L’avènement d’un contrôle massif des naissances a bien d’autres conséquences, qui excèdent de loin la pseudo-libération des femmes : en transformant les conditions dans lesquelles les êtres humains viennent au monde et se forgent leur identité, il affecte profondément la famille, l’éducation et plus généralement notre rapport à la vie et à la filiation :
[…] Auparavant, comme dans la liturgie de Noël, où il est dit « Un enfant nous est né », un enfant arrivait aux parents. En le faisant naître, ils obéissaient à la nature, au hasard, à la tradition, à la loi divine, à l’injonction du collectif ; cela n’impliquait de leur part aucun jugement sur sa vie future. Tous les parents souhaitaient sans doute que leur enfant fût heureux, mais cela restait un souhait. Maintenant qu’eux seuls décident de sa naissance, cela devient un présupposé de départ. En optant, souverainement, pour l’avènement d’un nouvel individu, les parents partent du principe que sa vie est préférable à sa non-vie, autrement dit qu’elle sera globalement bonne – ou du moins ils doivent en faire le pari.
Or, ce pari est incertain. La vie n’est pas que bonne : on y rencontre toujours, quelque chanceux qu’on soit, de la souffrance et de l’injustice – sans parler des cas où elle est d’emblée douloureuse, comme dans le cas d’un handicap. Pire, elle se termine par la mort, d’autant plus insupportable, d’ailleurs, que ses conditions ont, elles aussi, drastiquement changé (avant, on mourait pour revivre ; maintenant, la mort signe la fin définitive de l’individu). Pour les parents des « enfants du désir », c’est source de dissonance morale : au cri « Je n’ai pas demandé de naître » de l’enfant malheureux, ils pouvaient jadis répondre : « Dieu l’a voulu » ; désormais, ils doivent avouer : « C’est nous qui te l’avons imposé ». Ils sont donc portés à limiter, autant que possible, les sources de ce désagrément. […]
[L]a généralisation du contrôle des naissances conduit à une forte chute de la natalité. En évoquant ce paradoxe – « [la] société qui met en avant le modèle de l’enfant du désir est objectivement la société du refus de l’enfant » –, Marcel Gauchet insiste sur « un phénomène sans précédent dans l’Histoire qui devrait être au cœur d’une anthropologie du contemporain : la non-reproduction spontanée d’une population, alors que les conditions de ressources et de sécurité sont on ne peut plus favorables ». […]
Peut-on, sachant que nos enfants auront une vie sans doute plus difficile que la nôtre, s’arroger le droit de les faire naître pour satisfaire notre désir ? Voilà la question morale qui se posera avec de plus en plus d’acuité. Comment va évoluer la fécondité à mesure que nos conditions de vie vont se détériorer, et quel rapport entretiendrons-nous avec les « enfants du désir » qui naîtront dans cette conjoncture défavorable ?
Si l’on en croit les enquêtes successives, la part des femmes en âge de procréer qui ne souhaitent pas enfanter a bondi ces dernières années en France, passant de 4,3 % en 2010 à 30 % en 2022 ; outre-Atlantique, les chiffres sont aussi en augmentation. Le refus d’enfanter n’est pas toujours justifié par l’angoisse face à l’avenir, mais ce motif est de plus en plus présent. Le sujet est polémique : pour les childfree, ce choix est une affaire de responsabilité vu les difficultés qui nous menacent ; pour leurs détracteurs, il n’est que le reflet de l’égoïsme des nouvelles générations, fruit de décennies de consommation et de libéralisme.
Les deux points de vue se complètent pourtant plus qu’ils ne s’opposent : les jeunes d’aujourd’hui, nés du désir de leurs parents et élevés au comble de l’individualisme, ont certainement intégré plus encore que leurs aînés l’idéal d’une vie autonome et libre de toute contrainte. Mais ils sont, du même coup, particulièrement exposés à l’angoisse de ne pas pouvoir assurer à leur progéniture le même degré de paradis. En effet, il est probable que ceux qui se résoudront à avoir des enfants – et ils seront malgré tout une majorité – devront faire face à une contradiction croissante entre l’impératif d’une éducation heureuse, d’autant plus catégorique que le poids moral qu’ils supporteront sera important, et la nécessité de préparer leurs héritiers à un avenir complexe, peut-être catastrophique. […]
Meltoisan
La réalité est terrible : elle a horreur du vide. Que ceux qui ne souhaitent pas avoir d’enfants se rassurent ; les enfants d’autres cultures, nombreux, viendront profiter de l’héritage qu’ils ne transmettront pas.
zongadar
Pas tout à fait cela, il y a deux objectifs différents : 1° diminuer la population, 2°créer une population homogène déracinée. Donc ce n’est pas l’un par l’autre mais l’un et l’autre. et ce, sans tenir compte de ce que Albert écrivait qui est encore autre chose : l’anéantissement d’un groupe ethnique ou culturel par un autre pour en faire profiter un troisième. Certes, le résultat est le même. Y.Harari est intéressant aussi à écouter ou tout au moins à connaître.
