A Mhardeh, j’ai rencontré des femmes qui se sont retrouvées seules après le départ d’enfants fuyant la guerre, de mari disparu ou de familles déplacées… Au lieu de se morfondre, ces femmes ont décidé de résister, à leur manière, à cette guerre qui dure et qui n’en finit pas. Ce conflit syrien se rappelle de façon trop régulière à elles. Les obus fendent le ciel. L’angoisse saisit les habitants. « Où le prochain va-t-il s’écraser ? Quelle vie va-t-il emporter ? Mon tour serait-il venu, sera-t-il celui des voisins ? » Les cerveaux gambergent alors que les jambes flagellent et obligent chacun à se réfugier au sous-sol des maisons. Les téléphones prennent alors le relais des voix pour diffuser les nouvelles. Et malheureusement l’écran remplacera un visage doux et chaud qui se voudrait rassurant.
Ces femmes ont la charge d’une association qui vient en aide aux plus démunis. Dans une maisonnette sans mobilier, elles cuisinent sans relâche des petits gâteaux, découpent et transforment d’anciens vêtements en sacs de ville, prêts à l’emploi. Elles tricotent des layettes de bébés, fabriquent divers objets de la maison : dessous de plat, porte-clés, pots pour les fleurs…. Chaque bénéfice est reversé aux familles de martyrs.
Pour perpétuer leurs actions, elles rêvent de transformer cette modeste bâtisse en centre où elles apprendraient aux plus jeunes filles les travaux de la maison.
Lorsque nous sommes venus apporter aux femmes de cette association quelques cinquante kilogrammes de farine, cinquante kilogrammes de sucre et douze litres d’huile, des obus fendaient le ciel en un bruit inquiétant ce que les terroristes envoyaient depuis les abords de la ville. Je n’ai jamais procédé à livraison plus rapide. Sac de denrées et vies humaines furent mis à l’abri avant que nous n’ayons compris être descendu de la voiture.
Ces femmes sont l’arrière garde des combattants de Mhardeh. Jours et nuits, elles sont les yeux et les oreilles de ces hommes. Leur état moral et médical est inconsciemment lié à leurs petites attentions et préparations. Ces femmes ont préparé quelques centaines de gâteaux et elles continueront à en préparer encore.
Elles ont supporté la tension des attaques, elles ont connu la peur de la mort, elles ont partagé la douleur de la perte, elles ont résisté à l’angoisse du non-retour, elles ont partagé la souffrance avec une amie, une voisine, une proche. Elles ont combattu à leur manière mais sans jamais baisser les bras, avec courage, ténacité et ce malgré la lassitude et la fatigue. Le visage de l’une d’entre-elle me frappe : alors que son front se plisse d’un énième trait d’anxiété : elle nous prépare le café. Sa bonne amie raconte comment, lors de la dernière cuisson, la bouteille de gaz avait explosé, brûlant ses cheveux. Elle caresse sa nouvelle chevelure constatant du bout des doigts que la douceur est revenue. Sur son pull est écrit « ready for departure ». Je réalise alors que ces femmes ne sont pas seulement prêtes au départ, elles sont prêtes à tout ! Prêtes à tout pour protéger les enfants, les familles, les soldats de Mhardeh.