L’avis du Conseil d’Etat est ici. Voici le passage concernant le liberté scolaire :
[…] Mais si la réforme prévue par le Gouvernement ne paraît pas rencontrer d’obstacle conventionnel, elle soulève de délicates questions de conformité à la Constitution.
La première est celle de savoir si le droit pour les parents de recourir à une instruction des enfants au sein de la famille, institué par la loi du 18 mars 1882 et constamment réaffirmé et appliqué depuis, ne relève pas d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, autonome ou inclus dans la liberté de l’enseignement. Si tel était le cas, le projet du Gouvernement se heurterait à une objection de principe.
Le Conseil d’Etat relève à cet égard qu’aucune décision du Conseil constitutionnel ne traite spécialement de cette question et que les décisions, peu nombreuses, relatives à la liberté de l’enseignement, qualifiée de principe fondamental reconnu par les lois de la République par la décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, ne se prononcent pas sur ce point : elles n’ont, à ce jour, reconnu comme composante essentielle du principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement que l’existence même de l’enseignement privé (Décision n° 99-414 DC du 8 juillet 1999), l’octroi de financements publics aux établissements en relevant (Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, Décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994) ainsi que le respect dû au caractère propre de ces établissements (Décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985). Il note cependant que, par une décision du 19 juillet 2017, Association Les Enfants d’abord et autres, n° 406150, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a jugé que le « principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’Etat, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille. »
Mais en tout état de cause, la suppression du droit de choisir d’instruire un enfant au sein de la famille, qui restreint une liberté de longue date reconnue par la loi aux parents, même si elle n’a jamais été utilisée que par une petite minorité d’entre eux (environ 0,4 % des enfants d’âge scolaire en 2018-2019), doit être appréciée au regard de sa nécessité, de son adéquation et de sa proportionnalité au regard des difficultés rencontrées et de l’objectif poursuivi.
Mettant en avant le droit de l’enfant à l’instruction, qui est une exigence constitutionnelle et conventionnelle, le Gouvernement justifie la réforme proposée, en premier lieu, par la nécessité d’assurer l’instruction complète et effective de l’enfant ainsi que sa sociabilisation, en deuxième lieu, par l’augmentation sensible et en accélération ces dernières années du nombre d’enfants concernés, avec les difficultés qui en résultent pour l’exercice des contrôles auxquels doivent procéder les services académiques, en troisième lieu, par les carences de l’instruction dispensée en famille que relèvent, dans une proportion non négligeable, ces contrôles, et, enfin, par certaines dérives dans l’utilisation par les parents de ce mode d’instruction, soit qu’elle dissimule le recours à des écoles clandestines, soit qu’elle conduise à mettre en danger la santé psychique de l’enfant.
Le Conseil d’Etat relève toutefois que les carences et dérives mentionnées ci-dessus, si elles sont avérées, ne concernent, selon les indications mêmes données par le Gouvernement, qu’une très faible proportion de situations, en tout cas, s’agissant des carences dans l’instruction dispensée, pour celles qui peuvent être qualifiées de graves. Il estime que l’augmentation récente du nombre d’enfants instruits dans leur famille et les difficultés qui peuvent en résulter, en termes de moyens, pour les services académiques, ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à justifier la suppression de la liberté pour les parents de recourir à ce mode d’instruction de leurs enfants. Il souligne enfin que, malgré les indications qualitatives qui figurent dans l’étude d’impact, cette suppression n’est pas appuyée par des éléments fiables et documentés sur les raisons, les conditions et les résultats de la pratique de l’enseignement au sein de la famille : les éléments dont on dispose permettent surtout de savoir que cette réalité est très diverse. Or, le projet du Gouvernement pourrait conduire, selon les indications de l’étude d’impact, à scolariser obligatoirement plus des trois-quarts des enfants actuellement instruits en famille.
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime, au regard de la grille d’analyse relative à son office mentionnée au point 9 ci-dessus, qu’en l’état, le projet du Gouvernement ne répond pas à la condition de proportionnalité ou à celle d’une conciliation non déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles et conventionnelles en présence.
