Juan Asensio, critique et essayiste, a suivi l’an dernier une formation au journalisme au Celsa, l’école d’information et de communication de la Sorbonne. Il est interrogé par Criticus :
"Je suis très critique à l’égard du journalisme tel que certains le pratiquent […] : imprécisions de toutes espèces, petites, grosses et monumentales, rareté des sources, non-recoupement des informations, lesquelles d’ailleurs sont parfois caviardées ou tout simplement fausses, incorrections chatoyantes d’une langue réduite à quelques mots aisément compréhensibles, bidonnages manifestes et insignes, petits ou grands renvois d’ascenseurs entre amis, népotismes discrets ou outranciers, inculture crasse et souvent fière de l’être, prétention digne d’un Tamerlan […]
[L]e journalisme n’est pas considéré autrement que comme une branche de la communica…, pardon, de la Com, cette lèpre contemporaine. Après tout, je pourrais dire de la Com, bien sûr en exagérant volontairement le rapprochement qui donc choquera, ce que Victor Klemperer écrivait du nazisme, on le sait passé maître en propagande : « Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente ». « Expressions isolées », « tournures », « formes syntaxiques »… Voyons, est-ce que le monde des médias contemporains est parfaitement indemne de semblables détournements de sens, mensonges éhontés, approximations hasardeuses, slogans publicitaires, simplifications excessives du sens des mots, consécutivement du sens des propos tenus et, in fine, de la réalité elle-même ? […]
[L]e langage médiatique (je le confonds volontairement avec celui de la propagande) érige sans peine une fausse réalité, labile mais jamais parfaitement inexistante, mélangeant inextricablement vérités et mensonges, ayant elle-même ses lois et ses codes, ainsi que ses modes de propagation […].
[C]’est le métier de journaliste tel qu’il est exercé depuis une bonne cinquantaine (voire centaine) d’années qui ne devrait tout simplement pas exister. […] Car enfin, quel est le but, oserais-je écrire la mission du journalisme tel qu’il est pratiqué non seulement en France mais aussi aux quatre coins du monde ? Rendre compte des événements me direz-vous et ainsi tenter, je dis bien tenter de nous proposer une image parmi des milliards d’autres de la vérité, à charge pour le lecteur de se forger ses propres convictions et d’approcher peut-être quelque peu de cette vérité, si tant est qu’elle existe. Cela, c’est une scène idyllique, digne d’une publicité vantant les mérites fleuris d’un fromage embaumant l’atmosphère à quelques lieues à la ronde. Et la réalité, je vous prie ? En paraphrasant Orwell et en changeant le terme « novlangue » par journalisme, nous pourrions dire :
« Ne voyez-vous pas que le véritable but du journalisme est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité »
Je crois que nous n’en sommes pas bien loin et que, dans bien des cas, cette prédiction faite par le romancier a été largement dépassée : il y a quelques années, lorsque sévissait le stalinisme dans bon nombre de facultés, le simple fait de se dire non-communiste (pas même de droite, notez-le) suffisait à briser la carrière de certains élèves et même de professeurs !"