De jeunes garçons se mettent en scène au théâtre Saint-Léon pour réinterpréter les chansons du fameux quatuor à moustache. Un résultat épatant dont le souffle poétique qui les anime n’y est pas pour rien selon le père Danziec dans Valeurs Actuelles :
Des articles en tout genre. Des invitations sur les plateaux du service public. Un grand renfort de publicité. Une série documentaire sur Canal + plongeant les téléspectateurs dans les coulisses du spectacle. Trente ans après sa sortie en salle, la mise en scène du film iconique La Haine de Matthieu Kassovitz, transformé par ce dernier en comédie musicale, a rencontré son public. Mêlant chansons originales (avant tout du rap) et danses hip-hop, le tout dans le cadre d’un show visuel et immersif rendu possible grâce à un jeux d’écrans derrière les jeunes acteurs qui occupent la scène, Le Parisien qualifie la performance scénique comme « Le spectacle le plus réussi de l’année ». Le triomphe fut bien au rendez-vous l’automne dernier, à la Seine Musicale, avant que la troupe enchaîne une tournée en province depuis janvier 2025.
Il n’en reste pas moins que le bon mot de saint François de Sale nous rappelle une évidence : si « Le bruit ne fait pas de bien », le plus souvent « le bien ne fait pas de bruit. » Au théâtre Saint-Léon, dans le XVe, à Paris, se produisait hier soir une petite troupe, partie de rien et inconnue de tous, venue offrir un spectacle dont on aurait tort de se priver. Ils seront d’ailleurs encore sur les planches ce dimanche 4 mai à 18h30 ; et on l’espère pour d’autres dates à venir.
Au socle de leur amitié : l’amour du chant et de la langue française
Le Café Enchanté – c’est le titre du spectacle – se propose de redonner vie aux célèbres chansons des Frères Jacques, quatuor de l’après-guerre dont le style unique passe les générations. Derrière ce Café Enchanté se cache la troupe des Enlumineurs, joyeuse bande d’une quinzaine de jeunes gens à la moyenne d’âge de 22 ans. Amateurs mais d’un professionnalisme épatant, structurés en association mais bénévoles au grand cœur (la troupe ne cherche pas à “faire de l’argent”, le bénéfice réalisé couvrant les frais de fonctionnement, le reste étant reversé à des œuvres), les Enlumineurs se sont lancés sur les planches il y a un an. A l’origine, il s’agit d’un groupe d’amis, lycéens dans les Yvelines et membres des petits-chanteurs de l’école Saint-Dominique-du-Pecq. Au socle de leur amitié : la culture du chant et l’amour de la langue française. Loin de se vautrer dans des canapés, consoles à la main durant leur week-end, ou de se laisser piéger par le narcissisme de Tik-Tok, ils préfèrent à l’occasion de leurs virées du samedi soir amuser la galerie. Devant leurs connaissances et leurs proches, ils se prennent à interpréter à plusieurs voix les tubes intemporels des Frères Jacques. Rapidement, l’un d’eux propose d’aller plus loin. « Pourquoi ne pas mettre en valeur de façon spectaculaire ce patrimoine de la chanson spectaculaire ? » se demande Jacques de Villiers, à peine âgé de 20 ans. Il se lance alors dans l’écriture, rédige un scénario et imagine sa mise en scène. Hors de question de tomber dans la facilité d’un copier-coller des Frères Jacques. Il s’agit, mieux encore, d’augmenter la dimension poétique de leurs chansons en les insérant dans une histoire, un conte français propre à emporter l’auditoire.
Un toupet monstre pour un résultat bluffant
« Le culot, ça ne s’invente pas », cette réplique de l’un des acteurs/chanteurs au début de la représentation résume à elle seule l’aventure de la troupe des Enlumineurs. Avec un toupet monstre, cette bande d’amis de l’Ouest-parisien s’est donc constituée en troupe de café-théâtre, en plus de mener en parallèle leurs études. Cinq chanteurs et trois musiciens sous les feux des projecteurs et le même nombre en coulisse pour les travaux invisibles, mais ô combien indispensables, allant des décors à l’administratif. Au début de chaque représentation, tout ce groupe se trouve d’ailleurs sur scène, l’air de rien, vaquant à d’ultimes préparatifs. Tandis que le public est installé et discute, plus ou moins bruyamment, dans la salle en attendant le début du spectacle, une voix off résonne « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs… ». Les acteurs, présents sur l’estrade, se figent alors, offrant un tableau digne de La Guinguette ou du Déjeuner des canotiers de Renoir. La suspension au-dessus du temps commence. Pendant près de deux heures, le spectacle du Café Enchanté captive l’assistance en dévoilant sous ses yeux une promenade musicale où s’épousent légèreté et profondeur, rires et larmes. Le fond du sujet ? Un thème des plus universels : trois amis remontent le moral d’un quatrième compère qui se trouve au plus bas. Il est minuit, la fin du service approche et le garçon de café veut légitimement baisser le rideau. Rien n’y fera, l’amitié vaut bien une nuit à discuter et à chanter. Tous les conseils sont bons pour redonner goût à la vie à celui dont le cœur et le portefeuille sont en berne. C’est sur ce fil rouge que viendront s’intercaler les grands classiques des Frères Jacques. Les jeunes chanteurs redonnent ainsi vie au Fric, à La photographie, aux Tics, au Chasseur, à M. William pour le plus grand bonheur des connaisseurs comme des néophytes. Mais ce qui frappe et saisit dans cette comédie chantante du Café Enchanté réside dans son exceptionnelle capacité à emporter les spectateurs là où ils ne s’attendent pas. Bien sûr, cette histoire d’amitié, comme toutes les véritables sollicitudes, est faite d’esprit potache et de grand cœur, de franches rigolades et de silences complices. Le Tango des perceurs de coffre-fort, le fameux Shah Shah Persan et la mythique chanson de La Ceinture – dont on ne peut que saluer la remarquable chorégraphie originale – arrachent bien entendu des rires aux grands comme aux plus jeunes. Pour autant, grâce à une mise en scène subtile et délicate, cela n’empêche pas les chanteurs d’émouvoir le public en interprétant La lune est morte ou La branche. Des esclaffements, le public passe subitement à un silence méditatif.
Si le bien ne fait pas de bruit, les Enlumineurs ont le grand mérite, le temps d’une soirée, de le mettre en mélodie. Comment ne pas se réjouir devant cette France bien élevée ! Le spectacle du Café Enchanté constitue un délicieux bol de jeunesse et d’air frais. Il nous rappelle opportunément que la bonne éducation, la culture du beau et l’élégance du verbe portent en germe les meilleures moissons d’espérance. Celles-là même dont notre pays a besoin pour aller de l’avant. Et se remettre debout, le cœur plein d’étoiles.