G. & A.-C. de M. sont interrogées dans La Nef sur la Fraternité Mère de Miséricorde née en 1982. Extrait :
“Concrètement, nous accueillons et accompagnons toute femme, tout homme ou tout couple qui se posent la question de l’accueil de la vie à cause d’une grossesse non désirée ou difficile, ainsi que celles et ceux qui souffrent des conséquences de la perte d’un enfant in utero, que ce soit par une IVG ou de cause naturelle. Au service de la vie, notre Fraternité regroupe un peu plus de 3500 bénévoles : une centaine de bénévoles engagés dans l’écoute, l’accompagnement et la présence locale et 3500 jeûneurs et priants.
Quelles sont les personnes qui viennent principalement vers vous ? Que faites-vous concrètement pour aider à accueillir la vie face à une grossesse non désirée ?
Les personnes directement concernées bien sûr, mais aussi leurs proches. Elles entendent parler de nous par des amis ou de la famille, par internet ou par les prêtres et religieux qui nous connaissent. Concrètement, les personnes nous appellent sur notre numéro national ou nous contactent par mail. Pour répondre à votre deuxième question, je dirai que, stricto sensu, nous ne « faisons » pas. Les écoutantes et écoutants écoutent la personne, sans jugement, avec un profond respect pour son histoire et pour ce qu’elle vit. Car ils savent combien les situations peuvent paraître inextricables, les conditionnements puissants. La miséricorde, c’est déjà partir de la situation de la personne : dans une période qui est un tsunami émotionnel, il est essentiel d’être là et de lui donner l’espace pour faire le tour de ses questions et de ses peurs afin que, progressivement, elle puisse discerner. Ainsi pourra-t-elle laisser résonner en elle la parole « choisis la vie » (Dt 30, 15-20) pour son enfant, et pour elle-même. En gardant à l’esprit que la liberté individuelle est inviolable et que c’est ainsi que Dieu nous a voulus…
Quelles sont vos actions, quelle part entre la dimension purement humaine de votre aide et sa dimension spirituelle ?
Si l’écoute est essentielle, nous ne pouvons nous arrêter là. Il est des personnes qui veulent garder leur enfant alors qu’elles sont dans une grande détresse économique. D’autres quittent leur famille et leurs amis pour fuir la pression et accueillir leur enfant dans le calme et l’amour. D’autres encore aimeraient l’avis d’un médecin qui ne presse pas à l’avortement dès qu’une malformation est identifiée. Nous apportons donc une aide sur ces différents points : en mettant en contact ; en aidant la personne à trouver un logement au sein de maisons d’accueil ; en fournissant une aide matérielle (des affaires de bébé par exemple). Notre aide humaine consiste également à organiser des sessions pour les personnes qui ne surmontent pas le deuil de l’enfant qu’elles n’ont pu accueillir ou qui est mort in utero. Que ce soit sur 5 jours (session « Stabat ») ou sur un week-end (session « Vigne de Rachel »), chaque session est construite pour que le Seigneur vienne faire son œuvre de restauration. […]
On voudrait nous faire croire que l’avortement n’est rien, juste un choix comme un autre. Il est devenu un sujet tabou. Une sorte d’omerta, imposée par la société, empêche de faire remonter à la surface toutes les souffrances, les remords générés par cette décision prise parfois plus de 50 ans auparavant. Qu’entendent ces personnes ? « C’était ton droit, où est le problème ? » « Ce n’était qu’un amas de cellules… des enfants, tu en as eu d’autres depuis ». Ce que nous entendons dans les sessions est d’un autre registre : « Pourquoi ce silence autour de nous ? Comme c’est libérateur d’exprimer sa tristesse ! Que ça fait du bien quand s’écroule le mur de la honte… Je croyais que j’étais toute seule à vivre ça… que j’étais anormale… »
Peut-on guérir du « traumatisme post-IVG » ?
Lorsque les premières femmes ont relaté leur regret de l’avortement et ses conséquences sur leur vie, notre premier travail a été de les écouter et de voir dans quelle mesure le mal-être qu’elles ressentaient était effectivement lié à l’IVG. Car c’est une chose de penser que « moralement » l’avortement est un geste terrible, c’en est une autre d’entendre les pleurs, voire les cris d’une femme qui entre deux sanglots ne cesse de répéter : « C’est irrévocable, ce que j’ai fait est irrévocable ! Je ne me le pardonnerai jamais ! » ou « Comment ai-je pu faire ça ? Ce n’est pas moi ! » Ainsi avons-nous été poussés par les femmes elles-mêmes à entrer dans cette dynamique de guérison. Les véritables termes seraient plutôt « restauration », « relèvement », « réconciliation » intérieure avec son histoire. Car si nous vivons cette démarche sous le regard de Dieu, nous comptons essentiellement sur Sa participation effective de Père Miséricordieux qui ne peut jamais laisser un de ses enfants, a fortiori une « brebis mère », sans la prendre sur ses épaules, la serrer sur son cœur. […]”