Le 7 décembre, en Italie, on fête Saint Ambroise, patron de Milan, et
l'archevêque prononce traditionnellement un discours devant les
autorités. Cette année, on célèbre le 1700e anniversaire de l'"édit de
Constantin". Le Cardinal Scola a donc prononcé un
discours sur le thème de la laïcité. Benoit-et-moi a traduit le compte-rendu publié sur IncrociNews, l'hebdomadaire du diocèse ambrosien. Extraits :
"Avec l'édit de Milan apparaissent pour la première fois dans l'histoire
ces deux dimensions que nous appelons aujourd'hui "liberté de religion"
et "laïcité de l'Etat". Ce sont deux aspects décisifs pour la bonne
organisation de la société politique – souligne le Cardinal -. Une
confirmation intéressante de ce fait peut être trouvée dans deux
enseignements importants de saint Ambroise. D'une part, l'archevêque n'a
jamais hésité à appeler les chrétiens à être loyaux envers l'autorité
civile, qui à son tour devait garantir aux citoyens la liberté à la fois
personnelle et sociale. Etait ainsi reconnu l'horizon du bien public
auquel les citoyens et les autorités sont appelés à concourir» […]Scola identifie ensuite plusieurs noeuds à
résoudre. […] Un deuxième point «encore plus plus complexe» est le lien entre liberté religieuse et orientation de l'État envers les communautés religieuses présentes dans la société civile.
«L'évolution des Etats démocratico-libéraux n'a cessé de modifier
l'équilibre sur lequel reposait traditionnellement le pouvoir politique –
réfléchit Scola -. Jusqu'à il y a quelques décennies, on se référait en
substance, et de façon explicite à des structures anthropologiques
généralement reconnues, au moins dans un sens large, comme des
dimensions constitutives de l'expérience religieuse: la naissance, le
mariage, la génération, l'éducation, la mort» «Que s'est-il passé
quand cette référence, identifiée par son origine religieuse, a été
remise en question et considérée comme inutilisable? – s'interroge le
Cardinal -. On a absolutisé en politique des procédures décisionnelles
qui tendent à s'auto-justifier. Ceci est confirmé par le fait que le
problème classique du jugement moral sur la loi s'est transformé de plus
en plus en une question de liberté religieuse».La question se fait pressante: l'archevêque attribue le principe théorique de l'évolution, «au modèle français de 'laïcité'
(en français dans le texte), qui a semblé à la plupart des gens la
réponse adéquate pour assurer la pleine liberté religieuse, en
particulier pour les groupes minoritaires. Il est basé sur l'idée de l''in-différence',
définie comme la "neutralité" des institutions de l'État à l'égard du
phénomène religieux et cela semble à première vue comme étant adapté à
construire un milieu favorable pour la liberté religieuse de tous. Il
s'agit d'un concept désormais largement répandu dans la culture
juridique et politique européenne dans lequel, cependant, à bien y
regarder, les catégories de la liberté religieuse et de la soi-disant
"neutralité" de l'Etat se chevauchent de plus en plus, au point de finir
par se confondre».Donc une "laïcité" qui a fini par devenir un
modèle «mal disposé» à l'égard du phénomène religieux. Pourquoi? «Tout
d'abord, l'idée même de "neutralité" s'est avérée très problématique,
surtout parce qu'elle n'est pas applicable à la société civile, dont
l'Etat doit toujours respecter la priorité, se limitant à la gouverner
et ne prétendant pas la gérer.Respecter la société civile
implique la reconnaissance d'un fait objectif: aujourd'hui dans les
sociétés civiles occidentales, en particulier en Europe, les divisions
les plus profondes sont celles entre culture laïque et phénomène
religieux, et non pas – comme on le pense souvent à tort – entre
croyants de différentes religions. En ignorant ce fait, la juste et
nécessaire a-confessionalité de l'État en est venue à dissimuler, sous
l'idée de "neutralité", le soutien de l'État à une vision du monde
fondée sur l'idée séculariste et sans Dieu. Mais celle-ci n'est qu'une
parmi les visions culturelles qui peuplent la société plurielle. De
cette manière, l'Etat soi-disant "neutre", loin d'être tel, fait sienne
une culture spécifique, celle séculariste, qui à travers la législation
devient culture dominante et finit par exercer un pouvoir négatif par
rapport à d'autres identités, surtout celles religieuses, présentes dans
la société civile, tendant à les marginaliser, sinon à les exclure du
domaine public».Une société plurielle qui subit en fait
l'hégémonie d'une culture laïciste: «Sous un semblant de neutralité et
d'objectivité des lois, se cache et se répand – du moins en pratique –
une culture fortement marquée par une vision sécularisée de l'homme et
du monde, privée d'ouverture au transcendant. Dans une société
plurielle, une telle culture est légitime en soi, mais seulement comme
une parmi les autres. Si toutefois l'État la fait sienne, il finit
inévitablement par restreindre la liberté religieuse». […]"
Denis Merlin
La pensée du cardinal est compliquée. La juste et nécessaire laïcité de l’Etat ne signifie pas que l’Etat ne puisse confesser une foi. Mais l’Etat est laïc, il reçoit la foi de l’Eglise enseignante, il ne l’enseigne pas.
