Homélie prononcée par le Très Révérend Père Dom Jean Pateau, Abbé de Notre-Dame de Fontgombault, le 24 novembre 2013) :
"Les interrogations et l'air dubitatif de Pilate au sujet de la royauté de Jésus nous placent au centre d'un grand mystère. Jésus est livré à Pilate afin d'être condamné à mort, et Jésus s'affirme roi, roi d'une royauté qui n'est pas reconnue et qui, bien plus, est tournée en dérision. L'épître aux Colossiens, tout au contraire, proclame haut et fort l'universalité de cette royauté : « Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » (Col 1, 19-20)
Le même paradoxe se répète aujourd'hui, alors que nous fêtons le Christ, Roi de l'univers.
Qu'en est-il de cette royauté et de sa reconnaissance par le monde et même parfois par les chrétiens ? Dans sa Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ le Concile Vatican II affirme : « La norme suprême de la vie humaine est la loi divine elle-même, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu, dans son dessein de sagesse et d'amour, règle, dirige et gouverne le monde entier, ainsi que les voies de la communauté humaine. » (n° 3) Nous-mêmes, chrétiens de nom, proclamons-nous et acceptons-nous en actes et en paroles cette royauté du Christ sur l'univers, sur les peuples et les nations, sur nos familles ? Le Christ, en effet, est roi non seulement des individus, mais des sociétés en tant que telles. Cette royauté sociale, trop méconnue aujourd'hui, est l'objet précis de la fête de ce jour, instituée en 1925 par le Pape Pie XI dans l'Encyclique Quas primas, consacrée à ce sujet.
Le Pape Benoît XVI, en inaugurant l'Année de la Foi, a voulu qu'elle se termine précisément en cette fête. Il est permis de penser que ce choix n'est pas le fruit du hasard, d'une pure coÏncidence entre deux calendriers.
La légitimité de cette royauté est fondée sur le fait que Dieu est créateur de l'univers et que le Christ, Fils de Dieu, est Dieu lui-même. De plus, à travers le mystère de la Croix et de la Résurrection, Jésus est recréateur de l'homme déchu. Pour un chrétien, nier la royauté universelle du Christ, c'est porter atteinte au contenu de sa foi. Avoir la foi, c'est témoigner de cette royauté jusque dans le concret de la vie par des prises de position conformes à ce que nous croyons, tout en respectant la liberté d'autrui, dont, en retour, on est en droit d'attendre qu'il respecte au minimum notre propre liberté.
« L'homme ne doit pas être contraint d'agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d'agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse. » (Dignitatis humanæ n° 3, cf Catéchisme de l'Église Catholique, n°1776 et suivants)
Témoigner de sa foi est redevenu difficile. Aussi les chrétiens sont-ils tentés de cantonner leur foi dans le domaine du privé, et pour le reste de se compromettre avec le monde.
Dans l'homélie du 18 novembre, donnée à la Maison Sainte-Marthe, sa résidence, le Pape François, a commenté un passage du livre des Maccabées (1,10-15; 41-43; 54-57; 62-64), « l'une des pages les plus tristes de la Bible », où l'on parle d'« une bonne partie du peuple de Dieu qui préfère s'éloigner du Seigneur devant une proposition de mondanité ». Ils abandonnent leurs propres traditions, pour aller « négocier » avec le roi, et pour cette raison ils sont enthousiastes… Le Pape a rappelé que ces personnes prirent « les habitudes des païens » et acceptèrent l'ordre du roi « qui prescrivit que dans son royaume tous ne forment qu'un seul peuple et que chacun abandonne ses propres coutumes ».
Il ne s'agissait certainement pas, a ajouté le Saint-Père, d'une «belle mondialisation» s'exprimant «dans l'unité de toutes les nations », celles-ci conservant toutefois leurs usages. Le récit évoque en revanche la « mondialisation de l'uniformité hégémonique », la tyrannie d'une « pensée unique, fruit de la mondanité ».
Le Pape François a souligné que de telles attitudes se rencontrent encore, « car l'esprit de la mondanité nous conduit aujourd'hui encore à cette envie d'être progressistes vers une pensée unique ».
Ces gens, donc, négocient avec le roi « la fidélité au Dieu toujours fidèle… C'est ce qu'on appelle l'apostasie », poursuivait le Saint-Père. « Aujourd'hui », avertissait-il, on pense que « nous devons être comme tous les autres, nous devons être plus normaux, comme tout le monde fait, avec ce progressisme adolescent ». Les « condamnations à mort, les sacrifices humains » ont été le lot du peuple infidèle. Et en demandant : « Vous pensez qu'aujourd'hui on ne fait plus de sacrifices humains ? », le Pape a répondu: « On en fait beaucoup, beaucoup… Et il y a beaucoup de lois qui les protègent ».
Ce qui doit nous consoler, a conclu le Pape, c'est que « devant le chemin marqué par l'esprit du monde, par le prince de ce monde, le Seigneur, qui ne peut pas se renier lui-même, demeure toujours fidèle. Il nous attend toujours ; il nous aime tant », et il est prêt à nous pardonner et à nous prendre par la main, comme il l'a fait avec son peuple bien-aimé pour le conduire en dehors du désert.
Cette main de Jésus, nous devons la présenter à saisir à tous les hommes de notre temps. Aider et aimer vraiment quel- qu'un, c'est lui prendre la main et le relever, c'est lui montrer le chemin de Jésus, qui seul rend à l'homme sa dignité. Le Christ-Roi ne veut pas conquérir les cœurs par les armes mais par l'amour et la vérité.
En ce jour, clôture de l'Année de la Foi, nous pouvons encore bénéficier de la miséricorde de Dieu et de l'Église en gagnant l'indulgence plénière liée à cette année. Nous rempli- rons ensemble deux des conditions prescrites en chantant dans un instant le Credo, et à l'issue de la Messe le Salve Regina.
Marie est celle qui a cru au plan d'amour de Dieu envers l'humanité. Aux serviteurs des noces de Cana, elle a dit et elle nous dit encore : « Faites tout ce qu'il vous dira ». (Jn 2,5)
À son école, vivons sans compromission et sans diminution notre foi. Écoutons Jésus afin d'être ses témoins jusqu'aux périphéries de notre monde. Amen.