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France : Politique en France

Le malaise d’Yann Raison du Cleuziou face au mépris de la France d’en haut

Le malaise d’Yann Raison du Cleuziou face au mépris de la France d’en haut

Le sociologue Yann Raison du Cleuziou évoque dans La Croix son malaise face aux prises de position intellectuelles contre le RN. Il n’a pas signé l’appel des 1 000 historiens contre le RN dans Le Monde, ni l’appel des 200 philosophes dans Libération. Il n’a pas voté au second tour des législatives, car sa circonscription a élu son député Front populaire dès le premier tour. Il décrit la fracture sociale entre le peuple qui vote RN et les “élites” mondialisées :

[…] Aux européennes, la liste de Jordan Bardella arrive en tête dans 94 % des communes de France. Un autre monde. Mais c’est aussi mon monde et c’est pourquoi un sourd malaise m’accable. Au premier tour des législatives, 37,2% dans le village rural de mon enfance, 47,39 % dans la commune de mon école primaire, 30,16 % de mon lycée, 69,94 % où je passe mes vacances. Un monde peuplé de ruraux, d’ouvriers, d’employés, de chômeurs. Un monde décrit comme celui des peu diplômés. Le profil des électeurs du RN me renvoie à ma différence.

Un monde que j’ai quitté par les études, les choix résidentiels et pour le dire avec Bourdieu, l’accumulation du capital : économique, social, culturel. Un monde dont j’ai été exfiltré sans l’avoir recherché, quasi mécaniquement, par cette possibilité de choisir qu’offrent les études. J’ai quitté mon village de 700 habitants pour le département le plus riche de France : les Hauts-de Seine. J’habite dans la région qui bénéficie des plus hauts budgets culturels par habitant : l’Île-de-France. Je bénéficie d’un des plus denses réseaux de transport en commun au monde. La voiture n’est que l’accessoire de mes vacances. De partout, les TGV peuvent me ramener chez moi.

Leur histoire n’est pas mon histoire

Cela fait déjà longtemps que leur histoire n’est pas mon histoire et ce n’est pas un titre de gloire. La série devient compromettante : confiné du bon côté pendant la pandémie de covid-19 ; loin des manifs des gilets jaunes, moi qui vis dans la ville du « quart d’heure », le métro dans ma rue. Me confiner une fois de plus dans la bonne pétition ? Proclamer avec ma corporation que nous avons raison, que nous exerçons mieux la raison ? Refermer les portes de l’université derrière moi ?

Je ne peux m’abstraire du sentiment que notre unanimité n’indique pas la solution du problème, mais fait partie du problème. Et qu’il y a de l’arrogance à dire quel doit être le sens de l’histoire quand on est du bon côté de cette histoire. Je suis gêné de tant de concentration de titres universitaires quand, dans le même moment, il n’y a plus ni médecin, ni instit, ni notable, ni curé dans tant de communes, sauf pendant la pause estivale. Ça n’a rien à voir me direz-vous, j’aimerais partager cette certitude mais je n’y parviens pas. Je crois à la vocation populaire de l’université, le profil de l’électorat RN me donne un sentiment d’échec.

Une liberté volée

Je crains que cette liberté même dont je jouis n’ait été volée à d’autres. Que si bien des Français veulent renverser la table, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas s’y asseoir. Qu’ils étaient assignés à écouter notre conversation sans pouvoir la rejoindre. Parce que le bénéfice de la tolérance que l’on craint de voir disparaître leur était déjà refusé. Qu’ils n’avaient pas le droit de dire que leur monde changeait d’une manière qu’ils estiment indésirable. Que nous n’osions dire que leurs opinions sur le rythme du changement social et ses priorités pouvaient être respectables. Nous craignons la fin du pluralisme mais l’avons-nous suffisamment fait vivre ?

Je crains que s’arroger la défense de l’héritage de « 1789 » ne soit un abus de privilège. Que l’on a sans doute trop présenté des micro-conquêtes sociétales comme des révolutions au moment même où l’Etat se retirait de territoires entiers, fermant écoles, tribunaux et maternités. Qu’il n’était pas nécessaire de jeter systématiquement le soupçon sur l’idée de nation, sauf à prendre le risque que son usage devienne exclusif à ceux qui en font une ressource d’exclusion.

Le képi du Maréchal

Je crains qu’en jetant sans cesse le képi du maréchal Pétain à la figure des Français qui votent mal, nous manquions de courage. Celui de reconnaître ceux que nous avons quittés comme des concitoyens. Non les miliciens d’un passé qui ne passe pas mais nos contemporains abîmés par le coût social, environnemental, économique, toujours plus exorbitant de notre confort.

Nous avons trop souvent revendiqué savoir qu’ils croyaient, pris avec des pincettes d’anatomiste leurs « infox », « fantasmes » et « peurs ». Mon pressentiment est qu’il faut s’attaquer à des révisions radicales et accepter que nous croyons savoir. Qu’il faut admettre que lorsque l’idée de progrès s’effondre, la recherche d’émancipation prend des nouvelles voies qui ont peut-être plus à voir avec le conservatisme qu’avec le progressisme. Notre éloignement social est trop fort pour que nous puissions encore prétendre décider seuls des bonnes questions et des bonnes réponses.

