De Thomas Flichy de La Neuville :
Jean-François de Gondi se savait trop léger pour prétendre s’emparer du pouvoir. Cet agitateur professionnel nous a pourtant légué, au fil de ses Mémoires, quelques traits extraordinairement lucides sur la métamorphose d’un Etat en temps de guerre civile. L’une des caractéristiques de la Fronde fut en effet de mêler très étroitement la bataille judiciaire à celle des rues, et il ne fut pas rare de voir des robins abandonner soudainement le prétoire pour tirer l’épée. Ils n’étaient d’ailleurs pas seuls à se battre en un temps où l’on voyait des enfants de cinq et six ans avec les poignards à la main. C’étaient leurs propres mères qui les leur apportaient[1]… Ceci amène le cardinal de Retz à décrire crûment la déliquescence des pouvoirs publics :
« Le dernier point de l’illusion en matière d’Etat, est une espèce de léthargie qui n’arrive jamais qu’après les grands symptômes. Le renversement des anciennes lois, l’anéantissement de ce milieu qu’elles ont posé entre les peuples et les rois, l’établissement de l’autorité purement et absolument despotique »[2].
Le mémorialiste en profite naturellement pour attaquer les actions d’intoxication du camp adverse, incarné par Mazarin, qui promit tout car il ne voulut rien tenir[3]. En effet, comme le grand secret de ceux qui entrent dans les emplois est de saisir d’abord l’imagination des hommes par une action de circonstance[4], les bruits les plus spectaculaires ne pourraient être qu’écrans de fumée. Le vieux Prince d’Orange disait que le moment où l’on recevait les plus grandes et les plus heureuses nouvelles était celui où il fallait redoubler son attention pour les petites[5]. Encore fallait il constituer une opposition solide au pouvoir royal, ce qui n’était pas le cas du Parlement de Paris sujet aux pressions comme aux divisions. Gondi se fait la réflexion qu’on a d’ordinaire plus de peine dans les partis, à vivre avec ceux qui en sont, qu’à agir contre ceux qui y sont opposés[6]. N’est on pas plus souvent dupé par la défiance que la confiance[7] ? Le cardinal de Retz se défie du clergé qui donne toujours l’exemple de la servitude, et la prêche sous le titre d’obéissance[8]. Enfonçant plus avant la pointe, il ajoute n’y a t’il rien de si juste à l’illusion que la piété [9]? Cerné de toutes parts, il ne reste plus au coadjuteur de Paris que de se reposer sur des intelligences plus ternes que la sienne mais plus persévérantes : Brion avait fort peu d’esprit ; mais il avait beaucoup de routine, qui en beaucoup de choses supplée à l’esprit[10]. L’appui de ces travailleurs fidèles ne fut pas suffisant pour lui éviter son éloignement définitif de la Cour. D’où une réflexion ultime dont la profondeur fut creusée à la solitude :
« Il y a des temps où la disgrâce est une manière de feu qui purifie toutes les mauvaises qualités et qui illumine toutes les bonnes »[11].
[1] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 127
[2] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 90
[3] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 88
[4] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 58
[5] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 248
[6] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 138
[7] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 20
[8] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 66
[9] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 20
[10] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 42
[11] Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Librairie Garnier, 1934, p. 62