Christophe Levalois, rédacteur en chef d’Orthodoxie.com, vient de publier aux éditions Le Courrier du livre un essai intitulé Le loup et son mystère. Histoire d’une fascination. Extrait d’un entretien paru sur Orthodoxie :
Quelle est la place de l’animal dans le christianisme ? On entend souvent dire que le christianisme est responsable de la situation de domination prédatrice et sans partage de l’homme sur la nature et les animaux ainsi que leur dévalorisation.
L’animal est présent quasiment dès le commencement dans la Genèse, plus précisément dès le cinquième jour pour les créatures aquatiques et les oiseaux, et le sixième jour pour les bêtes terrestres, dont la création, selon la Bible et c’est à noter, a lieu le même jour que l’homme. Les animaux sont donc des éléments constitutifs de notre monde, créés par la Parole divine, puisqu’ils sont expressément nommés lors de la Création. L’être humain est dans la Bible l’achèvement des six premiers jours de la Création et son couronnement. Il reçoit la lourde responsabilité d’être le gardien, le « jardinier » en quelque sorte (Genèse 2, 15) du Paradis, non son propriétaire, et de faire fructifier ce qu’il a reçu. Le passage souvent incriminé est Genèse 1, 28 dans lequel Dieu dit à l’être humain de dominer la terre et de soumettre les animaux. Pris au sens littéral, ce passage légitime et justifie une domination de l’être humain qui a pu conduire à bien des excès et à la crise écologique que l’on connaît. C’est toute la question de l’interprétation des textes qui est posée là, mais aussi celle de leur utilisation à des fins partisanes afin d’accroître un pouvoir qui n’est que terrestre et matériel, un détournement finalement.
En mars 1967, un article célèbre d’un historien américain, Lynn T. White, intitulé « Les racines historiques de notre crise écologique » (Science, vol. 155, no 3767), plaide la responsabilité du christianisme dans cette crise. Une thématique reprise par d’autres depuis. Le christianisme est notamment accusé d’anthropocentrisme, c’est-à-dire de mettre l’homme au centre de la Création, ce qui aurait dévalorisé le reste de la Création et ouvert la voie à une utilisation prédatrice de celle-ci. Cette position a été réfutée par différents auteurs dont Jean-Claude Larchet dans son ouvrage Les fondements spirituels de la crise écologique (Syrtes, 2018). En effet, la responsabilité de l’être humain doit s’exercer « à l’image et selon la ressemblance » de son Créateur, ce qui n’est pas rien ! Selon cette perspective, dont témoignent de très nombreux textes, la Création est infiniment respectable et même plus encore vénérable. Elle est essentielle pour la réalisation de l’accomplissement spirituel voulu par le Créateur. Jean-Claude Larchet emploie à ce propos l’expression « d’usage spirituel de la Création ». Le récit de la Genèse est à prendre dans un sens spirituel et non pas littéral. C’est ainsi qu’elle était comprise par les Pères de l’Église et durant des siècles. Ainsi, le pouvoir sur les animaux renvoie aux « animaux intérieurs », à savoir les pensées, passions, mouvements de l’âme, ils sont évoqués entre autres par Origène, Basile le Grand et Ambroise de Milan. Cela a souvent conduit à considérer les animaux comme des symboles, des signes de tel ou tel aspect de la Création et de la signification spirituelle attenante. Les associations sont nombreuses. Ainsi le Christ est entre autres l’agneau, le lion ou encore le phénix. Trois des quatre Évangélistes sont représentés par des animaux : Marc par le lion, Luc par le taureau, Jean par l’aigle. Parmi les ouvrages qui abordent cette question, je signale juste celui de saint Nicolas Vélimirovitch (de Jitcha et d’Ochrid), Les symboles et les signes, datant de 1932 et dont la traduction française a été publiée en 2010 par les éditions L’Âge d’Homme. En un mot, les réalités visibles sont les symboles et les signes des réalités invisibles. Saint Nicolas Vélimirovitch explique ainsi la différence entre les deux termes : « Le symbole est permanent, le signe éphémère ». Le visible conduit à l’invisible, c’est ainsi que les choses sont comprises. Par contre, on peut observer, me semble-t-il, qu’avec l’évolution qui a amené une accentuation de l’anthropomorphisme, en d’autres termes à tout ramener à l’homme et à ses réalités propres, les symboles, dont les significations, je le répète, sont d’ordre spirituel, sont devenus des allégories ou des images de comportements ou de caractères psychologiques, comme dans les Fables de La Fontaine. L’être humain s’est peu à peu enfermé sur lui-même, voyant tout selon sa mesure et son regard. Mais nous sommes là, avec La Fontaine, au XVIIe siècle, à l’époque de l’essor du rationalisme.