Remy
Des précisions : Qui est Albert ?
Faire profiter un troisième groupe ? C’est une thèse de Y Harari ? (honnêtement je ne l’ai pas lu et à priori n’aurait pas le temps ni le courage).
Cordialement.
Renaud69
Nous avons vécu quelques siècles avec l’idée que la maitrise, le contrôle étaient bons.
Ce n’était pas faux tant que le contrôle restait à la marge comme satisfaction de notre désir d’action, d’amélioration, de progrès.
Mais depuis disons le tournant du siècle ce n’est plus vrai.
Le contrôle a dépassé les limites et compromet l’avenir ouvert qu’il transforme en futur programmé dont le principe est le meurtre.
La vérité de la haute spiritualité devient nécessaire à tout un chacun.
Comme le Bouddha a découvert que l’ascétisme, donc le contrôle, ne menait pas à la Vérité nous devons tous le découvrir avant la destruction de l’humanité.
Cela est particulièrement criant dans le domaine de la médecine.
margot
Aujourd’hui les femmes enceintes disent-elles “j’attends un enfant” ou “je suis enceinte” ?
On entendait “Elle est tombée enceinte” Horrible !
collinrem
Chez les végétaux trop bien nourris (en particulier en matières azotées et eau), on constate une “épanouissement ” de l’individu (développement des parties végétales, tiges, feuilles, …), au détriment de la fonction reproduction (floraison et fructification), qui est dans le meilleur des cas retardée, parfois empêchée. C’est une constatation agronomique, dont on commence à comprendre certains aspects biochimiques.
Les producteurs de fleurs, et ceux de graines pour la reproduction, le savent :
pour favoriser la fleur (puis la graine), il faut éviter les surfertilisations, … : la “plante-mère” doit un peu “souffrir (c’est à dire il faut limiter la fertilisation et l’arrosage au strict nécessaire, voire un tout petit peu moins), sinon, elle “végète”, c’est à dire fait de la feuille, et pas de la fleur et du fruit …
Une plante qui “souffre”, fait la graine plus tôt qu’une plante correctement nourrie, …
Dans une société humaine trop riche et trop bien nourrie, c’est l’épanouissement de l’individu qui prime, au détriment de la venue des enfants, de la continuité de la vie et de la société. On peut aussi le constater, les populations les plus pauvres étant en règle quasi général plus fécondes que les populations matériellement riches.
La pauvreté étant la presque satisfaction des besoins vitaux, sans excès, différent de la misère, où les besoins vitaux ne sont pas assurés, donc la reproduction non plus. Le luxe étant l’abondance des éléments nutritifs, ou des biens matériels au delà du nécessaire .
Il semble que ce soit une loi générale de la vie. Aussi bien sur le plan de la biologie que de la sociologie. Effectivement, avoir des enfants, les élever convenablement, demande une somme d’efforts, de sacrifices en temps et moyens matériels, … qui sont de moins en moins acceptés aujourd’hui, les individus, ou couples, préfèrent “s’épanouir”, sans être compliqués par la venue d’enfants… Et la société actuelle sait s’y prendre par les diverses tentations, …
Ces gens là ne connaissent pas le vrai bonheur d’avoir des enfants, …, et oublient que la vrai satisfaction de l’humain, homme ou femme, se trouve dans la transmission, même pour ceux qui n’ont pas d’enfants biologiques.
Seuls les hommes, parce que seuls créés à l’image de Dieu, pourraient (théoriquement!) par la Foi, l’Espérance et la Charité, dans l’aisance matérielle, accepter le “sacrifice” d’avoir et d’élever des enfants…
Sacrifice qui en réalité, n’en ai pas un, la joie d’élever des enfants étant sans commune mesure avec les pauvres et limitées jouissances matérielles.
Le Christ a bien dit : “heureux les pauvres”, et non heureux les miséreux, ou heureux ceux qui vivent dans le luxe, …