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France : Société

Le Contre-Amiral Yann Bordier, le héros d’Angers, navigue en direction du Ciel

Le Contre-Amiral Yann Bordier, le héros d’Angers, navigue en direction du Ciel

De notre envoyé spécial Antoine Bordier:

En ce 8 mai, comment ne pas se souvenir de ce héros de l’ombre ? Entouré des siens, il est parti après 94 longues années vécues. Le fusilier-marin navigue, maintenant, en direction du Ciel. Né en 1929, près d’Angers, il a fini sa course à Larmor-Plage. Dans sans son cercueil drapé de bleu-blanc-rouge, il a reçu les derniers honneurs de l’Eglise, de sa famille et de ses proches. Celui que l’on appelle, désormais, « le héros d’Angers » aurait aimé fêter, une nouvelle fois, cette victoire du 8 mai. Portrait du héros, Grand-Officier de la Légion d’Honneur, homme de foi.

Ce mercredi 26 avril 2023, le crachin breton semble vouloir faire partie du service funéraire : le ciel sanglote sur la vie d’un homme qui vient de s’éteindre. A Larmor-Plage, dans la petite église Notre-Dame, le silence est de mise. Il sera, bientôt, comblé par la cérémonie d’A-Dieu au Contre-Amiral. Ils sont tous là pour lui rendre un dernier hommage. La famille, les amis, les frères d’armes, les anciens-combattants, les proches. L’église va se remplir entièrement, tout doucement. Elle est majestueuse et simple à la fois, toute en longueur. Elle ressemble à un voilier de granite. Son clocher, à une grand-voile.

A l’intérieur, dans la sacristie des femmes terminent les préparatifs. « C’est bien là qu’ont lieu les obsèques du Contre-Amiral Bordier ? » La sacristine répond : « Oui, oui, venez à 14h30. Nous attendons beaucoup de monde, l’église sera pleine. Il y aura beaucoup de militaires. »

Notre-Dame de Larmor, un trésor sacré

Les lumières s’éteignent, les unes après les autres. L’autel principal et les autels latéraux sont splendides. Des retables y représentent la vie du Christ, avec ses derniers moments et sa mort. Sa Mère est là. Elle reçoit Son Fils, descendu de la Croix. Le temps de la Résurrection est à venir. Il est pour bientôt. Le Cierge pascal sera, dans quelques minutes, allumé. Nous sommes encore dans le temps de Pâques. Le retable polychrome de l’autel principal représente la Vierge à l’Enfant. Là, nous contemplons presque 7 siècles d’histoire où la religion catholique et la vie de la cité sont mêlées, entremêlées, comme un nœud sacré, celui de la croix du marin. Dehors, sous le porche latéral, la main du croyant du XVIe siècle a sculpté une douzaine de statues représentant les apôtres entourant le Christ.

« Enlève tes sandales, l’endroit que tu foules est sacré », semblent dire d’une même voix les statues. Il est, tellement, sacré, cet endroit, qu’au IXe siècle, les Vikings y mettent le feu. La toute petite chapelle sera reconstruite un siècle plus tard, plus belle, plus grande. « C’est notre plus beau monument », ajoute la sacristine avant de rentrer chez elle. Il est midi, les cloches se mettent à sonner l’Angélus.

Le souvenir de Claudel  et de son célèbre poème retentissent.

« Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer. Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier. Je n’ai rien à offrir et rien à demander. Je viens seulement, Mère, pour vous regarder. Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela que je suis votre fils et que vous êtes là. »

Le crachin s’est, enfin, arrêté. Les éclaircies jouent avec les nuages. Le ciel sèche ses larmes. Le Contre-Amiral Yann Bordier est parti dans la matinée du vendredi 21 avril, « le chapelet à la main ».