L’avènement du christianisme a entraîné la fin des sacrifices religieux d’animaux en Europe
Un autre argument de taille, qui pourtant n’est jamais avancé, et qui va contre les thèses qui avancent la responsabilité du christianisme dans la crise écologique actuelle, est que la domestication et l’aménagement de la nature par l’être humain, avec leurs conséquences sur la faune et la flore, ont débuté des milliers d’années avant l’émergence de la tradition biblique et du christianisme, au néolithique. Dans le même ordre d’idées, on peut remarquer que des modifications environnementales considérables causées par l’homme se sont déroulées bien avant l’avènement du christianisme, comme la déforestation autour de la Méditerranée au Ier millénaire avant J.-C., ou encore l’extinction du lion en Europe dans l’Antiquité. Les êtres humains n’ont pas eu besoin de la Bible et du christianisme pour cela ! C’est pourquoi les responsabilités doivent pour moi être cherchées dans l’évolution de la société, hier comme aujourd’hui. Au passage, je fais aussi observer qu’à la différence d’autres traditions religieuses, le christianisme ne pratique pas le sacrifice animal. Le sacrifice ultime du Christ sur la Croix a aussi entraîné la fin des sacrifices d’animaux.
Vous avez dit que l’être humain est le couronnement de la Création. Il a donc une place centrale.
C’est incontestable. Mais il s’agit plus en fait d’un théocentrisme que d’un anthropocentrisme, lequel a dominé bien plus tard, depuis les Temps modernes pour être plus précis. La perspective biblique est l’image et la ressemblance (Genèse 1, 26) de la source divine à l’origine de tout. C’est cette perspective, ce théocentrisme, qui légitime la place centrale de l’être humain avec la responsabilité devant le Créateur qui l’accompagne. Le Créateur s’adresse, dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau Testament, plus particulièrement à l’être humain, mais c’est un être qui fait pleinement partie de l’ensemble de la Création, qui en est solidaire. Ce qui lui est proposé n’est en rien un repli sur lui-même ! Bien au contraire, il est appelé à effectuer un chemin de transformation intérieure et ainsi à s’ouvrir à d’autres dimensions, à d’autres perceptions et à toutes les facettes de la Création qu’il rencontre. D’autre part, pour les sociétés anciennes comme dans le christianisme, la nature est signe du monde spirituel, ou multitude de signes si l’on veut. Ne serait-ce que pour cela, son importance est capitale. En outre, l’être humain est aussi consubstantiel au reste de la Création, on peut aussi parler de parenté, il est créé avec de la « poussière prise du sol » (Genèse 2, 7) avec en plus, ce qui est différent du reste de la Création, le souffle divin. Il est donc intimement lié à l’ensemble de la Création. Il y a même interaction. L’exil du Paradis d’Adam et Ève affecte la Création (Genèse 3, 17). À l’inverse de ce processus d’éloignement, les vies de saints témoignent que le rapprochement de la source divine se traduit entre autres par un rapprochement, une grande sollicitude et même une familiarité au quotidien avec les animaux sauvages. Un signe pour tous !
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