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France : Société / L'Eglise : Vie de l'Eglise

L’Avent, l’anti Black Friday

L’Avent, l’anti Black Friday

Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :

La couleur sombre, les sanctuaires ne la revêtent que pour les funérailles et les obsèques. La société de consommation, elle, s’habille de noir à l’occasion du Black Friday. Le grand raout du matérialisme effréné s’affiche en ébène. Quel contraste avec la vie liturgique de l’Eglise catholique qui, de son côté et à la même période, entre en Avent, période préparatoire à l’accueil de la lumière. Black Friday contre Avent étoilé. Injonction à consommer contre invitation à se consumer. Se servir contre accueillir. L’ivresse des « fêtes de fin d’année » presse les badauds à lécher les vitrines quand le recueillement de l’Avent suggère de célébrer la vie.

Bernanos : « Noël aura-t-il lieu ? »

Déjà en 1947, Georges Bernanos, en prophète, se demandait : « Noël aura-t-il lieu ? ». Dans ses Essais et écrits de combats il annonçait la couleur sombre des temps sans Dieu :

« On imagine très bien les hommes s’interrogeant entre eux un matin du 26 décembre : « Mais, dites donc, n’était-ce pas hier Noël ? – Noël ? Voyons, voyons, nous étions hier le 24, consultez le calendrier… – Alors, c’est aujourd’hui Noël ?… – Pas du tout, nous sommes aujourd’hui le 26, fête de saint Étienne. Étienne, c’est justement le nom de mon oncle. – Sacrebleu ! il y a maldonne, on devrait téléphoner aux savants de l’Observatoire. Après tout, ils sont payés pour mesurer le temps, il faudra bien qu’ils nous rendent compte d’un jour de moins… » (…) On est en droit de se demander s’il y aura encore longtemps des nuits de Noël, avec leurs anges et leurs bergers, pour ce monde féroce, si éloigné de l’enfance, si étranger à l’esprit d’enfance, au génie de l’enfance, avec son réalisme borné, son mépris du risque, sa haine de l’effort qui inspire la plupart de ses rêveries mécaniques – haine de l’effort qui s’accorde beaucoup moins paradoxalement qu’on ne pense à son délire d’activité, à son agitation convulsive. Que viendra faire dans un monde tel que celui-ci un jour consacré depuis deux millénaires à l’enfance éternelle qui, à chaque génération, fait déborder à travers nos cloaques son flot irrésistible d’enthousiasme et de pureté ? (…)

Et l’auteur du Journal d’un curé de campagne d’avertir ses lecteurs potentiellement surpris devant sa réflexion austère sur une fête pourtant si joyeuse. Il tient à préciser qu’il ne s’agit pas seulement d’une controverse scolaire entre Anciens et Modernes mais d’une réalité bien plus grave :

« Lorsque l’esprit de jeunesse s’affaiblit dans le monde, c’est l’esprit de vieillesse qui l’emporte… »

Reconsidérer la vie à l’école de l’Avent

Justement, cet esprit de jeunesse, les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont souhaité l’encourager en promouvant les “Veillées pour la Vie”, le samedi soir précédant le premier dimanche de l’Avent. Ainsi, dans nombre de cathédrales, d’églises, de chapelles et d’oratoires hier soir, des fidèles se sont réunis hier soir pour prier pour la vie. Partout sur la planète, des petits groupes ou des foules nombreuses se sont rassemblées, des mains se sont jointes, des personnes sont venues rencontrer Dieu. Et dans le silence de l’adoration, ces fidèles ont cherché à honorer Dieu pour le don de la vie – et le don de sa vie – en soulignant sa grandeur, sa noblesse et son mystère.

Cette démarche de prière et d’adoration – âme de tout apostolat –, a valeur d’un cri jeté par des petites chrétientés dans l’atmosphère consternante d’un univers transformant la crèche de Bethléem en grande surface. Un cri de vie contre la culture de mort. Un signal de phare à l’adresse d’un monde déboussolé. Une plainte vers le ciel en pitié pour notre monde sans vie.

Car la grande leçon de l’Avent réside certainement là. Les catholiques rentrent durant cette période dans une véritable école de vie : son attente et son accueil. Chaque baptisé relit avec un regard renouvelé les avertissements forts que contiennent l’évangile selon saint Jean : « En Lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. » (Jn 1, 4), « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. » (Jn 14, 6) ou encore : « Je suis la lumière du monde, celui qui me suit aura la lumière de la vie. » (Jn 8, 12)

Mais qu’est-ce donc que la vie ? D’une cour récréation remplie d’enfants espiègles et malicieux, on dira qu’elle est “pleine de vie”. Les jeunes mariés promettent de s’aimer “pour la vie”. Des fleurs dans un salon ou un chœur de scouts sur une place de village, sans mentir, l’on dira que “ça met de la vie”. Dans le même temps, à observer le monde et écouter les informations, on ne réalise que trop combien la vie est défigurée. Des fausses théories, des théories de mort malmènent la vie. Et il arrive même, bien que leur espèce devienne trop rare, que des médecins, des philosophes, des hommes de lettres et d’Eglise rappellent que “la vie est en danger”…

Dans l’histoire des idées, il n’y aurait qu’à observer les différentes postures vis-à-vis de la vie pour s’en convaincre. L’anarchiste a en horreur l’ordre naturel des choses ; pour lui cet ordre est un affront à sa liberté. Sa devise, il l’inscrit sur les murs : « Perds pas ta vie à essayer de la gagner ». Le matérialiste fait de son ventre un dieu. La perte du sens des priorités le pousse d’abord à « bien gagner sa vie », au risque de mépriser « la vie de l’esprit et de l’âme ». Le relativiste, fatigué de la vérité, proclame sans peine « à chacun sa vérité, à chacun sa vie ». Frédéric Mitterrand, touriste libertin notoire était allé jusqu’à intituler son roman autobiographique du titre évocateur : La mauvaise vie (Robert Lafont, 2005). Le fataliste soupire devant l’épreuve un « c’est la vie », aussi enthousiasmant qu’une grève un jour de départ en vacances quand l’idéologue murmure à qui veut l’entendre un « vis ma vie » injonctif et désagréable.

La vie, à l’école de l’Avent, possède une toute autre signification. Dérivé du latin adventus, « Avent » pourrait se traduire par « présence », « arrivée », « venue ». Dans le langage du monde antique, expliquait Benoît XVI, il s’agissait même d’un terme technique utilisé pour indiquer l’arrivée d’un fonctionnaire, la visite du roi ou de l’empereur dans une province. Aussi, le sens profond de l’expression « Avent » comprend cette notion de visitatio, qui veut dire, simplement et précisément, « visite ». Dans le cas de la perspective de Noël, les croyants affirment qu’il s’agit d’une visite de Dieu. Dieu s’apprête à descendre sur la terre et à entrer dans la vie des hommes comme les crèches provençales le suggère. Avouons que la chose est plus enchantante et plus enthousiasmante qu’une réduction -25% à l’occasion du Black Friday. L’Avent promet, rien de moins, que d’effacer nos ardoises par la venue de l’Enfant Jésus. Le cadeau n’est pas seulement impressionnant, il est inédit : l’inouïe s’apprête à venir nous rencontrer. Sans doute cela vaudrait la peine de s’y arrêter.

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