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Culture

Le mépris d’une foi enracinée dans les rites et les sacrements et celui d’une foi enracinée dans une culture nationale vont de pair

Le mépris d’une foi enracinée dans les rites et les sacrements et celui d’une foi enracinée dans une culture nationale vont de pair

Laurent Dandrieu vient de publier Rome ou Babel, pour un christianisme universaliste et enraciné, dans lequel il montre comment l’attachement à nos petites et grandes patries concourt au bien commun et nous détache de nos égoïsmes. L’universalisme chrétien, le catholicisme, n’est pas un mondialisme. L’Eglise catholique, c’est-à-dire universelle, est la religion de l’incarnation. Mais c’est l’écrivain qui parle le mieux de son ouvrage, dans Valeurs Actuelles :

Depuis une soixantaine d’années, il y a dans l’Église une tendance à la désincarnation qui s’est traduite, dans les années 1960, par une traque de tout ce qui avait trait à la piété populaire : processions, ex-voto, culte des reliques, dévotions mariales, etc., censés relever d’une religiosité archaïque et superstitieuse. Dès cette époque, le père Serge Bonnet, sociologue dominicain pas particulièrement conservateur, avertissait que cette destruction du catholicisme populaire aboutirait à un catholicisme apatride. Or, c’est précisément ce que l’on est en train de vivre. Le mépris d’une foi enracinée dans les rites et les sacrements et celui d’une foi enracinée dans une culture nationale vont de pair.

Faire de la foi un phénomène purement spirituel, penser que la relation avec Dieu rend le culte et le rite secondaires, et la culture catholique accessoire, c’est une trahison du catholicisme. Et c’est une erreur fondamentale, à la fois parce que la foi personnelle a besoin d’être étayée par une culture sous peine de risquer l’asphyxie, et parce que cette culture catholique constitue un lien très fort avec ceux qui n’ont pas la foi : c’est un terreau formidable d’évangélisation, en particulier des classes populaires qui, même inconsciemment, restent imprégnées de catholicisme.

En réalité, ce débat qui semble extérieur à mon sujet en est au cœur : c’est l’une des formes d’un affrontement entre une vision enracinée du catholicisme et une vision désincarnée, hors-sol. Cela rejoint le sujet fondamental de mon livre, le duel entre l’universalisme catholique et le mondialisme.

Votre livre place le catholicisme sous le signe d’un choix entre Rome et Babel : pourquoi cela ?

Pour certains, le catholicisme semble être devenu un autre nom du mondialisme. La question est de savoir si l’universalisme chrétien, qui affirme que tous les habitants de la Terre sont membres d’une commune famille humaine par la paternité divine, nous appelle à dépasser les nations, les patries, les communautés naturelles et à abolir les frontières pour parvenir à l’unité politique du genre humain. Ou si, au contraire, on peut être catholique et attaché à son identité, à sa culture, à sa patrie. Je soutiens que non seulement on le peut, mais on le doit.

La tentation mondialiste, qui s’exprime dans le mythe de Babel, c’est l’utopie d’une humanité uniformisée, partageant une même langue, une même culture, un même gouvernement. L’universalisme chrétien en est l’exact contraire. Il connaît sa première manifestation concrète à la Pentecôte : saisis par l’Esprit saint, les apôtres s’adressent aux représentants de peuples divers et chacun les entend dans sa propre langue. C’est le premier acte de cette inculturation que Pie XII va appeler « l’étoile directrice de l’apostolat universel ». Jean-Paul II la définira ainsi : « L’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones, et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église. » Dès l’origine, l’évangélisation s’est faite en s’enracinant dans les cultures des différents peuples. L’inculturation, c’est la traduction dans les faits de la doctrine de saint Thomas d’Aquin selon qui « la grâce ne détruit pas la nature mais la couronne ». Le catholicisme, à la suite d’Aristote perfectionné par saint Thomas, reconnaît que la nature humaine présuppose que l’homme, pour accomplir pleinement son humanité, a besoin d’être enraciné dans une culture, une histoire, une tradition. L’Église va donc s’étendre sur toute la Terre en respectant et en valorisant l’identité des peuples qu’elle va évangéliser.

L’universalisme chrétien, ce n’est pas la dissolution des identités particulières dans une identité commune, c’est la communion de ces identités différentes dans une destinée spirituelle commune, qui respecte leur diversité et leur charisme propres. C’est par la singularité de chaque culture que l’homme atteint l’universalité de la grâce. L’uniformisation que prône le mondialisme, c’est l’exact contraire de cela.

C’est pour cela que l’Église a toujours loué l’amour de la patrie comme un acte de piété filiale, et comme un acte de charité, parce qu’il concourt au bien commun. « Si le catholicisme était ennemi de la patrie, il ne serait plus une religion divine », dit saint Pie X. Cet amour de la patrie n’éloigne pas de l’universel ; au contraire, il y conduit en nous détachant de nos égoïsmes immédiats par la solidarité à une communauté plus large. […]

L’esprit de Babel a gagné une partie des chrétiens et même de la hiérarchie de l’Église, à cause d’un appauvrissement de la pensée théologique, qui notamment n’intègre plus de réflexion sur le bien commun. Il y a aussi, chez certains, un opportunisme, l’idée qu’il ne faudrait pas rater le train de l’histoire, qui irait inéluctablement vers une unité du genre humain. Vers les années 1960, l’unité du genre humain s’est ainsi mise à dériver du plan eschatologique au plan politique, de l’espérance vers la “militance”. Cette contamination de l’esprit de la Pentecôte par l’esprit de Babel a été favorisée par l’espoir qu’en se convertissant à « la religion de l’humanité », comme le dit Pierre Manent, l’Église garderait l’oreille du monde. On voit alors apparaître dans certains textes pontificaux l’appel à une gouvernance mondiale pour résoudre des problèmes devenus planétaires. Cette contamination de l’universalisme chrétien par le mondialisme est la matrice des positions à courte vue de l’Église sur l’immigration. Dans ces positions, il y a d’abord une dissolution de la notion de bien commun dans les droits de l’individu ; mais surtout, il y a une sorte de messianisme humanitaire qui considère que l’immigration de masse est un moyen providentiel pour progresser vers l’unité concrète de la famille humaine. Le migrant devient ainsi, en tant que migrant, une sorte de rédempteur grâce auquel le genre humain va enfin atteindre à l’unité.

Ce qui est à la fois fascinant et inquiétant, c’est qu’en se laissant ainsi contaminer par le mondialisme, l’Église prête la main à une idéologie qui est son pire ennemi, puisqu’elle veut arracher l’homme à tous ses ancrages, naturels, humains, mais aussi religieux. Si elle veut échapper à son déclin, l’Église doit au contraire de toute urgence redécouvrir que la voie du salut universel passe par une civilisation chrétienne enracinée.

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