Angers et une noblesse d’épée

Il est né le 11 avril 1929. En Anjou, dans la vallée royale où se dresse le petit château de la Houssaye, à Saint-Laurent-du-Mottay, à trois jets de pierre d’Angers, Yann Bordier, le numéro 5 de la famille de Jules et Anne Bordier, vient de pousser son premier cri, jeter son premier regard. La fratrie est composée d’Annick, de Louis, de Jacques, de Maryvonne, de Yann et de Paul (qui naîtra plus tard). Aujourd’hui, c’est lui, Paul, qui reste le dernier représentant de la famille. Le bâton familial lui a été transmis, définitivement. Alors que son frère Yann navigue « vers le Ciel », lui, vole à petites ailes vers ses 90 ans. D’un côté, l’ancien marin, Yann, de l’autre l’ancien pilote, Paul. Cette famille a donné sa vie à la France, en servant dans La Grande Muette. Cette famille est une petite armée à elle seule. Elle est interarmes : air, mer et terre.

Yann vient, donc, de pousser son premier cri dans cette vieille famille de banquiers, de joaillers et de militaires. Son arbre généalogique remonterait à Louis XIII. De ses racines œcuméniques ont jailli deux troncs : un tronc catholique et un tronc protestant. Lors des persécutions religieuses contre les protestants au XVIIe siècle, les protestants sont obligés de fuir. Ils trouvent refuge en Suisse et s’établissent à Genève. Les catholiques sont restés en France. L’histoire familiale se mêlerait même à celle de Louis XV, avec une lointaine parente, une marquise, dame d’honneur de Marie Leszczyńska, reine de France. Impossible d’en avoir le cœur net. L’arbre généalogique tapisserait un pan de mur entier. Impossible de lui mettre la main dessus. Ce qui est assuré, c’est le sang de la noblesse d’épée, qui coule dans ses veines. Une épée mise au service de la France. Celle du Contre-Amiral Yann Bordier a plus de cinquante ans d’histoire. Son pommeau usé est resté presque intacte.

D’une crise financière à la Seconde Guerre mondiale

Dans les années 1930, dans le château familial bordé de bois et de prairies, d’étangs et de rivières, dans la grande allée des Lièvres ombragée, Yann et ses frères et sœurs font une partie de cache-cache. Ils sont plus paysans que châtelains. Quand ils ne vont pas à l’école, ils passent leurs journées dehors, dans les champs et les pâturages. Ils s’allongent au milieu des coquelicots et des champs de blé. Ils regardent le ciel et les nuages qui font la course, poussés par le vent. Yann vit l’insouciance de ses premiers printemps au rythme des rogations, des cueillettes et des moissons. Reine nature est généreuse en Anjou.

Juste avant son adolescence, il devient scout-marin. Il n’a pas encore navigué sur tous les océans, qu’il fait son apprentissage sur les eaux du fleuve. Il est parfois tumultueux, fougueux, ce fleuve, qui porte le joli nom de Loire. Du côté des parents, les travaux à la banque et dans les fermes remplissent leurs journées. Ce triptyque idyllique (la famille, Yann, et le château) ne doit pas faire oublier le tableau dramatique de la Grande Dépression.

En octobre 1929, les finances des Etats-Unis dévissent, entraînant une récession tsunamique. La France et le reste du monde ne sont pas épargnés. L’inflation explose et bat des records, avec des taux à 2, 3, puis, 4 chiffres. Pour toute la famille, c’est un coup rude. Finie, la vie de château. Elle déménage à Angers. Cette crise va durer jusqu’en 1939 et déboucher sur la Seconde Guerre mondiale. Elle était prévisible. Hitler a les pleins pouvoirs dès 1933. La paix de 1918 sera de courte durée.

A Angers, dans la grande maison familiale, Yann voit ses frères s’engager tour-à-tour : Louis, d’abord, puis, Jacques. Sa sœur Annick devient religieuse. Elle choisit la voie de Dieu, pendant que ses frères choisissent la voie du sang. Yann n’a que 10 ans, en 1939. Il est jeune, mais, il a, déjà, revêtu l’esprit du résistant, comme beaucoup. En 1944-45, dans l’ombre de ses frères, il devient un petit héros. Il sera médaillé pour sa bravoure de résistant !

