et au pèlerinage des étudiants. Après une période d’édulcoration ou d’oubli dans les années soixante/soixante-dix, il faut rendre hommage aussi à ces quelques sentinelles individuelles ou collectives qui ont maintenu le flambeau et qui sont comme les prodromes de notre pèlerinage pour tous. Je pense notamment (mais j’en oublie) à l’abbé Montarien avec ses étudiants du CERCLE, aux Scouts d’Europe, au MJCF et à la FCEF, ou à Mgr Charles avec Montmartre…
Pour l’histoire plus précisément du Pèlerinage de Chrétienté, un sous-titre de mon livre précise : « Propos de route et jalons pour l’histoire. » Il s’agit d’un recueil de textes échelonnés depuis l’origine, écrits en situation, « contextualisés » (comme on dit maintenant) par la crise post-conciliaire. Cela ne prétend pas dire toute la vérité sur le pèlerinage, lequel n’est évidemment pas exempt (comme ces textes) de critiques ni de faiblesses, mais révéler nos intentions et nos aspirations face aux oppositions qu’elles ont rencontrées. Un peu comme un livre blanc pour juger sur pièces.
4- DANS LE MONDE MAIS PAS DE CE MONDE. Un certain nombre de ces textes développent une réflexion autour des finalités du pèlerinage, de ses trois piliers (Chrétienté-Tradition-Mission). Elle vise surtout à montrer que nous ne cherchons pas à revenir en arrière, à être des pèlerins d’hier, pas plus d’ailleurs que des pèlerins de demain. Nous sommes bien des pèlerins d’aujourd’hui, autrement dit des pèlerins de toujours. Perigrini : étrangers. Etrangers au monde dans l’exacte mesure où l’esprit du monde est étranger à Dieu. C’est en cherchant Dieu, au-delà du monde et du temps, que les moines notamment ont bâti la Chrétienté, sans le préétablir, comme l’a rappelé Benoît XVI. C’est notre démarche (l’option bénédictine !) : notre fugue hors du monde et du temps s’appelle la conversion, mais nous restons bien dans ce monde, ce n’est pas une dérobade. Mainteneurs de la Tradition, nous ne sommes ni « indietristes » (rétrogrades) ni progressistes. Pèlerins d’espérance parce que pèlerins de toujours, ni de demain ni d’hier. Mainteneurs du Meilleur sans être meilleurs. Simplement en quête du Royaume (qui n’est pas de ce monde mais déjà au dedans de nous). En quête donc du salut des âmes (selon le thème de 2024). Notre volonté missionnaire est fondée sur l’Évangile et la Tradition. Nous souscrivons donc pleinement au thème de l’année sainte 2025 : « Pèlerins d’Espérance » ! Et nous le manifesterons en nous consacrant ce 9 juin au Sacré-Cœur.
5- LAÏCS : le Pèlerinage de Chrétienté exprime notamment le point de vue de laïcs, selon la juste volonté de Vatican II de promouvoir le laïcat chrétien. Conçu, organisé et dirigé par des laïcs, le pèlerinage échappe ainsi depuis sa création à ce que le pape François a appelé le (mauvais) cléricalisme (tant en interne qu’en externe), ce qui explique peut-être son ressort, sa concorde et sa longévité. Il y a en effet une grâce d’état liée au laïcat, non seulement à la jeunesse (comme disait André Charlier) mais aussi aux familles et plus particulièrement aux parents qui ont la charge temporelle de transmettre la foi qu’ils ont eux-mêmes reçus de leurs parents. Sans être de l’Église enseignante, ils ont leur juste mot à dire en la matière (dans de justes limites) et n’ont pas besoin de mandat pour ce faire, étant les premiers éducateurs de leurs enfants.
Dans les années 80, avec l’appui de prêtres amis, les organisateurs du pélé ne se sont pas privés d’user de ce droit élémentaire. Comme d’autres l’avaient fait avant eux (Pierre Lemaire ou Jean Madiran face à la révolution du catéchisme puis les abus liturgiques ; les Scouts d’Europe face à la réforme des néo-SDF ; le MJCF ; les écoles hors-contrat…).
