Dans La Nef, Hervé Juvin revient sur le libéralisme :
"[…] La réalité est plus complexe. D’abord parce que tout débat sur l’ultralibéralisme supposé de la société française est surréaliste pour qui sait que plus de 60 % de l’argent circulant dans l’économie française est public. Le social-libéralisme, sur ce plan, a quelque chance de ressembler à un pâté de bœuf et d’alouette ; un bœuf fiscal, une alouette libérale ! Ensuite, parce que l’accusation d’être un libéral est de celle qui a durablement déconsidéré tout parti ou tout homme public français, alors même que, dans la majeure partie du monde occidental, la question est : comment ne pas être libéral ? Alain Madelin, parmi d’autres, en sait quelque chose. Enfin, parce que le libéralisme a été tellement accommodé à toutes les sauces et servi à toutes les fins qu’il est difficile de l’employer sans l’assortir d’épithètes explicatrices et de périphrases clarifiantes – ou le contraire. Social-libéralisme fait-il un cocktail meilleur que, par exemple, national-libéralisme ?
Il est utile de distinguer entre libéralisme et libéralisme. Sortir de la confusion, n’est-ce pas la tâche assignée par Paul Valéry à ceux qui pensent que ce qui a déjà été pensé doit toujours être pensé et repensé ? Assumons-la. De toute évidence, nous n’en avons pas et nous n’en aurons jamais fini avec la question de la liberté, cet abîme, ou ce mystère. Après tout, la modernité n’est-elle pas sortie de ce dialogue sans cesse renouvelé, à jamais inachevé entre la liberté et le pouvoir ?
La première distinction à établir porte sur le libéralisme économique, le capitalisme et la liberté individuelle. Il est un départ où liberté économique et liberté individuelle, de même que liberté économique et démocratie, marchent de concert, et avancent d’un pas léger ; et il est un moment où tout se brouille. Comme l’a écrit Pierre Manent, vient un moment où la propriété privée dévore la liberté – où la destruction des biens communs à laquelle aboutit la privatisation sans limites, réduit les libertés du plus grand nombre. Non seulement libéralisme économique et libertés individuelles ne s’accordent plus, mais le capitalisme vient brouiller les choses, qui est un principe économique d’un autre ordre et n’a en fait rien à voir avec l’une ou l’autre qu’il fait trébucher ; le capitalisme national-communiste chinois comme jadis le capitalisme monopoliste d’État soviétique illustrent, pour le meilleur ou pour le pire, l’erreur majeure qui a si souvent et si faussement confondu capitalisme et libéralisme.
[…] La seconde distinction, ô combien d’actualité, porte sur libéralisme sociétal et libéralisme politique. D’actualité parce que, en déclarant qu’il existe un socialisme libéral, et qu’il s’y reconnaît, Emmanuel Macron, dont beaucoup oublient qu’il a commencé sa vie active aux côtés de Paul Ricœur et que ses rares écrits sont philosophico-sociaux (dans la revue Études), a relancé un débat récurrent. […]"