Le ministère de l’Education nationale est une grande machine à produire du règlement, de la norme, de la procédure et du protocole. De la connaissance ? On n’est pas vraiment sûr.
Il n’y avait aucune raison pour que le fameux « grand oral », cette nouvelle épreuve du baccalauréat qui voit un élève présenter et soutenir une question préparée à l’avance, un summum de nouveauté progressiste…, échappât à la règle.
Le ministère, ou ses pisse-copies, a donc pondu un « Guide pour le grand oral », à destination du jury. Très important qu’un professeur de lycée soit quand même capable de comprendre pourquoi et comment faire passer un oral à un élève de lycée (comme il en voit à longueur de journée).
Et l’on y voit se déployer tous les chatoiements pédagogiques dont le ministère est capable dans un document de cinq pages, hautement réfléchi quoique la description de l’épreuve (durée de préparation -20 minutes, durée de l’oral -20 minutes) soit répétée inutilement à douze lignes d’écart.
L’épreuve est d’une difficulté redoutable : le candidat doit présenter un total de… deux questions. Ces deux questions ont été « préparées avec ses professeurs et éventuellement avec d’autres élèves ». Elles portent sur les deux spécialités choisies par l’élève pendant son cycle terminal. De toutes façons, il est expliqué ensuite que « ce qui est important, ce n’est pas tant la question telle qu’elle est écrite et présentée au jury mais bien la façon dont elle est traitée » !
Ainsi, l’élève doit être capable de « produire une parole synthétique, structurée et savante, basée sur un contenu qu’il s’approprie et ainsi habiter [sic] une parole plus spontanée que celle de l’exposé ». En même temps, il doit être capable de« dépasser le langage spécifique inhérent à la spécialité concernée ». Le résultat consiste alors en « des productions orales » [sic], évaluées bien sûr selon une grille.
A propos de parole synthétique, voilà la phrase de présentation du deuxième temps de l’entretien, celui de l’échange avec le candidat, telle que rédigée par les pisse-copies :
« Il importe que le candidat puisse entrer dans un dialogue constructif avec le jury à partir de sa question et de la réponse qu’il en a donnée afin d’identifier sa capacité à adopter un recul critique sur son savoir (et la construction de ce savoir), ce qui suppose de pouvoir parler à un non-spécialiste de ce que l’on sait et de ce sur quoi l’on a réfléchi, sans se réfugier dans un jargon qui escamote certains arguments, et pour autant sans s’affranchir des exigences de rigueur et de précision d’un discours bien informé ».
Enfin, il y a le Rappel des attendus pour les membres du jury du « Grand oral » ; en clair, ce que les professeurs doivent accomplir :
- Premier attendu : Avoir « une posture professionnelle d’accueil et d’accompagnement de la parole des élèves». Les modalités d’interrogation doivent « s’ajuster le plus possible à la singularité de chaque candidat », l’attitude doit –forcément, comme eût dit Marguerite Duras- être bienveillante. « Les jurys appréhendent ainsi l’exercice dans sa dimension informée et argumentative, mais aussi en prenant conscience [sic] de sa dimension corporelle ou émotionnelle… c’est bien un échange oral et authentique qui est visé ».
- Le deuxième attendu s’intitule : « Des littératies disciplinaires à dépasser». Pour être honnête, on a d’abord cru à une coquille. Apparemment, rien ni dans le Larousse, ni dans le Robert à propos de littératie. Mais le site de l’Académie de Poitiers propose la définition de l’OCDE : « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ». C’est donc du pédago-verbiage. Mais qui induit curieusement que la littératie est parfois associée à l’analphabétisme quand l’aptitude sus-mentionnée est nulle ! De toutes façons, il faut dépasser cette littératie disciplinaire et c’est tant mieux puisqu’on apprend en même temps que le fait, pour un des deux professeurs, de ne pas enseigner la spécialité retenue pour la question choisie, « soustrait le discours à un échange entre initiés ». Même le professeur non-spécialiste pourra comprendre.
- Les attendus continuent de s’ajouter. On rappelle que l’oral est un espace de dialogue, y compris « entre les membres du jury eux-mêmes». Les professeurs doivent tirer de l’expérience « une analyse réflexive de leur pratique de l’oral, pour mieux en cerner l’efficacité et les fragilités » [« les fragilités » : pratique ministérielle de la bienveillance à l’égard des professeurs, sans doute]. Les enseignants doivent identifier les biais (sociaux, de genre…), pour « accueillir la diversité des voix des candidats ». Les professeurs sont enjoints à « ne pas forcément parler avec une assurance impérieuse de [leur] sujet ».
- L’évaluation est essentielle [il faut bien atteindre les objectifs gouvernementaux]. Alors, « objectiver l’évaluation ne doit pas se ramener à la juxtaposition d’observables parcellaires» [bon sang, mais c’est bien sûr !].
- Enfin, et on terminera là-dessus, le temps de présentation de son projet d’orientation par l’élève lui permettra « de montrer que des préoccupations socialement vives sont également devenues personnellement vives». Qui en aurait douté ?
Sans même insister sur l’idée centrale que les bons sentiments feraient les bons oraux et donc les bonnes notes, on remarque quand même que le ministère (et ses pisse-copies) prennent vraiment les professeurs pour des demeurés. En fait, un peu comme le gouvernement vis-à-vis des Français dans la période covidienne.
Il est certain qu’un oral gommera au moins un certain manque de maîtrise de littératie orthographique, comme illustré ce jour sur son compte Twitter par M.René Chiche, professeur de philosophie et auteur de La désinstruction nationale (ed. Ovadia) :
A l’oral, les professeurs, dûment préparés, auront certainement à cœur d’y voir l’expression d’une préoccupation socialement vive…
philippe paternot
j’ai enseigné deux ans à Mayotte, les professeurs corrigeaient les épreuves du bac, aucun n’était de jury ! seuls les fonctionnaires du vice rectorat en faisaient partie …. pour que les 75% de reçus soient effectifs