D’Antoine de Lacoste pour Liberté Politique :
A l’heure où leurs ennemis s’effondrent ou s’affaiblissent au Proche et au Moyen-Orient, les Etats-Unis y voient leur influence reculer. Ils pèsent moins sur les évènements dont les principaux acteurs sont Israël, la Turquie, l’Iran et ce qui reste du Hezbollah et du Hamas. C’est bien sûr mieux que l’Europe, qui n’a plus rien à dire, ce qui tombe bien car personne ne l’aurait écoutée. Mais tout de même, que la région du monde la plus explosive échappe, au moins partiellement, à la domination américaine qui fut totale est un élément fondamental qu’il convient d’analyser.
LA MONTEE EN PUISSANCE DES ANNEES CINQUANTE
C’est à partir des années cinquante que les Etats-Unis s’imposèrent dans la région et supplantèrent les anciennes puissances coloniales, la France et l’Angleterre. Les Américains ne jouèrent pas de rôle direct dans la création de l’Etat d’Israël, en 1948, mais ils se mirent en première ligne peu de temps après.
Plusieurs évènements importants se succédèrent en quelques années. En 1953, après la nationalisation du pétrole iranien par le premier ministre Mossadegh, la Grande-Bretagne, désemparée par la suppression d’une importante source de revenus qu’elle ne partageait que très inéquitablement avec l’Iran, sollicita les Etats-Unis. La CIA fut envoyée avec une mission claire : renverser Mossadegh. Elle organisa et réussit un coup d’Etat, un peu laborieusement, et permit ainsi le retour de Shah, parti en exil. Ce dernier se lia pour toujours avec l’Amérique qui supplanta bien sûr la pauvre Angleterre. L’Iran devint dès lors un partenaire pétrolier et géopolitique très important pour Washington.
L’expédition de Suez paracheva le travail. En 1956, après la nationalisation du Canal de Suez par le nationaliste égyptien Nasser, la France, l’Angleterre et Israël attaquèrent l’Egypte, bousculèrent assez facilement son armée et occupèrent le canal. Mais Washington, en parfait accord avec Moscou (la guerre froide ne fut pas toujours très guerrière), signifia aux trois attaquants que l’époque coloniale était révolue et qu’il fallait gentiment rentrer chez soi. Ils le firent et l’Amérique devint dès lors l’unique puissance occidentale du Proche et du Moyen Orient.
En 1958, elle envoya quelques milliers de marines au Liban qui semblait menacé par le rapprochement syro-égyptien. Les Français en prirent ombrage estimant que le pays du Cèdre relevait de leur zone d’influence mais les Américains n’avaient pris cette initiative, au demeurant parfaitement inutile, que pour démontrer qu’ils étaient chez eux partout. Cette position dominante était en outre confortée par la très solide alliance établie en 1945 avec l’Arabie Saoudite sur le croiseur Quincy. Par ailleurs, la Jordanie devint progressivement une sorte de colonie américaine, les dollars abondamment distribués au bon Roi Hussein permettant de compenser l’absence de ressources pétrolières et gazières de ce petit désert.
Bien sûr, ce n’était pas un monopole complet car l’Egypte, la Syrie et l’Irak se situaient dans le camp soviétique mais leurs défaites lors de la guerre des Six jours en 1967 et de la guerre du Kippour en 1973 actèrent presque définitivement la supériorité militaire israélienne et donc américaine, les deux pays, après des débuts difficiles, étant devenus indissolublement liés.
LE CHOC DE LA REVOLUTION IRANIENNE
Le premier accident sérieux eut lieu en 1979 avec la révolution islamiste qui submergea l’Iran et balaya le régime du Shah. Une bonne partie des manifestants avaient accompagné la révolution pour chasser l’Amérique du pays et furent bien surpris de se trouver sous le joug d’une théocratie qu’ils n’appelaient guère de leurs vœux, mais il était trop tard. Un excellent roman iranien, Aria, de Nazanine Hozar, raconte cette histoire de façon très intéressante (chroniqué sur leslivresdantoine.com).
