D’Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige:
Je fais partie de ceux qui jugent tout à fait inadéquates les mesures prises sous le pontificat du pape François à l’égard de ceux qui souhaitent suivre le Missel de 1962 pour leur vie liturgique. À mon avis, un document comme Traditionis Custodes (2021) n’a pas résolu les tensions dans l’Église, mais a, au contraire, contribué à les rendre plus vives.
Je comprends les nombreuses raisons qui poussent certaines personnes à se réfugier dans le rite célébré jusqu’à la réforme liturgique, la première étant l’état de grave difficulté dans lequel se trouve la réforme elle-même, un état de grave difficulté qui semble ne jamais finir. J’ai moi-même observé ce phénomène au cours de ma vie déjà bien avancée ; lorsque j’étais à peine adolescent, on me demandait d’être patient, qu’avec le temps les choses s’amélioreraient. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, non seulement il n’y a pas eu d’amélioration, mais nous avons assisté à une aggravation supplémentaire. Je comprends que ceux qui aiment la liturgie et y sont sensibles — des qualités assurément louables — cherchent un réconfort face à cette médiocrité liturgique à laquelle nous semblons condamnés. Ainsi, comme je l’ai dit, je crois qu’il a été totalement inapproprié de traiter la question du traditionalisme catholique par une méthode répressive, qui n’a certainement pas résolu le problème.
Je comprends les nombreuses raisons qui poussent certaines personnes à se réfugier dans le rite célébré jusqu’à la réforme liturgique, la première étant l’état de grave difficulté dans lequel se trouve la réforme elle-même, un état de grave difficulté qui semble ne jamais finir. J’ai moi-même observé ce phénomène au cours de ma vie déjà bien avancée ; lorsque j’étais à peine adolescent, on me demandait d’être patient, qu’avec le temps les choses s’amélioreraient. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, non seulement il n’y a pas eu d’amélioration, mais nous avons assisté à une aggravation supplémentaire. Je comprends que ceux qui aiment la liturgie et y sont sensibles — des qualités assurément louables — cherchent un réconfort face à cette médiocrité liturgique à laquelle nous semblons condamnés. Ainsi, comme je l’ai dit, je crois qu’il a été totalement inapproprié de traiter la question du traditionalisme catholique par une méthode répressive, qui n’a certainement pas résolu le problème.
J’ai parlé de « problème ». Car il ne faut pas tomber dans l’erreur inverse : penser que le traditionalisme catholique est une question pacifique et réglée. J’en ai parlé dans mon livre La destra del Signore si è alzata, dans lequel j’ai montré qu’en réalité il n’existe pas un unique traditionalisme catholique, mais plusieurs traditionalismes catholiques. Certains d’entre eux ont déjà réglé leur relation avec Rome, en coupant pratiquement les liens par le biais de thèses diverses ; à mes yeux, ce n’est pas une solution viable. D’autres, y compris la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, cherchent un modus vivendi avec Rome — une entreprise difficile, compte tenu de la profonde crise de l’identité catholique dans laquelle nous baignons.
Cela dit, il ne faut pas non plus passer sous silence les problèmes que présente un certain traditionalisme. En effet, l’une des pires tentations est de présenter la liturgie traditionnelle comme une sorte de musée où l’on se promène pour admirer les grandes œuvres du passé. Non — si la liturgie traditionnelle ne nous parle pas de l’éternel plutôt que du passé, cela signifie que nous avons une vision bien courte de la liturgie elle-même. Ceux qui participent à ce rite pour vivre dans la (fausse) illusion de revivre le passé n’ont pas vraiment compris. Dans les milieux traditionalistes, on parle beaucoup de la « Messe de toujours », et ce « toujours » ne peut qu’inclure, avec le passé, aussi le présent et l’avenir. Rappelons-nous que même le rite traditionnel a connu des évolutions et a inspiré de nouveaux langages artistiques et symboliques. Tenter de le stériliser, c’est ne pas en avoir compris le véritable potentiel.
Je voudrais prendre l’exemple de la musique, qui, bien entendu, m’est particulièrement cher. Certains, dans le monde traditionaliste, estiment qu’il est bon de ne faire chanter à la messe traditionnelle que de la musique du passé — les grands chefs-d’œuvre de la Renaissance, et ainsi de suite — excluant de fait les productions contemporaines. C’est une grave erreur, car si l’on ne donne pas à la musique sacrée la possibilité de se renouveler dans le sillon de la Tradition, on ne lui rend pas service. Souvenons-nous que, durant la Renaissance, on exécutait de la musique « contemporaine » à l’époque, et que toute cette musique n’était certainement pas de la qualité sublime de certains compositeurs que nous jugeons aujourd’hui comme des grands. Tout en continuant à donner une place importante aux grandes œuvres de la tradition musicale catholique, il est essentiel d’investir dans le présent pour hypothéquer l’avenir.
Nous ne devons pas craindre le présent ni nous réfugier dans le passé pour la simple raison que Dieu nous a choisis pour vivre à notre époque, et Il a certainement ses raisons pour cela. Le penseur Marcello Veneziani, dans son livre Imperdonabili, parlant de Roger Scruton, observe :
« L’essence du conservateur est de croire que le monde ne naît pas et ne finit pas avec lui, mais qu’il est une trame plus vaste, qui vient des pères et se transmet aux enfants. Le vrai conservateur ne se barricade pas chez lui pour défendre une phase historique ; il ne s’enferme pas dans un morceau du passé, transformant la mémoire en forteresse assiégée. Mais il défend la continuité, combat l’égocentrisme des générations, le culte du présent ; et à celui-ci, il oppose le passé et l’avenir unis harmonieusement. Le vrai conservateur n’est donc pas un individualiste ; il estime que nous ne sommes pas des individus, mais des héritiers — et plus encore : des héritiers en gestation. C’est d’ailleurs ce qu’a soutenu un autre néoconservateur, Alain Finkielkraut, en soulignant l’autorité de l’expérience contre la suprématie barbare du présent : dans son livre ‘L’ingratitude’, le philosophe soutient que “l’exutoire prévaut sur le sacrifice, la revendication sur la gratitude”. Et il définit la culture comme “l’art de converser avec les morts” et de tisser un lien entre les vivants et ceux qui ne sont plus.”
Ce lien important, indispensable, qui existe entre passé, présent et futur, devrait toujours être un phare guidant nos actions. Je comprends que, lorsque l’on se sent assiégé, on ait tendance à se replier et à se réfugier dans des lieux physiques et métaphysiques où l’on a l’impression d’être protégé. Mais celui qui revendique à juste titre un héritage important, comme l’héritage catholique, doit aimer la tradition et la messe traditionnelle comme un investissement dans le présent et dans l’avenir, plutôt que seulement dans le passé. Je crois que nous devrions considérer le merveilleux rite tridentin non comme un musée, mais comme un laboratoire où Quelqu’un est en train de préparer notre avenir en nous aidant à mieux comprendre notre présent.