Je n’ai aucune prétention à représenter quoi que ce soit ou à être représentatif de quiconque. Juste le besoin de partager mes interrogations d’enseignant-chercheur attaché au service public, mon sentiment que les trajectoires géographiques et les ascensions sociales ne devraient pas nous condamner à une telle étrangeté sociale et qu’il nous faut reconquérir un ancrage parmi ceux que nous ne reconnaissons plus. Si nous ne parvenons pas à retrouver les conditions d’existence qui renouent la conversation et le destin commun, c’est l’idée même d’université qui se trouvera évidée. La surabondance des pétitions signées n’effacera pas cet échec.

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9 commentaires

  1. Bonne étude, mais….. car il faut une: Mais!
    Lorsque nous avons été traité de ‘souchiens” ou “d’emmerdeur”, qui a réagit devant ses insultes faites aux vrais français?

  2. Son constat est juste mais il se trompe sur le jugement. Il ne s’agit pas d’écouter les petites gens et tenir compte de leurs avis qui est la conséquence de leur triste quotidien, mais d’une vérité qui concerne tout le monde. Personnellement je ne suis pas exclu des réseaux qui s’estiment élitistes et pourtant je partage les mêmes opinions que ces petites gens sur ce qui est bien ou mal pour notre nation

  3. Étudiant à La Sorbonne il plus de 30 ans un beau matin je suis parti en courant, le décalage entre ce que l’on enseignait en gestion et le quotidien des paysans et des artisans était immense.
    Ce monde rural a un savoir faire (le bon sens) que devrait leur envier cet universitaire, une liberté qui leur permet de résister à la bien pensance
    Ils résistent au rouleau compresseur du mondialisme, de la macronie ou melonchonisme

    • Sauf que ce sont ces deux idéologies qui nous tuent et qui vont ruiner la plupart d’entre nous à force de jeter par les fenêtres l’argent qu’ils nous volent. Eh oui il faut faire un grand nettoyage mais vu les évènements ce n’est pas demain la veille

  4. Pour un sociologue, c’est très indigent. On regrette les universitaires du type Jean de Viguerie qui, sans se départir de leur flegme ou de leur autorité académique, tenaient des discours explosifs de vérité. Mais c’est le prix à payer, certainement, pour passer dans la Croix en 2024. Cependant, ce qui m’ennuie franchement, là-dedans, c’est le misérabilisme et l’idéalisation. Qui font précisément partie du problème dénoncé. Avec ce garçon, certainement très sympathique mais visiblement aussi très jeune, nous avons un discours qui prononce des critiques de détail dans un ensemble qui les annule. En effet, les arguments déployés sont ceux, aseptisés, des papy-boomers de la gauche caviar, ceux des hypocrites de la mafia germanopratine d’obédience mitterrandienne (attention! je ne dis pas que YRdC en ferait partie!): les “pauvres”, les “laissés-pour-compte”, les “périphériques”, etc. Bref, si vous votez pour le redressement national (et accessoirement que vous êtes catho tradi)… c’est parce que vous êtes clochardisé! Sociologiquement, c’est faux. Politiquement, c’est injurieux. En somme, donc, c’est une autre façon de dévaloriser la résistance à la mondialisation marchande, la résistance au nihilisme moral, etc. Or le vote RN/Reconquête n’est ABSOLUMENT PAS une question de clochardisation. C’est une question de dignité humaine au point de vue moral, et cette question traverse tous les milieux, de la grande bourgeoisie au type au RSA. Sauf, et c’est là qu’on touche au mensonge, sauf le milieu rural. Car je suis, moi, un rural, précisément. Et je m’intéresse beaucoup aux votes ruraux non seulement dans ma commune ou dans mon canton, mais à l’échelle nationale. Or les prétendus “périphériques” par définition, les paysans, en 2024 encore, votent… LREM! Comme en Pologne, le parti agrarien est partisan des mêmes choses. Donc, pour un sociologue… qui cite Bourdieu, de surcroît (la référence au “capital culturel”, c’est-à-dire aux signes distinctifs de reconnaissance entre “agents dominés de la domination”, ne manquera pas de faire grincer des dents)… Bref, on ne fera pas de ce monsieur une référence.

    • Le vote rural est difficile a définir, les retraités reviennent a la campagne car la vie y est plus agréable mais ils ‘ne sont pas les paysans ou artisans.
      Et ils votent en majorité pour Lrem , ils n’aiment pas les changements, ils se préoccupent moins de l’avenir du Pays

  5. Quand 10 millions de personnes “dérivent” (selon F. Bayrou), ce n’est pas une “dérive”, c’est un changement de direction du vent..
    Et, en 1940, le maréchal Pétain ne portait plus de képi (il était ambassadeur de France en Espagne)..

  6. Ce texte déconnecté est puant de suffisance et de nombrilisme.
    Les gens veulent changer de politique parce qu’ils se rendent compte que ça ne marche pas.
    Taxes et impôts étouffants à tout niveau, insécurité, idéologies irrationnelles imposées contre tout bon sens par des manipulations que trop visibles, inversion des valeurs, etc …
    Bref, les gens votent RN, car on les prend pour des c.. comme ce texte et ils en ont marre de l’abus de confiance. Point !

  7. Exactement !
    Ensuite, je me suis toujours demandé l’utilité de telles études…
    ” le bénéfice de la tolérance ” je ne vois pas du tout à quoi cela correspond en revanche les bienfaits de la bienveillance me sont plus proches.
    YRdC écrit très bien et est très intéressant..mais dans La Croix ! Est-il donc vraiment libre?
    Quant au képi du Maréchal, si on me le jette au visage, je l’attrape et je le mets dans ma bibliothèque à côté de son portrait.

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