Le 20 mai, Jérôme Laronze, un éleveur de Saône-et-Loire, était abattu par des gendarmes alors qu’il voulait leur échapper en fonçant dessus avec sa voiture. L’agriculteur avait fui son exploitation le 11 mai, à la suite d’un contrôle sanitaire qui avait vu sa ferme envahie par des dizaines de gendarmes, mitraillettes au poing, encadrant les inspecteurs. Stéphanie Bignon, éleveuse et présidente de l’association Terre et Famille, explique dans Présent :
"Tout a commencé en 2016, par un contrôle sanitaire qui s’est très mal passé. Les inspecteurs ont coincé les bêtes de Jérôme Laronze entre une clôture et une rivière pour les contrôler : cinq bêtes sont mortes. Evidemment, il l’a très mal pris. C’est à partir de là qu’a commencé le mécanisme de harcèlement contre lui. Il était en retard de déclarations de naissance dans son troupeau au point que l’administration a refusé celles qu’il a faites, lui expliquant que comme son troupeau n’existait pas sur le papier, on viendrait euthanasier ses bêtes. Le 11 mai, les gendarmes sont arrivés avec mitraillettes et gilet pare-balles pour accompagner les inspecteurs, forcément, même s’il n’avait rien à se reprocher il a eu le réflexe de fuir. Comment résister à une chose pareille ? Le procédé est totalement déloyal ! Le décalage est monstrueux entre les exigences administratives et la vie quotidienne dans une exploitation.
Ce qui m’a beaucoup surprise dans cette affaire, c’est le silence au niveau national. Un homme fonçant sur les gendarmes, mais faisant partie d’une autre catégorie de population, aurait déclenché des manifestations, une enquête. Là, rien ! Pour quelle raison ? Qu’est ce que cela cache ? Car cela cache quelque chose : Jérôme Laronze était particulièrement actif et lucide sur ce qui se passe en ce moment dans l’agriculture. Il a payé sa lucidité : le système ne pouvait supporter cela.
Le sujet a été traité pourtant, un peu, par la presse ?
La façon dont cette affaire a été traitée est très éclairante. On a dit que c’était le drame de la solitude, de l’isolement. Mais Jérôme Laronze n’était absolument pas quelqu’un de dépressif ! C’était un homme cultivé, poète. Son défaut a été de refuser l’asservissement à la bureaucratie et à l’argent, ce terrible étau dans lequel sont pris les paysans, entre autres, aujourd’hui. Or l’argent et la finance sont particulièrement incompatibles avec l’esprit paysan.
Que révèle ce drame sur l’état de l’agriculture aujourd’hui et la façon dont l’agriculture est traitée en France ?
On ne cesse de nous parler du Moyen Age, des serfs, de l’esclavage alors que l’on est en train de mettre la France à genoux, et particulièrement les agriculteurs. La paysannerie est la base économique, vitale et spirituelle d’un pays. Le côté vital, parce qu’elle nourrit la population. Le paysan est celui qui est le lien le plus naturel entre la terre et le ciel, il représente l’enracinement à une terre. Bref, tout ce qui est, aujourd’hui, dans le collimateur du système. Nous sommes en train de vivre un assaut du système et je suis persuadée que l’élection d’Emmanuel Macron marque le début de cet assaut. Macron qui a mis un coup d’accélérateur à tout ce qui a été initié par ses prédécesseurs. Nous avons eu le remembrement, puis la loi sur les collectivités territoriales, la loi NOTRe : le fil rouge de toutes ces réformes est la disparition des villages français, donc de l’âme française. La mort des petits villages laissera la place à de grands espaces où les industriels et les financiers pourront planter leurs crocs. Le but du gouvernement est de financiariser l’agriculture. Il ne veut plus de petits producteurs, ni de petits éleveurs – qui sont un contre-pouvoir économique, financier. Ils doivent laisser leur place à des usines à viande, type ferme des mille vaches. […]"