Observateur des États-Unis, Alexandre Mendel livre chaque semaine, sur Conflits, une « Lettre d’Amérique » pour décrypter les élections en cours. En voici une sur l’avortement :
L’arithmétique électorale américaine est une science de laboratoire. Un mauvais dosage de promesses, un mélange de stratégies non miscibles entre elles et vous voilà à devoir refaire le retard que vous pensiez avoir rattrapé dans tel ou tel État. Donald Trump vient typiquement de faire les frais de cet exercice permanent d’équilibrisme, d’autant plus difficile à réussir quand on tient une ligne populiste et, donc, quand on essaye, par définition de plaire à tout le monde. Surtout, sur un sujet aussi sensible que le droit à l’avortement aux États-Unis. Un piège dans lequel tombe tout républicain depuis Romney en 2012.
Un piège pour les républicains
Voilà Trump surpris la semaine dernière à s’être mis à dos une fraction de son électorat, celle des anti-avortements (et singulièrement, les évangéliques) en voulant en conquérir une autre, celle des femmes de banlieue (les suburban women), catégorie où il est à la peine dans les sondages et dont l’importance lui avait carrément coûté l’élection en 2020. Car Trump pensait s’être sérieusement débarrassé du sujet.
Après tout, n’était-ce pas grâce aux trois juges conservateurs qu’il avait nommés à la Cour suprême pendant son unique mandat que l’arrêt Roe v. Wade, décision de 1973 de la plus haute juridiction, qui autorisait l’IVG sur tout le territoire américain, avait été abrogé en juin 2022, laissant le soin aux seuls États de légiférer sur la question ? Trump se frottait les mains : non, le droit à l’avortement n’était pas absolu. Oui, les États du sud, ceux de la Bible Belt, tels le Mississippi, l’Alabama ou l’Arkansas peuvent l’interdire complètement avec de très rares restrictions, souvent liées à la santé de la mère, tandis que les plus progressistes comme l’Oregon ou le Minnesota ne fixent pas de limite au délai de gestation. C’est à cause de cette grande variété de législation que Trump s’est retrouvé à préciser sa position. Car Trump, tout candidat qu’il puisse être, se trouve être aussi un électeur de Floride.
Or cet État, dirigé par le très conservateur Ron DeSantis, un temps son concurrent aux primaires républicaines, organise en même temps que la présidentielle un référendum sur le sujet. Dans le Sunshine State, depuis 2022, le délai de grossesse maximal pour avorter est de six semaines. Un amendement propose de le porter à 24 semaines, soit ce qui est habituellement considéré comme le moment de viabilité du fœtus. Que va voter Trump, qui se présente toujours comme « le président le plus pro-life que les États-Unis aient jamais connus » ? Pour l’allongement du délai ! Enfin, c’est ce qu’il disait à NBC avant de se raviser, deux jours plus tard, sur Fox News, après le tonnerre de protestations des associations pro-vie et des évangéliques menaçant de ne pas voter pour lui le 5 novembre. Ce « yes » suivi d’un « no » peut avoir de lourdes conséquences.
Yes or no ?
En la matière, l’inconstance du républicain reflète la diversité de sentiments sur un sujet aussi émotionnel que politique et qui renvoie à la fois aux convictions religieuses et à la variété des opinions publiques État par État. Complexe de plaire à la fois aux chrétiens de Floride (latinos compris) et aux femmes des banlieues de Tampa !
Tant qu’il n’était pas engagé en politique, spécialement dans les années 1980 et 1990 où il était démocrate, Trump se fichait bien du vote des évangéliques : c’était aussi l’époque où le milliardaire, alors bienpensant, était invité sur toutes les chaînes de télévision pour commenter l’actualité. Ses idées très conformistes d’alors n’ont plus rien à voir avec celle de celui qui prétend aujourd’hui avoir la Bible comme livre de chevet sans toutefois être capable d’en citer un seul verset.
Ce grand écart permanent fait les délices du Parti démocrate dont l’avortement est devenu un des thèmes récurrents en campagne sous le vocable de « défense des droits reproductifs ». En 2022, alors que Joe Biden était au plus bas et l’inflation au plus haut, les démocrates avaient réussi à conserver le Sénat et à limiter la casse à la Chambre des représentants. Les femmes des grandes agglomérations des États pivots avaient sauvé la peau de dizaines de membres du Congrès. Loin d’avoir réglé le problème, l’abrogation de Roe vs Wade a été l’épine dans le pied de Trump. 63 % des Américains, selon l’institut Pewresearch, sont opposés à l’abandon de cette célèbre jurisprudence.
L’élection de novembre prochain devait se jouer sur l’économie, et notamment sur l’inflation, mais aussi sur l’immigration, qui restent les deux sujets majeurs de préoccupation des Américains : c’était presque trop facile pour les républicains qui n’avaient qu’à pointer du doigt les piètres résultats en la matière de l’administration Biden/Harris. Les juges nommés par Trump en ont décidé autrement en remettant au centre de l’élection un sujet qu’on croyait réglé. Certes, dans la plupart des enquêtes d’opinion, l’accès à l’avortement n’arrive souvent qu’en quatrième position des motifs d’inquiétude de l’électorat, mais chez les femmes en âge de se reproduire, il se situe souvent en premier chez les noires, les jeunes et les électrices indépendantes.
Terrain glissant
En devenant subitement pro-choice, Trump ne fera pas bouger les lignes. Le Parti démocrate reste dans l’esprit des Américains le parti du droit des femmes et ce n’est pas le Grand Old Party qui le deviendra. Mais il aura abîmé son soutien chez les évangéliques qui voyaient en lui un champion de la protection des « unborn » et excusaient ses outrances ainsi que ses infidélités tant qu’il restait loyal envers les pro-life. 90 millions d’Américains appartiennent à des églises évangéliques. La militante anti-avortement Lila Rose, présidente de Liveaction, un important mouvement pro-vie, a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne voterait pas pour le candidat républicain (sans pour autant voter pour sa rivale démocrate), estimant que « les positions prise par Trump ces dernières semaines, en rupture avec sa campagne de 2016 et sa présidence, lui coûteront son élection ».
Si Trump n’aura aucun mal à gagner globalement leurs suffrages, il suffirait que quelques dizaines de milliers d’entre eux choisissent de ne pas se déplacer le 5 novembre pour le mettre en difficulté dans des États comme le Nevada ou la Géorgie où le vote évangélique compte. Combien de femmes qui doutaient des intentions de Trump pour les remplacer dans les urnes ?
Thibaud
Contresens sur la notion de populisme que l’auteur confond avec la démagogie. L’idée que Trump cherche à « plaire à tout le monde » est à hurler de rire. Ça fait 15 ans qu’il passe son temps à insulter et ridiculiser 45-55% de la population américaine.
A part ça il faudrait être sacrément débile pour ne pas voter Trump pour avoir Harris sur l’avortement.
Collapsus
Trump frappé du symptôme RN/LR ? Abandonner ses propres convictions pour conquérir un nouvel électorat est un calcul risqué et débile puisque les électeurs préfèrent toujours l’original à la photocopie alors que la perte de son fonds de commerce électoral est certaine.
À moins que son opposition initiale à l’avortement n’ait été qu’un calcul pour son élection de 2016 et non une conviction personnelle ? Cette tergiversation risque d’installer le doute sur sa sincérité dans la tête de ses électeurs. Très mauvais calcul et dommages irréversibles.