Un nouveau rapport de forces se dessina alors dans la région : sunnites contre chiites. Aux côtés de l’Iran, très majoritairement chiite, se tint la Syrie avec l’alaouite (tendance proche des chiites) Hafez al-Assad aux commandes, puis le Hezbollah qui prit progressivement possession du sud du Liban. Les autres pays étaient sous contrôle d’un pouvoir sunnite.
Les Américains connurent ensuite un échec important au Liban avec les attentats successifs contre leur ambassade puis contre leurs soldats, provoquant de nombreux morts. C’était toutefois moins grave que la perte de l’Iran, l’Amérique n’ayant jamais réussi à dominer le Liban que l’absence d’Etat et d’organisation élémentaire rend de toute façon parfaitement incontrôlable.
Mais la puissance américaine s’étendait sur l’ensemble de la région d’une façon qu’elle estimait assez satisfaisante grâce au renforcement de ses liens avec le monde sunnite, inquiet de la montée en puissance des chiites.
LA CRIMINELLE EXPEDITION EN IRAK
Cette inquiétude, partagée par les Américains, les incita à convaincre Saddam Hussein d’attaquer l’Iran en 1980, c’est-à-dire un an après la révolution islamique. Saddam y vit un intérêt certain. Tout d’abord, il y avait des conflits de frontières récurrents entre les deux pays, mais surtout il craignait la contagion islamiste chiite : il incarnait en effet un pouvoir sunnite dans un pays à majorité chiite. Cette guerre fut terrible, dura huit ans, ruina les deux belligérants et fit sans doute un million de morts. Les occidentaux, fidèles à leurs instincts guerriers par pays interposés, livrèrent massivement des armes à l’Irak, et même parfois à l’Iran (plus discrètement), prolongeant ainsi un conflit sanglant et inutile.
En 1988, les deux pays mirent fin à cette guerre absurde. L’Irak était exsangue et Saddam Hussein voulut se rembourser en s’emparant du Koweit et de son pétrole. Il dira par la suite que l’ambassadeur américain lui avait donné un feu vert verbal. Assertion difficile à prouver mais quoi qu’il en soit, les Etats-Unis déclenchèrent une offensive terrestre et surtout aérienne foudroyante avec une vaste coalition dont la France.
L’armée irakienne subit de lourdes pertes, ses blindés se promenant en colonnes dans le désert constituaient des cibles si faciles à détruire que l’on se demande encore comment Saddam a pu ainsi exposer son armée, sauf à penser qu’en effet il se croyait sûr de son impunité.
George Bush eut la sagesse de s’arrêter après la destruction de l’armée irakienne. Mais dix ans après, les attentats du 11 septembre relancèrent le dossier. Convaincu par son entourage belliciste bien connu sous le vocable de néo-conservateurs avec Dick Cheney et Donald Rumsfeld en tête, George Bush junior décida d’attaquer à nouveau l’Irak. L’idée officielle était de renverser Saddam Hussein et d’imposer une démocratie de type occidental à un pays qui ne l’avait jamais connue, mais qui ne demandait sûrement qu’à en découvrir les bienfaits. L’idée plus réelle était de semer le chaos en détruisant un Etat structuré et ennemi d’Israël. La Syrie fut un objectif constant des Américains pour les mêmes raisons.
Comme Saddam n’était pour rien dans les attentats du 11 septembre, on inventa la fable des armes de destructions massives. N’y crurent que ceux qui le voulaient bien, il n’y eu jamais la moindre preuve ni même le début d’une démonstration plausible. Les Allemands et les Français ne marchèrent pas dans la combine et Dominique de Villepin fit un beau discours à l’ONU pour refuser la guerre. Soulignons en passant que ce fut le dernier acte d’indépendance de la diplomatie française. Un axe Paris-Berlin-Moscou sembla alors se dessiner, uni dans le refus des aventures militaires américaines. Cauchemar pour Washington dont une des bases de son hégémonie repose sur la mésentente entre la Russie et l’Europe occidentale. Ça s’est arrangé depuis.
