De notre envoyé spécial Antoine Bordier :
Sur la terre du Golfe de Saint-Tropez, dans le célèbre village de pécheurs, avant que l’été se termine, l’amitié franco-arménienne et la laïcité sont bien ancrées dans le paysage marin. Loin des bruits touristiques, autour d’un khatchkar le temps d’une inauguration officielle et d’une bénédiction religieuse, reportage entre terre, mer et ciel.
C’était il y a deux mois, le dimanche 4 juillet. Les touristes commençaient à pointer le bout de leur nez. Saint-Tropez était entre deux eaux. Celle des incontournables, des villageois qui vivent à l’année et qui ne dépassent guère les 4 000 habitants. Et, celle du million de touristes (par mois !) qui viennent, chaque été, en moyenne, découvrir le village peint par Paul Signac. Dans l’église Notre-Dame de l’Assomption, ce dimanche, le curé de Saint-Tropez, le père Jean-Paul Gouarin, est là entouré de deux autres prêtres qui officient une cérémonie religieuse. Dans l’assemblée, des politiques et des laïcs, des Français et des Arméniens ont fait le déplacement. « Depuis de nombreuses années, explique le maire, Sylvie Siri, il existe une communauté arménienne importante dans le Golfe. » Le père Jean-Paul Gouarin a revêtu, pour l’occasion, sa soutane blanche. L’église est magnifique, à l’extérieur, avec son clocher et son campanile aux couleurs ocre et terre de Sienne. L’intérieur est baroque, moins atypique, avec le buste de saint Tropez. Les chants arméniens de la cantatrice en épousent les contours tout en célébrant le saint.
Selon l’histoire racontée sur place, ce-dernier s’appelle en réalité Torpès. Nous sommes au 1er siècle après Jésus-Christ. Soldat dans l’armée romaine, il devient intendant du palais de Néron, à Pise. Il rencontre l’apôtre Paul et se convertit. Lors d’une fête païenne, il professe sa foi devant Néron, estomaqué par son audace. A plusieurs reprises, Néron lui demande d’abjurer sa foi. Il refuse. Néron le condamne, alors, à mort. Il est, d’abord, livré aux lions et aux panthères, qui ne le dévorent pas. Puis, il est flagellé à une colonne, qui se brise sur son bourreau. Il meurt, finalement, le 29 avril 68, décapité par le fils du bourreau devenu orphelin. « Sa tête est toujours conservée à Pise », explique le curé. Selon la tradition, le corps du martyr aurait été déposé dans une barque, qui aurait accosté à côté du village de Saint-Tropez. Célerine, une romaine convertie, aurait découvert son corps sur la plage, et, l’aurait enseveli à l’endroit même où se trouve, aujourd’hui, la Chapelle de Saint-Tropez hors-les-murs.
Un hommage aux Arméniens
En sortant des murs de l’église Notre-Dame de l’Assomption, parmi la centaine de personnes présentes pour célébrer l’amitié franco-arménienne, et, pour l’inauguration du khatchkar, Levon Muradyan, le président de l’association des Arméniens du Golfe explique que « c’est un moment historique. Nous rendons, ainsi, hommage sur cette terre de Saint-Tropez, au 1,5 million de martyrs arméniens victimes du génocide perpétré par l’Empire ottoman en 1915 ». Parmi les personnalités arméniennes présentes, certaines viennent de Paris, de Lyon, de Genève, de Toulon. Parmi les locaux, il y a les famille Teneketzian et Keklikian, connues pour leurs glaces Barbarac, et, leurs sandales K.JACQUES. La fille de Charles Aznavour, Katia est là dans la foule, en toute discrétion.
Nous arrivons près du cimetière, qui se situe au-dessus du port, d’où l’on aperçoit l’étendue bleu-azur du Golfe.
« C’est un lieu de mémoire, raconte Sylvie Siri, le maire. A côté, de la croix arménienne, nous avons cette sphère qui représente la diaspora des pieds-noirs d’Algérie, et, nous avons un lieu de mémoire pour les harkis. »
La croix arménienne qui dépasse les 2 mètres a été sculptée par Rafi Tumanyan, venu tout spécialement d’Arménie. Après les discours qui nous plongent dans l’histoire de l’Arménie et du génocide, une minute de silence est demandée. Puis, des gerbes sont déposées, dont une par la députée Sereine Mauborgne. Ensuite, un temps convivial privatif prolonge l’évènement au restaurant Nano. Là, nous retrouvons Levon, plus au calme. Emu, il tient à témoigner que
« si le travail de mémoire est très important, pour ne pas oublier le génocide, l’amitié franco-arménienne l’est également. A travers la croix, ce sont les valeurs d’amitié, de partage, de sacrifice et de résilience, qui sont représentées. La France a toujours soutenu l’Arménie. Elle nous a accueilli. Aujourd’hui et demain, elle sera toujours-là à nos côtés. Et, c’est réciproque. »
C’est cela, la laïcité à la Française.
Reportage réalisé par Antoine BORDIER, Consultant et Journaliste Indépendant