Angers martyrisée, Angers libérée

Dans le Maine-et-Loire, Angers est sous les feux de la guerre. La ville, en septembre 1939, a accueilli le gouvernement polonais, en fuite après l’invasion des Nazis. En juin 1940, Angers est occupée et commence à être défigurée, martyrisée. La ville se transforme en bunker. Des dizaines de résistants sont fusilles, des centaines enfermés, torturés. Lors du Débarquement des Alliés, près de 150 femmes et hommes partent en déportation. Certains ne reviendront pas.

Puis, en août 1944, le désenchantement et la peur changent de camp. En Anjou, les batailles font rage. Les Américains sont aux avant-postes. Pour l’Etat-Major se pose, alors, la question de pilonner toute la ville. C’est sa tactique depuis le début. En pilonnant les villes, les Nazis ne peuvent résister, obligés de se rendre, de s’enfuir ou de se terrer comme une bête.

A l’Est, Staline avance plus vite et est, déjà, aux abords de Varsovie, en Pologne. Son opération Bagration, lancée dès le mois de juin, a fait faire à l’Armée rouge une percée de 600 km dans les lignes nazies. L’Allemagne a un genou à terre. L’armée de Staline fait peur à tout le monde. Car elle libère et étend son drapeau rouge-sang, à la faucille et au marteau, sur tous ces pays, qui vivent un temps de libération de trop courte durée. Roosevelt et Churchill sont pris de vitesse par Staline. Ils doivent arriver avant lui en Allemagne.

Angers va-t-elle, dans ces conditions, être pilonnée, rasée pour obtenir une défaite allemande des plus rapides ? Non, grâce à la résistance, dont fait partie Louis Bordier, avec son frère Yann en arrière-poste, l’armée américaine est guidée par le seul pont qui n’a pas été détruit par les Allemands. Précisément, début août, le lieutenant-colonel Eynaud du Faÿ, qui est à la tête de la résistance d’Angers, adresse des renseignements qui vont s’avérer déterminants. Entre le 6 et le 8, Louis Bordier guide l’armée américaine vers le pont du Petit Anjou sur la Maine, à Pruniers. Le 10 août, les Américains entrent dans la ville. Angers martyrisée est libérée.

« Nous les avons abandonnés »

Louis (qui a 8 ans de plus que son frère) et Yann seront félicités pour leurs actes de bravoure et de résistance. Leur atavisme familial a fonctionné à merveille. C’est, souvent, dans l’adversité, au combat, que se révèlent les grands hommes. Les Bordier ont la France rivée au cœur. Yann qui n’a pas 16 ans est, déjà, un petit héros. Comme ses frères, il ne va pas en rester-là. Car, ils se sont tous engagés pour servir la France par les armes. Ils ont cela dans le sang, depuis longtemps. Dans leur arbre généalogique, il y a des généraux, comme le Général Emile Faugeron, des officiers, comme le Capitaine de Corvette René Laumonier, et des sous-officiers.

En 1947, à 18 ans, Yann Bordier entre à l’école des sous-officiers de la marine de Maistrance. Un an plus tard, il porte le pompon rouge du matelot. Ensuite, il intègre la grande école des officiers, l’Ecole Navale, en 1951. Les années 50 sont des années où la guerre, de nouveau, fait rage. Cette fois-ci, c’est l’Empire colonial qui est en ébullition.

En Asie, c’est l’implosion. Qui se souvient de 1954 ?  C’est l’année terrible de Diên Biên Phu. Yann, Enseigne de Vaisseau, y part en mission. Il va participer au sauvetage de plus de 500 réfugiés. Mais, face au Viêt-Minh, la France a perdu la partie. Elle doit se retirer avec fracas. C’est le début de l’effondrement colonial. Yann y vit des moments héroïques, des moments humains intenses. Il sauve des vies par centaine.

Il vit mal cette nouvelle capitulation de la France. Il rejoint – dans l’esprit – son aîné Hélie Denoix de Saint-Marc, le grand-héros de guerre, l’ancien déporté de Buchenwald. Avec ses hommes, Hélie Denoix de Saint-Marc vit l’enfer de Diên Biên Phu, dans la triste cuvette située à 250 km au nord-ouest d’Hanoï, près de la frontière du Laos. Il dira, en parlant des Vietnamiens fidèles à la France, restés sur place : « Nous les avons abandonnés. » Mais que pouvaient-ils faire de plus ? Ils étaient un contre sept. La question reste posée.

