Tuer un bébé, c’est mal. Tuer un bébé en raison de sa race, de son sexe ou de son handicap est encore pire. Cette vérité est difficile à éviter, et c’est l’une des principales questions débattues dans le « combat mondial pour l’avortement » qui se déroule aux Nations unies.
Les personnes handicapées s’opposent à l’avortement fondé sur la déficience du fœtus. Elles dénoncent sa légalisation comme une sorte de discrimination officielle à leur égard. Et elles sont entendues.
Récemment, le 14 septembre 2021, le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations Unies s’est dit préoccupé par « La dévalorisation des personnes handicapées à travers les politiques et pratiques capacitaires qui sous-tendent le dépistage génétique prénatal des déficiences fœtales, notamment en ce qui concerne la trisomie 21, l’autisme et la détection néonatale de la surdité ».
Cette déclaration fait partie des observations finales du Comité des Nations unies sur le respect par la France de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. L’ECLJ a pris part à ce processus, puisque nous avons soumis au Comité un mémorandum traitant de cette question.
Ce Comité de l’ONU est une « quasi-juridiction » chargée de surveiller la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées par ses États parties : son interprétation du traité fait autorité, bien que non obligatoire.
Sa récente recommandation pointe évidemment du doigt le recours massif au dépistage prénatal qui conduit à l’élimination de la plupart des fœtus diagnostiqués avec un handicap tel que la trisomie 21.
Cette recommandation n’est pas isolée : elle résulte de la position adoptée par la CDPH contre l’avortement eugénique. Ce Comité considère dans un document de 2018 que : « Les lois qui autorisent explicitement l’avortement en raison d’un handicap violent la Convention des droits des personnes handicapées », notamment parce que ce type d’avortement « perpétue le préjugé selon lequel le handicap serait incompatible avec une vie heureuse. »» Pour le Comité – qui est composé d’une majorité de personnes handicapées – l’avortement eugénique est en soi une discrimination qui stigmatise les personnes handicapées.
Depuis 2011, ce Comité a déjà jugé concernant l’Espagne, l’Autriche et la Hongrie que l’altération du fœtus ne devait pas faire l’objet d’un régime spécifique d’avortement, notamment en ce qui concerne le délai légal qui, dans certains pays, peut être très tardif en cas de handicap. Le Comité a également recommandé au Royaume-Uni de « modifier sa loi sur l’avortement en conséquence », estimant que « les droits des femmes à l’autonomie reproductive et sexuelle devraient être respectés sans légaliser l’avortement sélectif pour cause de déficience fœtale » (2017, traduction non officielle).
Cette position est conforme à l’intention des rédacteurs de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, mais aussi de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En effet, lors de la rédaction de la Déclaration universelle, la diplomate danoise Mme Begtrup a recommandé de prévoir des exceptions au respect du droit à la vie afin de permettre la « prévention de la naissance d’enfants handicapés mentalement » et d’enfants « nés de parents souffrant de maladie mentale[1] ». Cette proposition a été rejetée après que le représentant du Chili, M. Charles Malik, ait remarqué la similitude entre ces propositions et la législation nazie.
Plus récemment, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, Mme Catalina Devandas Aguilar, a dénoncé dans son rapport 2020 au Conseil des droits de l’homme l’idéologie selon laquelle il existe des « vies qui ne valent pas la peine d’être vécues », faisant écho au titre du célèbre livre de Binding et Hoche de 1920 qui a fondé la politique eugénique nazie. Mme Devandas Aguilar est elle-même atteinte de spina bifida, qui est l’un des principaux motifs de l’avortement eugénique. L’expert de l’ONU écrit, dans son rapport : « Sur les questions telles que le dépistage prénatal, l’avortement sélectif et le diagnostic génétique préimplantatoire, les militants des droits des personnes handicapées s’accordent à considérer que les analyses bioéthiques servent souvent de justification éthique à une nouvelle forme d’eugénisme, souvent qualifié de “libéral” ».
En fait, Mme Devandas Aguilar et le Comité tentent de défendre le droit des personnes handicapées à exister sur un pied d’égalité avec les personnes valides. Ils constatent que l’avortement eugénique les stigmatise et viole leur dignité. Mais cette position est en décalage avec les lobbies pro-avortement. Pour défendre leur cause, sans heurter ces lobbies, les personnes handicapées demandent seulement que le handicap ne soit plus un motif spécifique -stigmatisant- d’avortement. Elles s’opposent donc à l’avortement eugénique, non pas explicitement par respect du droit à la vie des bébés handicapés à naître, mais en considération des droits et de la dignité des personnes handicapées “survivantes”.
C’est précisément sur cette question que la Cour européenne des droits de l’homme devra bientôt se prononcer, suite à la récente suppression de l’avortement eugénique par le Tribunal Constitutionnel Polonais. Plusieurs femmes se sont plaintes auprès de la Cour de Strasbourg qu’elles seraient empêchées d’avorter si, une fois enceintes, leurs enfants s’avéraient être handicapés. L’ECLJ est intervenu dans cette affaire pour soutenir l’interdiction de l’avortement eugénique, aux côtés de plusieurs experts des Nations unies et d’anciens juges des cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme.
La même question devrait être discutée aux États-Unis, où la doctrine constitutionnelle actuelle de la Cour suprême, en vertu des arrêts Roe v. Wade et Planned Parenthood v. Casey, autorise l’avortement pour n’importe quel motif, y compris les motifs discriminatoires.
Le sujet n’est donc pas clos. Cependant, une chose reste certaine : le prétendu « droit à l’avortement » génère non seulement des oppositions, mais aussi une série de contradictions au sein même des droits de l’homme. Un autre exemple bien connu de cette contradiction est la question de l’avortement sélectif en fonction du sexe qui est également considéré par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) comme une discrimination illégale fondée sur le sexe, alors que ce même comité des Nations unies promeut l’avortement dans le monde entier. Par conséquent, le même avortement peut être un « droit » ou une discrimination illégale, en fonction seulement de l’intention subjective des parents.
En fait, le droit à l’avortement trouve son origine dans le respect de l’intimité de la femme, c’est-à-dire de sa volonté, ainsi que dans l’ignorance de l’humanité du fœtus. Or, l’avortement eugénique, sexiste ou raciste nous montre non seulement que la volonté de la femme peut être mue par de mauvaises intentions – qui ne méritent pas le respect, mais aussi que le fœtus a des caractères humains : un sexe, une race, un état de santé, qu’il partage avec les personnes nées. Ainsi, en mettant en cause la volonté de la femme et l’inhumanité de l’enfant, la prise en compte de la finalité eugénique, sexiste ou raciste de certains avortements a pour effet de détruire la logique du prétendu droit général à l’avortement.
Les partisans de l’avortement sont pris au piège de ces contradictions qui résultent du mensonge du prétendu « droit à l’avortement ». En droit, comme dans toute discipline rationnelle, la contradiction est une preuve d’erreur.