La dernière lettre de Paix Liturgique est consacrée au catholicisme aux Etats-Unis et a été réalisée par notre ami Daniel Hamiche, avant son décès. En voici un extrait :
[…] Il est un autre aspect propre au catholicisme des États-Unis : le fait qu’il ait eu à survivre en milieu protestant. Pendant longtemps – et dans certains secteurs, même haut-placés, cela continue – les catholiques ont paru suspects à la majorité protestante du pays. On se souviendra de ces caricatures d’évêques-crocodiles s’en prenant à la statue de la liberté à coups de morsures de mitre dentée ! En fait le préjugé remonte aux tous premiers colons anglais, puritains, qui trouvaient l’Eglise (protestante) d’Angleterre trop papiste à leur goût, ce qui leur valut la haine de leur compatriotes et les confirma dans leur anticatholicisme, dès lors invétéré et endurci.
La révolution américaine, prônant la liberté du culte et, somme toute, favorable à l’expression religieuse en général, accorda sa tolérance, au moins en droit, aux catholiques ; une lettre ouverte, précieuse, de George Washington à tous les catholiques du tout nouveau pays visait à les rassurer que les États-Unis ne comptaient pas perpétuer les lois discriminatoires qui sévissaient contre eux au Royaume-Uni. Mais les préjugés de la majorité demeuraient.
Cette histoire va laisser au catholicisme américain contemporain certaines traces. Jusqu’à l’élection de John F. Kennedy en 1960 les catholiques ici n’ont pas tout à fait droit de cité dans les faits : la campagne présidentielle du catholique Al Smith en 1927-28 a pu paraître chimérique à l’époque.
L’éducation publique aux États-Unis a longtemps eu une forte teinte de protestantisme : bien des académies (celles-ci relèvent de l’État, par ex. Tennessee ou Massachussetts) imposaient aux élèves la récitation de prières protestantes en début de journée, et ainsi de suite. Cela amena les évêques américains, réunis lors du troisième concile de Baltimore en 1884, à déclarer que chaque paroisse des États-Unis devait avoir—dans la mesure de ses moyens—une école paroissiale abordable, voire gratuite, pour prémunir les petits catholiques des périls encourus dans les écoles protestantes d’État. Les parents catholiques étaient obligés sub gravi d’y envoyer leurs enfants, sauf permission expresse de l’évêque du lieu. Dix ans plus tard déjà, plus de 4.000 paroisses sont dotées de leur propre école. Le réseau de l’instruction catholique fut un grand succès, très robuste et abordable (surtout grâce aux religieuses, ces maîtresses d’école non-salariées), jusqu’à la capilotade postconciliaire.
Ce repli a pu créer un certain « complexe d’infériorité » par rapport à la majorité protestante. Les paroisses ethniques, avec leur clergé, leur couvent de sœurs enseignantes et leur école devenaient parfois de véritables ghettos où se déclinait une sorte de catholicisme intégral d’apartheid voulu, même encouragé, par les évêques. On se regroupait autour du curé, personnage vénéré qui faisait la loi et qui jamais n’avait à demander deux fois des contributions pour réparer le toit de l’église ou construire, justement, l’école paroissiale. Ce complexe faisait que souvent, par exemple au travail ou en compagnie mixte, l’on évitait de se révéler catholique. Le même concile de Baltimore qui promulgua les écoles paroissiales inventa le costume dit de « clergyman », impossible à distinguer de la tenue des ministres protestants. D’ailleurs, quand les chants en vernaculaire ont été admis à la messe après Vatican II, certains catholiques (surtout parmi le clergé, il faut bien le dire) se sont réjouis de ce qu’on allait enfin avoir des offices comme les protestants. Mais d’autres, qui eux s’enorgueillissaient de leur différence, se sont sentis trahis, perdant ainsi la confiance qu’ils avaient nourrie pendant l’après-guerre pour leur clergé.
Mais cette période, qui s’étend à peu près du milieu du XIXe siècle au Concile Vatican II, ne perdit pas de vue non plus son engagement missionnaire. Si l’on restait entre soi par rapport à la majorité protestante et anglo-saxonne dans la mesure du possible, on « allait vers » les plus démunis de cette société américaine dont la fabuleuse richesse n’était pas distribuée à parts égales ; en effet le célèbre IIIème concile de Baltimore tenu en 1884 avait préconisé les missions auprès « des Indiens et des gens de couleur » . Ainsi les Sœurs du Très Saint Sacrement, fondées en 1889 par l’héritière convertie Ste Katherine Drexel, fondèrent des écoles pour les Indiens navajos dans le Sud-Ouest du pays, ainsi que pour les petits Noirs dans le ghetto de Harlem à New York ; elles établirent même la seule « Negro College » (établissement universitaire réservé aux Noirs) catholique, Xavier University, en Louisiane. On vit aussi, en 1893, la fondation de la Société de s. Joseph du Sacré Cœur (les Joséphites), dont la mission était—et demeure—l’éducation des jeunes gens noirs.
Il faut aussi souligner la fierté qu’éprouvaient les catholiques américains des années 1950. Ils avaient bâti leur paroisse avec son école ; ils avaient réussi à s’intégrer (la deuxième guerre mondiale fut un creuset de camaraderie avec d’autres) ; comme tout le monde ils rejoignaient la classe moyenne lors des « Trente glorieuses ; ils avaient un réseau social robuste (confréries et sodalités en tout genre)… Au point que cela commençait à inquiéter l’establishment anglo-protestant.
Mais cet environnement protestant – les protestants eux-mêmes diraient tout simplement « chrétien » – a eu du bon aussi. L’on entend dire parfois que les catholiques américains sont plutôt pieux et pratiquants, et par rapport aux pays de l’Europe occidentale, c’est bien ce que l’on constate, et cela reflète leur existence en milieu protestant. Les USA n’ont jamais eu de république laïque à la française, ni de Kulturkampf allemand (sans compter les désastres nazi et communiste), ni de Garibaldi, etc. Au contraire, la religion, le christianisme (sans distinction) ont toujours constitué la trame morale de la société américaine, dans laquelle pas un jour ne passe sans que l’on se fasse dire « Dieu vous bénisse » (si l’on éternue par exemple). Ici, les personnalités publiques, des présidents (tous partis confondus) aux vedettes de la chanson (Michael Jackson, Prince), finissent leur discours ou concerts avec un « God bless you » ou encore « God bless America » sincère. On sait toujours où les personnalités publiques vont aux offices, de sorte qu’on a pu faire grief au président Obama à cause de certains prêches de son pasteur protestant, à Chicago… Cela ne se verrait jamais en France.
Il n’est guère étonnant qu’en moyenne, 25 % des baptisés catholiques aillent à la messe tous les dimanches – et des 75 % restants, une bonne proportion assiste aux offices protestants, au gré des régions. Il est mal vu – surtout dans le Midwest – de faire la grasse matinée le dimanche…