Avec le « Crabe-Tambour »

En 1956, Yann Bordier quitte l’Asie. Il devient l’équipier du Lieutenant de Vaisseau Pierre Guillaume à bord de son voilier Manoara. Cette relation et cet épisode de sa vie sont devenues mythiques, un film. Ensemble, ils naviguent pendant une dizaine de jours. Ils relient Cam-Rahn (dans le sud Vietnam) à Singapour (au sud de la Malaisie). Par la route, il faut, aujourd’hui, près de deux jours pour parcourir les 3 059 km qui séparent les deux villes. Malade, Yann doit s’arrêter à Singapour. Il rentre en France où il intègre les Fusiliers-Marins. Quant à Pierre Guillaume, le célèbre « Crabe-Tambour » (un film du même nom, réalisé par Pierre Schoendoerffer, adaptera ses aventures au grand-écran), l’aventurier aux mille vies, il continue sa traversée, seul. Il échoue en novembre 1956 sur les côtes somaliennes. Son ketch de 8 mètres aura tenu bon jusque-là. Un autre héros.

En France, Yann apprend, donc, un nouveau métier. C’est un mélange entre terre, mer et ciel. Il devient fusilier-marin commando. Il vit 24h/24 sur terre, sur mer et dans les airs. Il est bon dans toutes les disciplines. Il sait naviguer, sauter en parachute, ramper, fusil à la main, en tête de ses hommes. Et, c’est un chef, un « pacha ».

La guerre d’Algérie et l’indépendance

Comment ont-ils fait pour passer ainsi de l’Asie à l’Afrique ? Cette génération de militaires, celle des années 50-80, aura été l’une des plus engagées au front. De 1960 à 1962, il retrouve la guerre…en Algérie. Il est, alors, Lieutenant de Vaisseau, à la tête du Commando Trepel. Il y retrouve son jeune frère Paul, qui fera la guerre de 1956 à 1962. Alors que Yann est au contact de l’ennemi avec ses hommes, son frère, de son hélicoptère, les droppe dans le djebel, au plus près du danger.

Sur le terrain, la guerre fait rage. Avec son lot de barbaries. Des deux côtés, la torture est utilisée. Ainsi va la guerre. Les guerres propres n’existent pas. Parce que l’on n’a pas su faire la paix, on fait la guerre, depuis la nuit des temps. En 2000 ans d’histoire, notre monde n’aurait connu que 200 ans de paix.

En juillet 1962, les deux frères rentrent en France, chacun de leur côté. Une page de l’histoire se tourne : celle de l’Algérie française. Elle avait commencé à s’écrire en…1830, avec la prise d’Alger. A cette époque, Charles X rêve de conquêtes. 132 ans plus tard, le 5 juillet, l’Algérie française, a plié bagage. Le « Je vous ai compris » du Général-de-Gaulle, prononcé le 4 juin 1958 n’aura duré qu’un tout petit temps, celui de préparer une porte de sortie. 61 ans après, l’incompréhension est, toujours, de mise. Car, sur le papier, entre les lignes, l’Algérie pouvait rester française. L’armée était victorieuse. Mais dans le djebel, dans les souks, dans les willayas ? Tout un pays s’était soulevé, après l’indépendance du Maroc en 1956, contre la France. Comment résister ? Comment garder un territoire quatre fois plus grand que la France avec 1 million de Français et de chrétiens, pour 9 millions d’Algériens et de musulmans ?  Aujourd’hui, face à la déchristianisation en cours et à la montée de l’Islam, que serait la France avec ses 44 millions de musulmans, si elle avait, quoiqu’il en coûtât, gardé l’Algérie française ? La réponse est dans la question.

