Voici un conte proposé par Alain Toulza :
Il était une fois un berger, gardien de nombreuses brebis que lui avait confiées son tout-puissant Seigneur. Voici qu’un soir de printemps apparut à quelque distance du pacage, un loup féroce autant qu’efflanqué car il n’avait pas trouvé, depuis plusieurs jours, de quoi assouvir sa faim. La vue de ce troupeau lui donna la furieuse envie de s’en gaver incontinent. Mais, l’ayant perçu de loin, le berger, aidé de son gros chien, s’empressa de faire rentrer ses bêtes dans la bergerie toute proche. Et là il s’enferma avec elles, se persuadant qu’une longue attente finirait par lasser le sauvage carnassier avant que le confinement devienne insupportable au troupeau.
Las ! Le temps passait sans que cette échéance espérée laisse paraître une marque de lassitude chez l’ennemi. Ce dernier paraissait, au contraire, miser sur l’affaiblissement moral autant que physique du gardien, tandis que le gros chien, profondément attaché à ses brebis dont il partageait l’existence depuis des années, manifestait de plus en plus le désir d’en découdre avec l’animal sauvage encore à l’affut. Mais son maître, rendu de plus en plus craintif, se persuadait, au contraire, qu’un tel combat s’achèverait par une défaite dans laquelle il risquait lui-même de perdre sa vie. Il lui vint ainsi l’envie d’abandonner plutôt le troupeau, discrètement dès que le loup s’assoupirait un instant.
Cependant, les brebis n’en pouvaient plus d’être privées de leur nourriture dont elles étaient condamnées à se repaître à distance. Elles commençaient à révéler des signes d’énervement et, de façon évidente, elles n’obéissaient qu’avec réticence aux appels au calme que leur prodiguait le berger, semblant prendre conscience du risque que leur faisait courir son incurie.
Soudain, pressés par la masse et n’écoutant plus que leur angoisse de mourir de faim sur place, les deux béliers que comprenait le troupeau se jetèrent sur l’huis et, à coups redoublés de leurs redoutables cornes, le forcèrent à céder avant-même que le berger ait pu intervenir. Ce dernier n’eut pas davantage le loisir d’empêcher son chien de se précipiter sur le loup qui, pris de court par cet assaut imprévu, subit les premières morsures de crocs acérés sans avoir eu le temps de réagir. Affaibli par son long jeûne, la bête ne trouva plus de force que pour s’enfuir de toutes ses pattes.
Dépité par cette victoire à laquelle il n’avait point pris part et feignant d’ignorer le chien que son Seigneur lui avait adjoint – au lieu de le féliciter de son courage -, le berger ne trouva pas mieux que de dire à ses brebis, une fois le calme retrouvé :
« Comme vous, je me réjouis que nous retrouvions notre liberté mais, voyez-vous, il a été quelque peu vain d’user d’agressivité avec le loup et de courir le risque de verser du sang, quand j’étais en passe d’obtenir le même résultat par la patience et l’usure de l’adversaire. »
Amis qui lisez ce conte, méditez ses trois leçons, s’il vous plait :
– Mieux vaut se fier, si vous êtes en danger, à un ami qui a du mordant qu’à un pâtre chargé de votre salut, mais qui se révèle pusillanime et qui hypothèque votre délivrance sur une reculade de l’ennemi.
– N’espérez de celui-là, auquel cet ami a dû de substituer pour vous sauver – aucune gratitude mais, au contraire, davantage de sourde irritation et de mauvaise foi à son égard.
– Si vous êtes en danger, il n’est pas répréhensible de désobéir à qui croit avoir le droit de vous contraindre d’attendre, désarmé, que ce danger passe. C’est même un devoir.