L’expédition irakienne fut un désastre. Les mensonges américains furent connus du monde entier et ridiculisèrent l’administration Bush. Les opérations militaires se passèrent mal, plusieurs milliers de soldats américains furent tués non par l’armée irakienne mais par une guérilla sunnite naissante, qui n’acceptait ni l’occupation américaine ni le pouvoir offert aux chiites, et qui aboutira à la création de Daech. Le scandale des tortures infligées aux prisonniers irakiens dans la prison d’Abou Graïb fut la cerise sur le gâteau qui engendra progressivement le rejet par l’opinion américaine de ces aventures incessantes si coûteuses et si contestables. Donald Trump saura exploiter cette nouvelle donnée.
L’influence américaine au Proche-Orient subit bien sûr le contrecoup de cette expédition ratée et criminelle qui, soit dit en passant, provoqua la quasi-fin des chrétiens d’Irak. Les années Obama (2008-2016) n’inversèrent pas la tendance, bien au contraire. Ces années furent notamment marquées par les printemps arabes en 2011. L’Amérique (l’Europe aussi d’ailleurs) abandonna deux alliés traditionnels en Afrique du Nord, Moubarak en Egypte et Ben Ali en Tunisie tandis que Poutine volait au secours de Bachar al-Assad en Syrie. Cette succession d’événements accréditèrent l’idée que l’amitié américaine n’était pas très fiable en cas de tempête. L’invraisemblable expédition franco-anglo-américaine en Libye et le champ de ruines qui en a résulté ne firent que confirmer le fait que l’Amérique ratait tout, même si l’idée libyenne fut d’abord française.
La CIA s’activa beaucoup en Syrie. L’occasion était trop belle d’envisager de se débarrasser enfin de ce régime ami de Moscou et de Téhéran. Elle livra des armes à des « rebelles modérés » qui n’étaient pas très modérés et revendaient leurs équipements à d’autres groupes. Des armes américaines se retrouvèrent ainsi entre les mains de groupes islamistes purs et durs ce qui fit un joli scandale. Ulcéré, Obama ordonna à la CIA de tout arrêter.
Le mandat de Trump fut plus calme. Il ne déclencha aucune guerre, chose très nouvelle pour un président américain, tout en soutenant Israël comme personne. Il fit même transférer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, piétinant ainsi le statut spécial de la ville sainte. Le monde sunnite regarda cela avec circonspection, mais la cause palestinienne était presque passée par pertes et profits depuis déjà un certain temps, et finalement tout le monde avala la pilule.
PERTE D’INFLUENCE EN ARABIE SAOUDITE
Ce fut l’inénarrable Joe Biden qui réussit à fâcher l’Amérique avec l’Arabie Saoudite, acteur incontournable du Proche-Orient. A la suite de l’assassinat de l’opposant saoudien Jamal Khashoggi dans les locaux du consulat saoudien d’Istanbul, Biden, en pleine campagne électorale, annonça son intention de faire du prince héritier Mohamed ben-Salman (MBS), un paria.
MBS ne pardonna jamais cette insulte. Il avait déjà proclamé son intention de rééquilibrer sa diplomatie et de prendre son autonomie par rapport à Washington en se rapprochant de Moscou et de Pékin. La maladresse de Biden accéléra ce processus et, crime de lèse-majesté ultime, l’Arabie accepta que ses ventes de pétrole à la Chine soient payées en yuan. Le roi dollar attaqué par le plus vieil allié de Washington, c’était un tournant majeur qui n’a pas été assez souligné. La dédollarisation du monde, tant voulue par la Chine et la Russie, accélérée par Ryad, voilà qui en dit long sur le déclin américain.
De plus, Pékin organisa une rencontre entre les ministres des affaires étrangères saoudien et iranien. Les échanges furent constructifs et les deux hommes posèrent ensemble devant les photographes, flanqués du ministre chinois qui avait du mal à cacher sa joie. Washington ressentit très mal cet armistice qui créait une brèche dans le socle de base de l’hégémonie américaine au Proche-Orient : avec les sunnites contre les chiites.
L’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et la réaction israélienne furent la démonstration que l’Amérique comptait moins. Israël rasa Gaza, faisant plus de 45 000 morts et jetant dans la rue des centaines de milliers de civils. Cette violence déplut au monde sunnite qui n’avait pourtant pas approuvé les exactions du Hamas, sunnite lui-aussi.