Une mission de sauvetage au Liban

En 1962, Yann Bordier rejoint, donc, la France. Il y ramène un mauvais souvenir : celui d’une blessure causée par un éclat d’obus. Il est, dans la foulée, mutée à Papeete, où il devient le Commandant de la Mission Hydrographique de la Polynésie Française. Sur place, il rencontre une jolie hôtesse de l’air. Ils se marient. Très vite, la famille s’agrandit au rythme des naissances de leurs trois garçons et de leur fille.

Au début des années 70, Yann intègre l’Etat-Major des Forces françaises en Nouvelle-Calédonie. A son retour en France métropolitaine, il devient le commandant du Groupement des Fusiliers-marins commandos, à Lorient. En 1978, il est promu Capitaine de Vaisseau (5 galons-or). Il participe, alors, à une opération militaire très spéciale qui sera remarquable et remarquée au plus haut niveau de la hiérarchie militaire et de l’Etat.

Depuis 1975, une guerre fratricide fait rage au Liban. Ce petit pays, grand comme la Gironde ou les Landes, concentre 18 confessions religieuses qui se sont lancées dans une lutte intestinale de 15 ans. L’élément déclencheur ? Tout d’abord, une crise économique, doublée de l’augmentation des inégalités sociales. Ensuite, une présence de réfugiés palestiniens qui pose problème en raison, là-aussi, des inégalités entre chrétiens et musulmans. Enfin, le 13 avril 1975, à Beyrouth, l’attentat contre Pierre Gemayel, qui participe à l’inauguration d’une église, et le massacre de militants palestiniens dans un bus, en représailles, mettent le feu aux poudres. En outre, cette guerre est sous influence des grandes puissances régionales et internationales. Et, du côté de la France ?

La France est l’amie du Liban depuis au moins le XIXe siècle. Le Liban est, d’ailleurs, majoritairement, un pays francophone. A la fin de la Première Guerre mondiale et à la suite de la dislocation de l’Empire ottoman, le Liban devient le Grand Liban, sous mandat de la France, entre 1920 et 1943, année de son indépendance. Les Français sont, ainsi, très présents au Liban, jusque dans les années 80. C’est dans ce contexte, très complexe, au milieu de cette guerre, en 1978, que Yann Bordier participe au rembarquement-sauvetage du 8e RPIMA, un régiment parachutiste d’élite. L’opération a lieu à Tyr, dans le sud, dans une région peuplée de musulmans. Elle se nomme Hippocampe. Elle est un succès, qui fera date et qui servira d’exemple.

« La Marine est redevable… »

Le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing leur adresse ce message, relayé par l’Amiral Jean-René Lannuzel, alors Chef d’Etat-Major de la Marine Nationale :

« En faisant preuve de leur efficacité et de leur technicité aux yeux d’observateurs étrangers, les unités navales qui y ont participé ont contribué à renforcer le prestige de notre pays et je vous demande de leur transmettre mes biens vives félicitations. »

De son côté, le Chef d’Etat-Major ajoute son hommage :

« La Marine est redevable à l’efficacité du Capitaine de Vaisseau Bordier qui commandait les éléments navals de l’opération. Je lui demande donc d’accepter aussi mes modestes remerciements. »

Peu après, la page du Liban se tourne, pour lui. C’est l’un de ses derniers faits d’armes.

Quelques années plus tard, le lendemain de son anniversaire, le 12 avril 1985, il est fait Contre-Amiral (2 étoiles). Il se retire à Lorient, après une carrière, qui aura duré près de 40 ans. Il aura navigué sur toutes les mers du globe en portant bien haut les couleurs de la France, et en versant son sang. Que retenir ?

En tout, sur le champ d’honneur, il totalise six citations. Il est Grand-Officier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’Ordre National du Mérite, Etoile d’Argent de la Croix de Guerre des théâtres d’opérations extérieurs. Il a reçu, également, les Palmes de la Croix de la Valeur Militaire, et d’autres Médailles. Il est médaillé d’Outre-Mer, médaillé de la guerre 39-45, et médaillé de la campagne d’Indochine. Bref, un héros.

