Bref commentaire politique d'Henri Hude sur le geste du pape François ramenant de Grèce au Vatican une douzaine de migrants musulmans :
"Je me place ici à un point de vue simplement politique.
On peut comprendre que le geste du pape à Lesbos en scandalise certains, s’il est mal interprété. Mais, est-il sage de s’imaginer que le pape sacrifierait tout bien commun, y compris la sécurité publique, à des droits individuels, et toute prudence à une charité sans ordre ni raison ? Son action a un sens sérieux et solide. Que fait donc le pape François ? Il ne tombe pas dans le piège de l’Empire.
En effet, pour comprendre un problème de politique internationale, il faut l’aborder du point de vue de l’Empire. Cela veut dire : commencer par regarder la chose à partir de Washington et du point de vue de Washington. Je dis « Washington », et non pas « les Etats-Unis », parce que le peuple américain n’a guère plus de pouvoir sur la politique étrangère des Etats-Unis désormais, que le peuple français n’en a lui-même sur celle de la France.
Car Washington a une politique. Une politique impériale, dont le principe, parfaitement classique, est « diviser pour régner ». Son but, c’est le pouvoir. Sur le plan spirituel, l’Empire est censé croire aux Lumières, ou à ce qu’il en reste, mais fondamentalement il croit à son pouvoir et favorise ce qui le sert. Et comme ce qui le sert est la faiblesse des autres, il pousse toute idée ou sentiment qui déstructure et désoriente ses rivaux potentiels.
La lutte contre l’Islam, une nouvelle guerre au service de l’Empire
En ce qui concerne l’Europe et en particulier la France, l’Empire cherche à reconstruire un rideau de fer entre l’Europe et la Russie, d’une part, et à rendre possible si besoin était une guerre de religions ou de civilisations entre l’Europe et le monde arabo-musulman, d’autre part. Une guerre de religions pourrait prendre dans bien des pays européens la forme d’une guerre civile, comme c’est déjà le cas au Moyen Orient. Cela permettrait à l’Empire de prolonger indéfiniment son ingérence protectrice tout en bénéficiant de l’impuissance de ses rivaux. Sous prétexte d’état de siège et de lutte anti-terroriste, cela permettrait de juguler les oppositions démocratiques qui dans bien des pays s’opposent aux grands cartels qui sont l’empire américain (à commencer par la finance). Cela fournirait le prétexte pour remplacer, si besoin était, des partis libéraux trop mous, par des dictatures diverses, à la fois plus autoritaires avec le peuple et plus dociles à la puissance impériale. L’histoire de l’Amérique latine est instructive à cet égard (histoire que connaît bien le pape François). En toute hypothèse, une guerre de religions avec l’Islam aurait pour conséquence de couper les ponts entre les catholiques et les musulmans, tout en prolongeant l’idéologie athée, au prétexte que les religions – c’est bien connu – se font la guerre.
L’Empire seul sait réellement pourquoi il fait la guerre. Les autres ne sont que des fous se battant pour le bénéfice d’un autre. Divisés, ils se massacrent et se haïssent, croyant chacun défendre leurs intérêts, et ne servant que l’Empire, qui vit de leurs divisions.
Tout empire qui se respecte est notamment maître dans l’exploitation des sentiments nationaux de toutes sortes. Le patriotisme primaire, les divisions religieuses ou ethniques, les régionalismes, mais aussi toute forme d’extrémisme sont pour lui des instruments de choix dans son jeu. Il sait agiter cette cape rouge dans laquelle viendront donner à plein les esprits primaires, qui ignorent tout du savoir-faire impérialiste.
Le pape, de la manière la plus éclatante, vient de dire à l’Empire : ne comptez pas sur l’Eglise catholique pour faire le jeu de vos guerres impériales. La logique de l’Empire est le pouvoir universel. Mais la logique de l’Eglise est l’annonce de l’Evangile à toutes les nations, et elle lui est transcendante.
C’est l’Empire qui a créé la crise des migrants. Il peut aussi y mettre un terme
Le djihadisme islamiste n’aurait jamais pris l’importance qu’il a prise, si (i) l’Empire n’avait pas jusqu’à aujourd’hui fait alliance avec les wahhabites, si (ii) il n’avait pas mis en selle les djihadistes lors de la guerre soviétique en Afghanistan, pour en faire un instrument de choix pour déstabiliser ses ennemis et si (iii) il n’avait pas joué un rôle déterminant dans la guerre en Syrie dont découlent directement le drame humanitaire et l’immigration que nous connaissons.
Nous devons certes nous méfier de la subversion islamiste provenant de pays comme la Syrie, subversion que nos dirigeants parfois tolèrent avec lâcheté, et qui parfois les effraie. Pourtant, il est immoral de traiter en criminels ou en envahisseurs les victimes de ce drame (même si la prudence et la raison peuvent nous contraindre parfois à des mesures strictes – de plus, relativement à ses prédécesseurs, le pape François est revenu à une position moins pacifiste et à une interprétation plus vigoureuse de la doctrine catholique de la guerre juste).
Si nous voulons mettre fin à cette crise des réfugiés, c’est à Washington qu’il faut parler, afin qu’il maîtrise ses alliés dans le Golfe pour qu’ils cessent d’exciter l’islamisme. Le geste du pape est donc tout à fait utile à cet égard, tout comme le sont sa réception informelle de Bernie Sanders au Vatican[i], ou ses rencontres assez régulières avec Vladimir Poutine. Les opinions de ces derniers sur la politique étrangère US sont très critiques. […]"