C’est le temps des familles et des laïcs avant l’heure synodale, si l’on peut dire ! Mais dans une juste distinction des pouvoirs, sans la cléricalisation des laïcs ni la sécularisation des clercs que l’on voit trop aujourd’hui et que dénonçait Benoît XVI.
6- “CRISTEROS” : une des caractéristiques du Pèlerinage de Chrétienté est son attachement à la doctrine du Christ-Roi (incluant sa royauté sociale) développée par Pie XI dans l’encyclique Quas Primas dont nous fêtons le centenaire cette année. Cela n’est pas toujours bien compris depuis « l’esprit » de Vatican II. Cela ne signifie pas du tout que nous voulons la théocratie (qui n’est pas chrétienne) ou même l’État chrétien (aujourd’hui réellement impossible). Ni que nous n’agréons pas à la (vraie) liberté religieuse. Cela veut simplement dire que nous vérifions expérimentalement la parole de Pie XII : « De la forme donnée à la société dépend le bien ou le mal des âmes. »
Bien sûr, la communauté surnaturelle de personnes qu’est l’Église (fondée par le Christ) ne se confond pas avec la société temporelle de familles qu’est la nation et que l’Église doit « informer » (au sens philosophique de donner un sens) quelque soit l’unité ou la division de croyances et le régime en place. Mais si l’Église ne peut y trouver une certaine correspondance culturelle, l’Église devra forcément agir en contre-culture, comme pour les premiers chrétiens (ou les dissidents anti-communistes), avec ce que Benoît XVI appelait des « minorités créatives » ou des « oasis de chrétienté ». C’est notre conviction militante qui s’incarne dans un combat contre-révolutionnaire, pour offrir un « lit de camp » au surnaturel, selon l’image de Péguy. Autrement dit : notre théologie politique (pour reprendre le terme de Mgr de Moulins-Beaufort) c’est la parabole du terrain et de la semence : distinguer pour unir ! Si le Royaume du Christ est d’abord au-dedans de nous et n’est pas de ce monde, il a forcément un certain écho et rayonnement sur notre vie sociale et politique au sens large. Ayant des chrétiens, il faut des espaces de chrétienté, fut-ce dans des catacombes ou des îlots, semences de chrétienté, mais mieux encore dans des nations chrétiennes ! Car « c’est un grand mystère, il ne suffit pas d’avoir la foi. Nous sommes faits pour vivre notre temporel en chrétienté. Ailleurs, quand ce n’est pas le martyre physique, ce sont les âmes qui n’arrivent plus à respirer » (Madiran paraphrasant Péguy).
7- CHRÉTIENTÉ : à la supplique célèbre de Mgr Lefebvre – « Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition ! » – qui est devenue celle des communautés (ex)Ecclesia Dei et d’une part non négligeable du peuple de Dieu avec l’assentiment de Jean-Paul II et Benoît XVI, nous avons ajouté en tant que laïcs responsables du temporel : – Laissez-nous faire l’expérience de la Chrétienté ! Et nous avons constaté que cette manière en définitive d’obéir au 4ème commandement – « Tu honoreras ton père et ta mère afin de vivre longuement » – portait ses fruits dans nos communautés de vie aussi bien pour les pédagogies traditionnelles de la foi que pour les pédagogies éducatives ou politiques. La preuve en particulier par les écoles indépendantes et le vrai scoutisme dont on sait l’esprit missionnaire et les vocations. C’est donc même éminemment missionnaire quand on sait qu’un grand nombre de nos pèlerins aujourd’hui ne sont pas habitués à ces pédagogies et que les primo-pèlerins viennent toujours plus nombreux, attirés par le sens du sacré et la transcendance de cette démarche. Par attraction plus encore que par prosélytisme ! Le bien est diffusif de soi…