La rencontre avec l’Amiral Philippe de Gaulle

Des hommages, lui qui ne les aimait pas, il en a reçu. Il ne les a, jamais, refusés. En les acceptant, « il rendait hommage à ses hommes » comme l’explique l’un de ses anciens seconds, qui a retracé toute sa vie lors de ses funérailles à Larmor-Plage. Parmi les rencontres qui l’auront marqué, il faut citer celles avec l’Amiral Philippe de Gaulle et avec le Président Jacques Chirac. En 2003, ce-dernier lui a remis les insignes de Grand-Officier de la Légion d’Honneur. Quant à l’Amiral Philippe de Gaulle, il ne s’en est jamais vanté. Il n’aimait pas que l’on fasse de la publicité autour de lui. Il aimait rester dans l’ombre. Ce qui était le cas avec de Gaulle, qui le dépassait par sa grande taille. Mais, il le dépassait, aussi, par l’âge, car il est né en 1921. L’Amiral Philippe de Gaulle, toujours de ce monde, fêtera cette année ses 102 ans.

Un jour au Panthéon ?

A Angers, en 2018, le Contre-Amiral Yann Bordier acceptait de parrainer l’Association des Marins et Marins Anciens Combattants, l’AMMAC, qui porte, dorénavant son nom. A ses obsèques, le 26 avril dernier, le président actuel de l’association, Monsieur Didier Augeard, était représenté par ses prédécesseurs, Alain Prijac et Maurice Robert.

Dorénavant, à Angers, à Larmor-Plage, à Lorient, en Bretagne, à Paris, en France et en Outre-Mer, ce sont ses enfants et ses petits-enfants qui reprennent le flambeau. Ils sont, très certainement, des héros en devenir. Certains le sont, peut-être, déjà. En donnant leur vie à la France, à l’Armée française, ils ne s’appartiennent plus tellement. Ils ont appris à obéir et à commander. En devenant des soldats, ils ont appris à faire la guerre, pour la France, pour la paix. Une France qui est en train de perdre ses valeurs. « C’était l’un de ses derniers chagrins, que la France perde ses valeurs », confie l’un de ses proches.

Comment conclure sur une telle vie ? Peut-être retrouverons-nous le Contre-Amiral Yann Bordier…au Panthéon, entouré de ses frères. Pour l’heure, vus du Ciel, il regarde son épouse, ses enfants et ses petits-enfants. Il regarde, enfin, le dernier représentant de cette génération de héros, son frère Paul. Lui, aussi, a le chapelet à la main.

La lettre de saint Clément et la foi du Centurion

Pour conclure, naviguons un petit peu. Retrouvons-nous à Rome et à Capharnaüm. Yann Bordier aurait, très certainement, aimé cette immersion profonde à Rome, au 1er siècle de la chrétienté. Nous sommes dans les années 90. Le pape Clément I écrit ces quelques phrases :

« Servons en soldats, mes frères, de toute notre ardeur, sous les commandements de ce chef irréprochable. Considérons les soldats qui servent sous nos chefs : avec quelle discipline, quelle docilité, quelle soumission, ils exécutent les ordres qui leur sont donnés ! Tous ne sont pas commandants en chef, ni chefs de mille, de cent ou de cinquante hommes, et ainsi de suite : chacun à son poste exécute ce que lui prescrive le roi ou les chefs. Les grands ne peuvent rien faire sans les petits, ni les petits sans les grands : en toutes choses ils sont mélangés, et c’est ainsi qu’ils sont efficaces. »

Yann Bordier était un chrétien, il aimait ce mélange. Et, c’était réciproque. En toutes circonstances, il est resté fidèle à sa foi. Il ressemblerait, enfin, à ce Centurion qui interpelle le Christ, à Capharnaüm. Souvenez-vous, le serviteur du Centurion est gravement malade. Le Christ lui répond : « Je vais aller moi-même le guérir. » Le Centurion est gêné :

« Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Car, moi-même qui suis soumis à une autorité, j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : “Va”, et il va ; à un autre : “Viens”, et il vient, et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait. »

Jésus est bouleversé : « Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi. »

Reportage réalisé par Antoine Bordier

Copyright des photos A. Bordier et J.-C. Rouxel

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