Etienne de Montety, directeur adjoint de la rédaction du Figaro et du Figaro littéraire, consacre un article aux Mémoires de Louis Bouyer, qui viennent d'être publiées aux éditions du Cerf. Extrait :
"La liturgie est depuis quarante ans un sujet de réflexion et d'inquiétude au sein de l'Église catholique. Le cardinal Ratzinger, avant même qu'il ne soit devenu Benoît XVI, y consacra une part de son ministère: le concile Vatican II, en voulant revenir aux origines du Mystère, n'a-t-il pas laissé les célébrations catholiques s'appauvrir par de malheureuses initiatives de clercs imprudents ou de laïcs mal formés? Cette question est au cœur des Mémoires inédits du théologien Louis Bouyer, mort en 2004, et que viennent de publier les Éditions du Cerf.
Sait-on que cet oratorien né en 1913 venait du protestantisme et que c'est l'amour de la liturgie découverte dans la religion réformée qui le conduisit à l'Église catholique? Il y entre au moment où celle-ci s'apprête à vivre une crise profonde qui culminera dans les années 1970. La puissance intellectuelle de Bouyer, sa force de travail le conduisent, lui le converti, à être associé à diverses commissions préparant le concile Vatican II, notamment celle de la réforme de la liturgie romaine.
S'il se réjouit de la redécouverte de textes des premiers temps insérés dans les prières eucharistiques, il est aussi le spectateur affligé de manœuvres menées par Mgr Bugnini, un lazariste napolitain dont il fait un portrait terrible. Celui-ci se prévalait de l'assentiment de Paul VI pour imposer ses vues, tandis que le pape s'étonnait des libertés prises par la commission. Bugnini, rapporte Bouyer, fut finalement écarté et envoyé comme nonce à Téhéran: au moment où y arrivait un autre religieux, l'ayatollah Khomeyni… […]
Au fil des pages, on croise un Paul VI débordé par l'ampleur de la crise, un Jean Daniélou avec qui l'auteur rompt des lances - éternelle rivalité des théologiens -, un Jean Guitton accablé d'un mot cruel et (pour une fois) bien peu charitable. Karl Rahner est qualifié de spécialiste des «monologues sur le dialogue» – formule cocasse qui lui est glissée par Ratzinger.
On pourrait croire à un livre féroce. C'est tout l'inverse. La justesse et la hauteur de vue autorisent la sévérité. Et Bouyer ne se prive pas de pratiquer la correction fraternelle. Mais ses flèches sont trempées dans l'encre de l'affliction. S'il a rejoint l'Église catholique, ce n'est pas pour voir le catholicisme s'engager dans la voie d'une caricature du protestantisme - réflexion qu'il partage avec son ami Julien Green. […]"