Les terres lointaines à convertir (les « périphéries »), nous ont rejoint aujourd’hui à domicile. Il suffit de sortir de chez nous dans la rue (comme disait Madeleine Delbrêl). Cela n’exonère pas de se ressourcer dans des centres, des noyaux, des camps de base ou des éco-systèmes de Chrétienté. « L’Église n’évangélise pas si elle ne se laisse continuellement évangéliser » (François). Commencer par soi, par nous…
8- N-D DE LA SAINTE ESPÉRANCE : l’idée du pèlerinage est née au Mesnil-Saint-Loup, ce village de Chrétienté qu’avait converti le P. Emmanuel, grâce à l’intercession de Notre-Dame de la Sainte Espérance. La « méthode » du pèlerinage, si méthode il y a, c’est celle par analogie du P. Emmanuel : « Ma méthode ? C’est celle de saint Paul : Je souffre tout pour les élus. Je n’en ai point d’autre. » Il disait aussi : « Vous avez une montagne de péchés, faîtes une montagne de prières. » C’est l’établissement d’une société chrétienne sur la prière et la pénitence, selon les demandes de la Vierge à des enfants eux-mêmes (de Mélanie à Lucie en passant par Bernadette). Comme une bonne méthode naturelle prédispose à la grâce (le vrai scoutisme par exemple en éducation à la différence d’une méthode s’éloignant de la loi naturelle), une bonne méthode surnaturelle (celle des « exercices spirituels », celle du P. Emmanuel) surélève les vertus naturelles. Cette rencontre intime de la grâce et de la nature (et réciproquement) donne, lorsqu’elle se vit communautairement, un espace de chrétienté incarné dans un lieu et milieu, des us et coutumes régies sous la double et unique loi de Dieu (la loi naturelle des dix commandements et la loi surnaturelle d’amour des béatitudes). Des mœurs et des vertus chrétiennes qui ne deviennent pas folles…
9- Un CZESTOCHOWA français : si le Pèlerinage de Chrétienté est devenu « notre Czestochowa national » (Dom Gérard), c’est parce que le célèbre pèlerinage polonais fut aussi pour nous un modèle. L’exemple d’une Chrétienté en marche en plein pays communiste, en plein régime totalitaire, hostile ! Grâce à la grande neuvaine lancée de sa prison par le cardinal Wyszinski pour préparer le millénaire du baptême de cette nation. C’est ce qu’on appellera « le miracle polonais » qui donnera notamment saint Jean-Paul II et Walesa (Solidarnosc) avec la chute du communisme… Et qui inspirera le petit miracle de Chartres !
10- En conclusion : un “TROIS-MÂTS” ! Le Pèlerinage de Chrétienté est un vaisseau marial qui a ses ancres dans le Ciel par sa prière, sa pénitence et sa fidélité. « Un beau monument à la face de Dieu » traversant le monde moderne, comme écrit Péguy dans Clio. Un vaisseau à trois ponts ou mieux encore « un fameux trois-mâts fin comme un oiseau », comme dit la chanson. On est fier, sans orgueil, non pas d’y être matelots mais d’y être pèlerins, malgré nos faiblesses et nos péchés. Un vaisseau singulier (dans l’espace et le temps) avec trois grandes voiles qu’orientent et tendent (“étarquent” en termes marins) inlassablement les organisateurs depuis l’origine. Ces trois voiles ont pour nom Tradition, Chrétienté et Mission ! Mais ce n’est pas seulement ces trois voiles ensemble qui font avancer le navire au large de la nouvelle évangélisation. C’est manifestement l’Esprit-Saint qui souffle sur elles, comme des médiations opportunes et nécessaires. « Si Dieu veut, toujours droit devant », nous irons non pas jusqu’à San Francisco mais jusqu’à Chartres et, au-delà : jusqu’à la communion des saints, mais aussi jusqu’à une nouvelle Chrétienté qui est son escabeau, comme disait Dom Gérard.
C’est le Saint-Esprit qui nous fait aller de l’avant ! D’où le titre de mon livre : « Chartres t’appelle ! Une Pentecôte de Chrétienté ». « Vous ne voyez pas ce qui naît », disait déjà Louis Veuillot aux croquemorts empressés de feu la Chrétienté qui voyaient trop vite ce qui meurt mais pas ce qui peut ressusciter. Chartres, ultreïa !