La première partie de cet entretien est à retrouver ici.
Au sein de l'Eglise, le débat sur l'immigration doit-il en rester uniquement au niveau théologique, philosophique et/ou moral ? Serait-il possible d'avoir un débat sur le plan démographique ? Autrement dit, en refusant d'aborder les chiffres concrets, n'y a-t-il pas un déni du réel ?
Le fait est que le discours de l’Église, sur ces questions, n’aborde quasiment jamais la dimension collective du problème. Elle parle d’individus, de familles, jamais de masse considérables. Quand le pape François, qui reconnaît que nous faisons face à une « invasion », mentionne cette dimension collective, c’est toujours pour inviter à ne considérer malgré tout les migrants que sous l’angle personnel : « Nous ne devons pas reculer devant leur nombre, mais plutôt les voir comme des personnes, en les regardant en face et en écoutant leurs histoires », déclare-t-il ainsi, en septembre 2015, devant le Congrès des États-Unis. L’Église, par ailleurs, parle toujours du migrant avec un grand “M” : c’est un migrant abstrait, sans origine déterminée, qu’il faut accueillir quoiqu’il arrive, en respectant sa culture et sa religion d’origine, quelle qu’elles soient, puisque l’Église condamne de manière répétée toute politique d’assimilation (« On doit en effet exclure aussi bien les modèles fondés sur l’assimilation, qui tendent à faire de celui qui est différent une copie de soi-même, que les modèles de marginalisation des immigrés, comportant des attitudes qui peuvent aller jusqu’aux choix de l’apartheid », écrit ainsi Jean-Paul II dans son message 2005). L’Église se contente de prôner l’intégration, comme si c’était la même chose d’intégrer quelques familles étrangères de même culture et de même religion, et des centaines de milliers de personnes d’origine orientale ou africaine, de culture radicalement différente de la nôtre et fidèles d’une religion musulmane de plus en plus conquérante : mais ces distinguos-là, l’Église persiste à ne pas les faire, comme si ça n’était pas son problème, au prétexte qu’il ne serait pas chrétien de “faire le tri” entre les migrants… Pourtant le pape François lui-même, en revenant de Suède, le 1er novembre dernier, a reconnu qu’il y avait imprudence à recevoir plus de personnes qu’on ne peut en intégrer. Il est dommage qu’il ait multiplié les déclarations où il semble dire exactement le contraire.
Il me semblait que Benoît XVI, lorsqu'il avait énoncé les principes non négociables (respect de la vie, défense de la famille, liberté scolaire et promotion du bien commun, in Sacramentum Caritatis n°83), c'est-à-dire les fondamentaux de la société dont le respect est absolu quels que soient l'époque, le lieu et les circonstances, n'a pas évoqué l'immigration. N'y a-t-il pas là une brèche pour rappeler aux autorités catholiques que la politique d'immigration n'est pas un droit illimité, mais elle est négociable en fonction des circonstances et que par conséquent elle reste soumise au bien commun ?
D’une certaine façon, le Catéchisme de l’Église catholique, en son n° 2241, fournit déjà l’occasion de ce rappel, puisqu’il stipule que « les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont elles ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges ». Le problème est que cet article – outre qu’il n’explicite pas la dimension collective de la question et qu’il omet de préciser que les États devraient avoir le droit de stopper l’immigration quand ils estiment que la proportion de population d’origine étrangère est trop élevée et menace le respect de l’identité nationale – est constamment ignoré ou minoré par le discours ecclésial, qui tend à absolutiser le droit à l’immigration, devant lesquelles les autorités politiques sont presque toujours, concrètement, appelées à céder au nom du respect des droits humains. Jusqu’au point où le secrétaire général de la conférence épiscopale italienne, Mgr Galantino, nommé à ce poste par le pape François, déclare que nous devons accueillir tous les migrants, comme une compensation que nous leur devons pour avoir pillé continûment leurs pays durant la colonisation ! La première chose à exiger aujourd’hui des autorités catholiques est donc de respecter la cohérence de la doctrine.
Sur les points non négociables, en réalité, je serais surtout favorable à ce qu’on ne les limite pas aux questions familiales et bioéthiques, comme on le fait trop souvent (s’adressant le 30 mars 2006 aux parlementaires du Parti Populaire Européen, Benoît XVI les avait ainsi définis : « la protection de la vie à toutes ses étapes », « la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille », « la protection du droit des parents à éduquer leurs enfants »), mais qu’on les étende aux questions politiques : car si les conditions de survie politiques de la Cité disparaissent, si ce que saint Thomas d’Aquin appelle la préservation de « l’état tranquille de la Cité », en quoi il voyait la principale mission de l’État, n’est plus possible, alors les points non négociables tels que les a définis Benoît XVI sont emportés avec tout le reste. Je souhaiterais donc qu’on leur adjoigne ces autres points non négociables qui me semblent en être la condition sine qua non : l’amour et la défense de la patrie ; la défense et la promotion de l’identité nationale ; la défense et la promotion de la culture et du patrimoine national – ce qui inclut dans le cas de la France la reconnaissance qu’il n’y a pas “des religions” qui se valent toutes plus ou moins, mais qu’il est bien parmi elles une religion indissociable de l’âme même du pays, le catholicisme, qui est comme la colonne vertébrale de notre identité. Si ces points non négociables-là étaient reconnus par l’Église, il me semble que la légitimité des États à réguler l’immigration serait beaucoup mieux assurée. Et, au passage, que l’intégration des Français d’origine étrangère en serait grandement facilitée, car la reconnaissance de l’identité chrétienne de la France est le seul moyen d’éviter à notre pays la rivalité communautaire dans laquelle elle semble aujourd’hui se précipiter inexorablement.
Laurent Dandrieu sera sur Radio-Courtoisie dimanche 12 février de 12 h à 13 h 30 dans le Libre Journal de Jean-Pierre Dickès, qui sera animée par Luc Perrel, avec également l'abbé Guy Pagès. L'émission est rediffusée le même jour de 16 h à 17 h 30.