Pour autant, et alors même que des lois récentes ont déjà nettement renforcé les dispositions relatives au contrôle de l’instruction en famille, le législateur peut faire le choix, sans se heurter aux mêmes obstacles, d’un nouveau resserrement au service des objectifs énoncés ci-dessus, de façon notamment à empêcher que le droit de choisir l’instruction en famille ne soit utilisé pour des raisons propres aux parents, notamment de nature politique ou religieuse, qui ne correspondraient pas à l’intérêt supérieur de l’enfant et à son droit à l’instruction.
Le Conseil d’Etat propose donc, plutôt que de supprimer la possibilité d’instruction dans la famille sauf « impossibilité » avérée de scolarisation, de retenir une rédaction énonçant dans la loi elle-même les cas dans lesquels il sera possible d’y recourir. Dans la version du texte qu’il adopte et qu’il transmet au Gouvernement, il fait le choix d’un encadrement reposant sur des motifs précis, dont l’appréciation pourra être contrôlée par le juge administratif, et offrant des garanties aux familles qui entendent mettre en œuvre un projet éducatif de qualité. Cette modalité d’instruction serait ainsi soumise non plus à une simple déclaration mais à une autorisation annuelle de l’autorité académique accordée seulement pour certains motifs : l’état de santé ou le handicap de l’enfant, la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, l’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique d’un établissement scolaire, ou encore « l’existence d’une situation particulière de l’enfant, sous réserve alors que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille ». Ce dernier motif préserve une possibilité de choix éducatif des parents, mais tiré de considérations propres à l’enfant.
Dispositions relatives aux établissements d’enseignement privés « hors contrat »
62. Le projet de loi modifie les dispositions relatives au contrôle des établissements d’enseignement privés « hors contrat », régis notamment par les dispositions des articles L. 441-1, L. 442-2 et L. 442-3 du code de l’éducation. Ces établissements sont soumis lors de leur ouverture à un régime de déclaration préalable à laquelle peuvent faire opposition le recteur, le préfet, le maire et le procureur de la République pour des motifs que la loi n° 2018-266 du 13 avril 2018 a élargis et tirés notamment de l’intérêt de l’ordre public ou de la protection de l’enfance et de la jeunesse. Mais, à la différence des établissements ayant conclu avec l’Etat un contrat d’association ou un contrat simple, qui s’engagent à respecter les programmes de l’enseignement public en contrepartie d’une prise en charge de la rémunération de leurs enseignants et des frais de fonctionnement de leur externat, les établissements d’enseignement privés « hors contrat » bénéficient d’une grande liberté dans leur organisation et dans les enseignements qu’ils dispensent, à la condition que ces enseignements respectent le droit des élèves à l’instruction et les normes minimales de connaissances requises par l’article L. 131-1-1 du code de l’éducation.
Le contrôle de l’activité de ces établissements a été progressivement resserré, ainsi que les sanctions en cas de manquements, par la loi du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l’obligation scolaire, par la loi n° 2018-266 du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrats et, en dernier lieu, par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Ces sanctions incluent la possibilité, pour le juge judiciaire, de prononcer la fermeture de l’établissement dans les trois situations suivantes : lorsque l’établissement a ouvert en méconnaissance des dispositions régissant l’ouverture des établissements d’enseignement privé, et constitue alors un « établissement de fait » ; lorsqu’il a refusé de se soumettre à la surveillance et à l’inspection des autorités scolaires ; lorsque, enfin, il est constaté, à l’occasion d’un contrôle et en l’absence d’amélioration après mise en demeure et nouvelle visite, que les enseignements dispensés ne sont pas conformes à l’objet de l’instruction obligatoire ou que le fonctionnement de l’établissement porte atteinte à l’ordre public. Dès que le procureur a été saisi, l’autorité académique met concomitamment en demeure les parents des élèves concernés d’inscrire leur enfant dans un autre établissement.
Le projet de loi a pour objet principal de transférer du juge pénal au préfet le pouvoir d’ordonner la fermeture provisoire ou définitive de l’établissement et d’aggraver les sanctions pénales encourues par le dirigeant de l’établissement, en portant de six mois à un an la peine d’emprisonnement. Il contraint, par ailleurs, les établissements privés « hors contrat » à communiquer les pièces attestant de l’identité, de l’âge et de la nationalité du personnel de l’établissement autre que le personnel enseignant, pour lequel cette obligation est déjà prévue par la loi, ainsi que de fournir, sur demande du préfet ou du recteur, les documents budgétaires, comptables et financiers qui précisent l’origine, le montant et la nature des ressources de l’établissement. Il resserre enfin les conditions de passation d’un contrat simple ou d’un contrat d’association.
