Tribune du cardinal Philippe Barbarin parue ce jour, jeudi 23 janvier 2014, dans le journal La Croix.
"Après une année de mobilisation, on entend ici ou là que le Mariage pour Tous aurait divisé les Français, et les catholiques en particulier. C’est vrai pour une part. Mais ce qui frappe aussi, ce sont les nouvelles convergences qui sont nées, parfois inattendues. Je n’oublierai pas, par exemple, le président du Conseil Régional du Culte Musulman, de Rhône-Alpes, répondant à la presse à mes côtés, le 13 janvier 2013 : « Non, il ne faut pas cette loi pour la France ! » Intérieurement, j’entendais : « Que votre oui soit oui ; que votre non soit non ! » Et je me disais : « Il sait dire non, lui, avec douceur et fermeté. »
Des dialogues ont été amorcés et approfondis, ce qui a permis de connaître et de comprendre comme jamais auparavant, la situation de personnes homosexuelles. Plusieurs d’entre elles m’ont encouragé à manifester.
Pour de nombreux chrétiens, ce fut l’occasion de mettre en œuvre la dernière consigne de Jésus : « Vous serez mes témoins. » Parmi les témoignages, j’en retiens trois : la pétition de 700 000 signataires « oubliée » par le Conseil Economique Social et Environnemental, les foules innombrables qui ont envahi les rues de Paris et les places de nos villes de Province en 2013, puis l’émergence forte, respectueuse et silencieuse des veilleurs.
Chez les « Anti-Mariage pour Tous », on observe toutefois désormais deux groupes qui s’opposent : les « Jusqu’au-boutistes », capables d’organiser une manifestation nommée « jour de colère » avec l’envie d’en découdre, et les « A-quoi-bonistes » qui considèrent que la grande bataille du mariage étant perdue, il faut passer à autre chose, comme si le vote de la loi invalidait désormais tout débat.
Il s’agit là, à mon avis, de chemins étrangers à ce que nous indique l’Evangile. Le Seigneur ne nous demande pas une obligation de résultats… Nous n’avons pas été envoyés pour gagner, mais pour témoigner car, au soir de notre vie, nous ne serons pas jugés sur nos victoires mais sur l’amour, et selon un seul critère, essentiel, celui de notre attitude vis-à-vis des plus petits.
Faut-il continuer à prier, parler, agir et à se manifester ? « Oui », et ce au nom même de l’Evangile du jugement dernier que l’on pourrait prolonger ainsi : « J’ai été privé d’un de mes parents dès ma naissance, et vous ne vous êtes pas manifestés ! »
Le changement de civilisation annoncé par Christiane Taubira se joue maintenant, spécialement dans le cadre de la Loi « Familles ». Elle ne parlera ni de GPA, ni de PMA mais on sait que, chassées par la porte officielle, ces questions rentreront par la fenêtre des amendements. On dit aussi que le gouvernement attend l’avis du Comité consultatif national d’éthique, mais on a pris soin d’écarter des voix discordantes.
Si l’accès à la PMA et la GPA est ouvert, c’est toute la filiation qui se trouvera bouleversée et désorientée. Pour la première fois, verra le jour une génération d’enfants privés intentionnellement de l’un de leurs parents. Qu’on pense simplement aux arbres généalogiques, tels qu’ils sont symbolisés jusqu’à ce jour, et tels qu’ils pourraient l’être demain : « Seules les fleurs artificielles n’ont pas besoin de racines » prévenait le philosophe.
Au fond, ces mesures consacreraient le droit de l’adulte sur le droit de l’enfant, le droit du plus fort sur celui du plus faible… déjà terriblement mis à mal par la loi sur l’avortement, qui se présentait comme une loi d’exception pour répondre à des situations de détresse, et que nous voyons dériver à vive allure depuis quelques décennies. Faudra-t-il supporter une nouvelle fois l’injustice revêtue des habits de la loi ? Chacun d’entre nous peut, aujourd’hui, reconnaître son existence comme le fruit de l’union d’un homme et d’une femme, quels qu’aient été les frasques ou les accidents de la vie de nos ancêtres, de nos parents… Qu’en sera-t-il demain ? Que dirons-nous aux enfants qui nous demanderont comment nous avons laissé faire cela ?
Heureusement, une parole traverse les siècles et les cultures, c’est celle de la conscience, inscrite dans le cœur et l’esprit des hommes. La Parole de Dieu l’éclaire et la rappelle. Il faut remercier tous les veilleurs : ils ne s’endorment pas et nous aident à rester vigilants. Pour les enfants sans naissance, sans parents, sans voix, pour les personnes sans âge, sans avenir, pour les sans-papiers, sans-pays, sans-domicile-fixe… Et pour tous les « sans » qui sont nos prochains d’aujourd’hui, la parabole du Bon Samaritain m’interpelle : moi, Philippe, prêtre, je ne peux pas « passer mon chemin » !
Le 2 février, à Lyon, ce sera le sens de ma présence à La Manif pour Tous."