Cela détermine un cercle d’autonomie, donc d’initiatives pour les laïcs. Il existe des domaines dans lesquels l’Eglise enseignante ne veut rien dire, elle ne juge qu’a posteriori des initiatives. L’Etat peut donc s’inspirer de l’évangile, il le doit même moralement, mais juridiquement, il doit respecter et promouvoir les droits universels et fondamentaux de l’homme.
Le cardinal oublie la constitution américaine qui interdit à l’Etat de préférer une religion (1er amendement, 1er membre de phrase). Or il est de la liberté des laïcs de préférer une religion à une autre, dans le respect de la laïcité et des droits fondamentaux de l’homme. Il est donc licite à des laïcs de dire qu’ils s’inspireront d’une religion. Leur raison ne doit pas être amputée de cette liberté.
Le 1er commandement de la Constitution américaine bafoue donc la liberté de choix de l’Etat, du moins si on le comprend “à la française”. “Le congrès ne fera aucune loi accordant une préférence à une religion (…) ” (traduction wikipedia) en anglais : “Congress shall make no law respecting an establishment of religion (…)” ce qui pourrait se traduire “Le Congrès n’établira aucune loi rendant hommage à une religion instituée (…)”
Pourquoi donc ? On le comprend historiquement puisque les anglo-saxons avaient énormément souffert des troubles entre catholiques, anglicans et protestants. Ils en avaient donc assez des discussions interminables, des polémiques théologiques et morales sans fin qui pouvaient déboucher sur des bagarres sanglantes entre fanatiques (lorsqu’il y a une eclipse, tout le monde est à l’ombre). Mais si on le comprend historiquement, il n’en reste pas moins que rationnellement et juridiquement, il n’y a aucune raison pour interdire aux hommes politiques de parler de l’évangile et de déclarer, au nom du peuple, qu’ils entendent obéir à une foi, bien sûr dans le respect des droits universels de l’homme, eux-mêmes fondés sur la raison universelle de l’homme (laquelle justifie la critique de toutes les religions, y compris la catholique, c’est vrai).
Il n’y a donc pas que le laïcisme français, il y a aussi, à un moindre degré d’agressivité à l’égard de la raison et de la liberté, la Constitution américaine.
Ce qu’il nous faut donc reconquérir, c’est la liberté religieuse de l’Etat, face au laïcisme ou au fanatisme religieux (qui veulent imposer tout deux une idéologie ou une foi contraires à la raison universelle de l’homme). C’est très important à comprendre parce que en France par exemple, la devise “Liberté, égalité, fraternité” fait référence à la foi chrétienne. Si “liberté” et “égalité” sont rationnellement compréhensibles, donc établies, la notion de “fraternité” fait référence à la foi biblique, car rien dans la raison ne démontre que l’humanité est une seule famille, c’est l’histoire biblique qui nous l’enseigne. Il en est de même du mariage même laïc et civil qui est fondé sur la foi évangélique ou du moins qui s’inspire d’elle.
Donc, si l’on est laïciste, on dira à la façon de monsieur Tourret “Mon Dieu ! Quelle horreur ! La loi civile s’inspire de l’évangile ! Mais c’est affreux !” Alors que du moment que cette loi ne s’oppose en rien à la raison (car l’évangile ne s’oppose jamais à la raison, mais l’exalte), même si elle s’inspire d’une foi, personne ne peut la déclarer immorale, elle est l’exercice d’une liberté collective. C’est justement dans la sphère d’autonomie laïque que l’on retrouve cette liberté de la raison universelle de déclarer qu’elle a la liberté de confesser une foi, même collectivement.
Vive la liberté religieuse ! Vive le Christ-Roi de France et Roi de l’univers !
Bernard Mitjavile
Un texte à méditer par Marine Le Pen qui semble penser que la soi-disante neutralité de l’Etat est la réponse à la sécularisation de notre société or comme le dit ce texte l’Etat neutre fait sienne la culture securaliste. Je ne veux pas lui faire de procès d’intention car je pense qu’en son for intérieur elle est bien consciente du problème mais elle a trouvé expédient d’utiliser la laïcité contre les exigences des musulmans alors qu’une autre réponse aurait été possible.
Antoine
Merci, Denis Merlin, pour vos propos éclairants.
Antoine
Denis Merlin
Merci à Antoine de ses encouragements.