63. S’agissant, en premier lieu, de l’attribution au préfet du pouvoir d’ordonner la fermeture de l’établissement, le Conseil d’Etat observe que ce transfert est justifié par les difficultés nées du temps nécessaire aux procédures judiciaires, qui favorise le comportement dilatoire des dirigeants de l’établissement et des familles concernées et laisse, par suite, perdurer des situations préjudiciables aux enfants. Cette mesure ne rencontre pas d’obstacle juridique de principe, dès lors que le Conseil constitutionnel a estimé « que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d’une part, que la sanction susceptible d’être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d’autre part, que l’exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis » (Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989). Le Conseil d’Etat relève, au demeurant, que de nombreuses dispositions législatives confient au préfet le pouvoir de fermer un établissement ne respectant pas ses obligations, notamment lorsque ce dernier a la charge d’enfants, tels que les établissements d’accueil des jeunes enfants ou ceux responsables des accueils collectifs de mineurs (articles L. 2324-1 à L. 2324-4 du code de la santé publique ; article L. 227-11 du code de l’action sociale et des familles).
Le projet de loi prévoit, en outre, que le juge judiciaire reste compétent pour ordonner la fermeture de l’établissement pour les infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi. Le Conseil d’Etat observe que le principe de la rétroactivité de la loi pénale de fond plus douce, auquel le Conseil constitutionnel a donné valeur constitutionnelle (Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981), repose sur le principe de nécessité des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ne trouve pas, par suite, à s’appliquer dans le cas où la répression antérieure plus sévère est inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s’est substituée (Décision n° 2010-74 QPC du 3 décembre 2010 ; CE, section, 16 juillet 2010, Colomb, n° 294239 ; CE, 5 novembre 2014, Mme J., n°383586). Il relève que la suppression de la sanction pénale de la fermeture de l’établissement ne résulte pas de ce que cette sanction ait été jugée inutile ou excessive et observe, en outre, que le projet prévoit le doublement des peines d’emprisonnement encourues par le dirigeant de l’établissement. Le Conseil d’Etat estime, par suite, que le projet de loi ne met pas en place une loi pénale plus douce.
64. S’agissant, en deuxième lieu, des obligations nouvelles imposées aux établissements privés hors contrat, le Conseil d’Etat observe que l’obligation de communiquer annuellement diverses pièces relatives à l’identité de leur personnel et celle de produire sur demande des documents budgétaires, comptables et financiers sont justifiées par les nécessités de contrôles tendant à assurer le respect de l’ordre public et la protection de l’enfance et de la jeunesse, lesquels imposent de pouvoir s’assurer de l’honorabilité des agents employés et de la provenance des sources de financement des établissements. Elles ne portent pas, par suite, une atteinte injustifiée ou disproportionnée à la liberté de l’enseignement.
65. Enfin, les dispositions prévoyant que les services académiques vérifient, avant la signature d’un contrat simple ou d’association, la capacité de l’établissement privé à assurer un enseignement compatible avec les exigences de ce contrat, qui permettent de fonder un refus de conclure de tels contrats sur des motifs pertinents, ne se heurtent à aucune objection d’ordre juridique.
C.B.
“Cette modalité d’instruction serait ainsi soumise non plus à une simple déclaration mais à une autorisation annuelle de l’autorité académique accordée seulement pour certains motifs”: cela foule aux pieds le libre choix par les parents de la modalité d’instruction qu’ils estiment la plus appropriée pour leurs enfants.
Toute scolarisation “à distance” auprès d’un établissement actuellement reconnu (CNED, Hattemer Academy, Cours Sainte Anne, etc.) DOIT être considérée comme une scolarisation valable, puisque encadrée de fait par des professionnels.
DUPORT
De toute façon et comme d’habitude ils veulent modifier des lois que personne ne leur a demandé de modifier.
Les buts poursuivis sont inavouables.
Si on ne met pas un arrêt total à toutes ces dérives elles seront sans fin…