Educ’France a rencontré Hugo Micheron, qui vient de publier “Le jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons”. Il fait parfois référence à certaines “écoles hors contrat”, souvent citées dans le discours politique ces derniers temps au sujet du séparatisme islamiste.
Vous écrivez qu’à l’heure de l’après-Daech, certains jihadistes souhaitent favoriser l’essor des écoles privées hors contrat musulmanes. Quelles distinctions faites-vous entre les différents types d’écoles musulmanes ?
A l’heure de l’effondrement de Daech, les sympathisants du projet de Daech changent de stratégie. D’une logique d’expansion territoriale au Levant, ils passent à une logique de repli et de construction d’entre-soi en Europe et ailleurs. Les écoles privées hors contrat musulmanes, et le rôle que peut jouer l’éducation, peuvent être une composante de ces dynamiques en France. Elles peuvent être des moyens pour endoctriner les enfants dès le plus jeune âge et prévenir tout contact avec les autres enfants et les codes en vigueur dans la société jugée “mécréante”. Une alternative au fait d’organiser la déscolarisation des enfants pour la réorganiser à la maison, à travers le suivi de cours via le Centre National d’Enseignement à Distance par exemple. Les parents filtrent alors eux-mêmes les contenus de l’enseignement à la maison. C’est un mouvement qu’il n’est pas évident de détecter ou de qualifier, car bien évidemment nous parlons de dynamiques très minoritaires mais qui prennent de l’importance depuis cinq ans. De la même façon, certains préféreront inscrire leurs enfants dans des écoles privées qui, elles, sont sous contrat, et dont la ligne se rapproche de celle portée par les Frères musulmans. Il est donc peu pertinent de faire des distinctions entre les types d’écoles qui posent problème. C’est en termes de déscolarisation et de re-scolarisation à l’échelle d’un territoire, et non pas à travers des typologies d’écoles trop statiques qu’il faut raisonner.
Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise précisément une école qui prône le jihad ?
Je n’ai pas connaissance d’école dans lesquelles le jihad ait été « prôné »… Les écoles hors contrat présentent plutôt des cursus qui présentent eux-mêmes des orientations religieuses de type “fréristes” ou salafo -fréristes par exemple. Elles sont souvent de petite taille. Parfois, elles violent ouvertement le principe du respect du socle commun des connaissances et s’éloignent des obligations inhérentes à la liberté d’enseignement. Cela peut se traduire par exemple par un enseignement très sélectif de l’histoire, par l’absence d’enseignement de la musique ou de disciplines qui sont précisément là pour favoriser l’épanouissement intellectuel, individuel et artistique… Vous pouvez aussi remarquer un volume horaire anormalement élevé pour l’enseignement du Coran… Il n’y a pas d’école jihadiste, mais des stratégies d’organisation spécifiques des enseignements religieux au sein d’écoles pratiquant des cursus extrêmement restrictifs au regard du socle de connaissances fondamentales requis.
On constate l’échec des pouvoirs publics à fermer certaines écoles musulmanes hors contrat, qui posent problème… Que pouvons-nous faire ? Changer notre droit ?
Sans être un spécialiste des politiques publiques, je crois pouvoir affirmer que la loi Gatel a permis de renforcer les contrôles dans ces écoles. Des efforts peuvent être fournis dans le sens de la formation des inspecteurs pour leur permettre de qualifier les situations auxquelles ils sont confrontés. Sans changer le droit, il est possible donc de renforcer la formation des inspecteurs et inspectrices plus précisément sur des aspects, qui sont par ailleurs, des questions d’ordre public.
Quelles sont, quels seraient les meilleurs moyens de détecter les signes d’endoctrinement ou de radicalisation dans une école ?
J’aurais tendance à répondre qu’il faudrait commencer par s’intéresser d’abord à l’extra-scolaire. Dans les écoles hors contrat ou bien dans des cas de scolarisation à domicile, il faut naturellement s’intéresser à l’environnement éducatif, la pédagogie réellement suivie et au contenu réel des enseignements proposés. Il faut bien sûr avoir en tête qu’on ne scolarise pas des enfants de la même façon dans un deux-pièces comme on fait cours dans une école, c’est-à-dire dans un espace qui organise aussi, à côté de l’enseignement, la sociabilité et l’ouverture sur le monde des enfants…
Vous avez interrogé des jihadistes en prison. Que pouvez-vous nous dire de leur parcours scolaire ?
Leurs parcours scolaires sont très différents les uns des autres. Certains menaient des études à l’université et d’autres ont connu très tôt une situation d’échec scolaire. J’ai aussi rencontré des « décrocheurs » qui, par le biais de l’endoctrinement religieux, se sont mis à lire abondamment les livres de la doctrine wahhabite, et, ce faisant, ont eu le sentiment de dépasser leur propre échec et donc les limites auxquelles ils faisaient face à l’école. Dans ce cas là, la situation est problématique car le processus d’élévation intellectuelle s’est fait par la littérature salafiste et non pas par l’école… Là où l’école échoue, le salafisme peut permettre chez certains élèves, la structuration de l’intellect et il est alors très délicat d’envisager toute marche arrière. […]