L’affaire tombait vraiment mal pour Washington pressé d’élargir les accords d’Abraham. Ces traités, signés entre Israël, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn actent la reconnaissance de l’Etat d’Israël en échange de pas grand-chose, à part le gel de l’annexion de la Cisjordanie. Donald Trump en fut l’artisan et rêvait de l’élargir à l’Arabie Saoudite et au Qatar qui traînaient un peu des pieds en raison de l’hostilité de leurs opinions publiques. La destruction de Gaza mit un terme à l’affaire.
ISRAEL N’ECOUTE PLUS WASHINGTON
Pendant ces mois de bombardements, Joe Biden et Anthony Blinken demandèrent à de multiples reprises à Benjamin Netanyahu de modérer ses ardeurs guerrières contre des civils. En vain. De même, les bombardements de Beyrouth et l’occupation du Liban sud inquiétèrent les Américains qui se demandaient où s’arrêterait Israël.
Mais rien n’y fit. Netanyahu a clairement indiqué au président et à son secrétaire d’Etat qu’il s’arrêterait quand il le jugerait bon. Il y a un côté surréaliste à cette situation car les Etats-Unis fournissent à Israël, depuis octobre 2023, des armes en immense quantité au moyen d’un gigantesque pont aérien. S’ils ne sont pas d’accord, pourquoi continuer ? Et comme ils continuent, Israël aurait en effet tort de se gêner.
Cette situation est tout à fait nouvelle. Auparavant, lorsqu’un président américain appelait, Israël obtempérait. Un coup de fil glacial de Ronald Reagan est ainsi resté célèbre. Une autre époque.
Le dernier acte de cet affaiblissement américain fut le renversement de Bachar al-Assad en Syrie. Les Etats-Unis n’y ont joué quasiment aucun rôle. L’organisateur fut Erdogan, qui n’a sûrement pas demandé son avis à Washington, et le bras armé Hayat Tahrir al-Cham (HTC) organisation classée comme terroriste par les Etats-Unis qui ont indiqué qu’ils allaient sans doute reconsidérer leur position. C’est ce qui s’appelle courir après l’évènement.
Israël joue sa partition solitaire en bombardant depuis des mois le Hezbollah, y compris sur le territoire syrien, et en empêchant les renforts irakiens et iraniens d’arriver sur le champ de bataille. Ce dernier fait fut sans doute décisif car les troupes de HTC étaient loin d’être irrésistibles. L’effondrement de l’armée syrienne, soit dit en passant, reste une énigme dont nous aurons peut-être la clé un jour.
Washington a donc été passif face à l’effondrement du dirigeant d’un pays majeur au Proche-Orient.
C’est sans doute une première, et c’est un symbole fort de l’affaiblissement américain au Proche-Orient.
Trump inversera-t-il la tendance ?
Antoine de Lacoste
SouvenirdeBainville
Il est peu informé: l’effondrement d’une armée syrienne, non payée par un pouvoir ruiné par une guerre internationale organisée par les USA et leur enfant Daech, et le pillage de ses ressources par les USA, est facile à comprendre.
L’auteur ne met pas assez en évidence, la malfaisance US: organisation de Daech, sanctions économiques inhumaines pour le peuple syrien, vol de son pétrole et de ses céréales.
Meltoisan
A quand un article titré : “L’affaiblissement français partout dans le monde” ?
ModTrebuig
La leçon de cette histoire et de bien d’autres, c’est que “Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts”. C’est particulièrement vrai pour les États Unis d’Amérique. A bon entendeur, salut.
zongadar
H.Kissinger : ” Etre ennemi des US est dangereux, être ami est fatal “
Montalte
Cette perte d’influence est réelle et ce n’est pas bon signe que la Turquie reprenne le leadership. déjà que le Qatar, l’Iran et l”Arabie Saoudite, c’est dangereux. A voir si Trump retourne les choses mais son échec face à la Corée du Nord lors de son 1er mandat est inquiétant