Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec revient sur l’affaire Obono :
« Mon coeur est fatigué, ma tête est fatiguée »… Si un titre devait résumer les sentiments intimes de la rédaction de Valeurs Actuelles tout au long de la semaine dernière, sans doute le refrain du single d’Amel Bent se trouverait en bonne place. Comment ne pas être fatigué quand on s’évertue à se faire comprendre et que l’on doit faire face à la mauvaise foi des uns ou aux sourires carnassiers des autres ? L’équipe de l’hebdomadaire, et Geoffroy Lejeune à sa tête, n’ont eu de cesse d’exprimer des regrets sincères, d’expliquer honnêtement que le but de la fiction d’été mettant en scène la députée de La France Insoumise, Danièle Obono, n’était bien évidemment pas de blesser qui que ce soit, que le récit cherchait simplement à dénoncer clairement le discours indigéniste et racialiste sur l’esclavage, qu’importe ! Certains ont préféré se cantonner aux partis-pris et succomber à la facilité du procès d’intention. Doit-on s’en étonner ? Chaque époque porte en elle son lot de pharisiens et son cortège de faux docteurs.
Au royaume du mensonge, la vérité divise
Qu’on ne s’y trompe pas, se plonger dans l’évangile ne revient pas mécaniquement à effectuer un saut dans le passé. C’est même plutôt l’impression d’y lire le portrait du présent qui domine souvent : « On mettra la main sur vous, on vous poursuivra, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous emmènera devant rois et gouverneurs », « Comme ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront »… Des écrits de l’évangéliste Luc à ceux de l’apôtre Jean, on trouve le même avertissement du Christ à ses disciples, et il est sans appel : défendre la vérité a un prix. Loin de promettre une carrière terrestre pavée de roses, il annonce à ceux qui veulent le suivre, au contraire, de lourdes épreuves ici-bas en vue d’une éternité bienheureuse dans l’au-delà.
Or, depuis 2000 ans, rien n’a changé. Le fait de n’avoir suscité aucune animosité autour de soi prouve, selon Clemenceau, que l’on n’a rien fait dans sa vie. Par son témoignage et sa prédication, Jésus incarne certainement plus que quiconque une vie pleinement vécue et donnée : « je suis venu apporter la division et non la paix », a-t-il même dit. Défendre un message, énoncer des convictions sans fard, proclamer le réel sur les toits, envers et contre tout, exposent en effet à l’incompréhension des hommes, au risque de subir leur désapprobation, voire même, parfois, leur persécution. Au bal des hypocrites, la vérité continue, siècle après siècle, à avoir mauvaise presse. Porter son feutre de travers dérange, aller à contre-courant agace, se positionner à rebours de l’ère du temps irrite. A contrario, ceux qui recherchent en premier lieu l’assentiment de la foule ou l’applaudissement de la plèbe se laissent souvent aller à affadir leurs convictions ou à travestir l’Histoire à leur guise. Parce que se fiancer avec la vérité, c’est se condamner inévitablement au divorce avec beaucoup d’hommes, chercher à faire l’unanimité relève du doux rêve.
Le journalisme authentique : entre Cyrano et Saint Paul
Respecter la vocation authentique du journalisme exige d’offrir aux lecteurs un mélange de panache à la Cyrano et de zèle à la saint Paul. Pour rester fidèle à cet ADN, il appartient à un journal de ne pas abdiquer l’honneur d’être une cible, et, en ce sens, de s’attacher résolument à enseigner, exhorter, reprendre, corriger, insister à temps et à contretemps. Sans audace et sans verbe haut, Cyrano n’est plus. Sans argument cinglant, sans paragraphe aiguisé, Paul de Tarse n’est que le coach d’un vivre ensemble sans âme et sans saveur. Lors de son passage au grand oral des Grandes Gueules sur RMC, le directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles, invité à s’exprimer sur le lynchage de cette dernière semaine, ne dit pas autre chose : « Ce qui ne tue pas, rend plus fort. On ne va pas être plus méchant, on va être bien meilleur ». Fondamentalement, le succès mondain ne saurait servir de curseur à la réussite. Seule la cohérence des idées et la persévérance à les défendre adroitement finissent par payer.
Le progressisme envisage une société idéale où, à coup d’anathèmes, tout le monde serait contraint de tomber universellement d’accord sur tout. Un monde nouveau où régnerait une pensée unique, forcément bien-pensante et nécessairement politiquement correcte… Or une telle utopie se situe en rupture, c’est son drame, avec l’âme française et la culture chrétienne qui, des insolences de Beaumarchais aux punchlines d’anthologie d’un saint François de Sales contre les protestants, se distinguent au contraire par le goût des disputatio et de l’irrévérence. L’impertinent Clément Marot sous François Ier, le journaliste Henri Rochefort au coeur du XIXème surnommé « l’homme aux vingt duels et trente procès », Léon Bloy l’incandescent ou encore l’anti-moderne Bernanos, chacun à sa manière, pour ne citer qu’eux, témoignent de la richesse du débat d’idées, avec ses ébullitions et ses éclats. Philippe Muray, contempteur prophétique des écueils de la postmodernité, nous avertissait déjà il y a vingt ans : « L’avenir de cette société est de ne plus pouvoir rien engendrer que des opposants ou des muets ». A n’en pas douter, le meilleur service que nous puissions rendre à nos contemporains, c’est de ne pas nous taire.