De Côme Bernard-Bacot pour le Salon beige:
On répète souvent que la droite doit cesser d’être une ancienne gauche. En tout cas, il semble urgent qu’une certaine droite – la plus radicale – cesse d’entrer dans la logique d’une gauche modèle 1900, celle qui voulut faire de la religion une affaire strictement privée. De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui contre la gauche mais reprennent le discours des anticléricaux socialistes, radicaux ou libéraux. Il est possible de s’insurger contre les problèmes posés par l’islamisme (voire l’islam) : mais condamner “l’islam politique” comme le font certains (1) est une aberration, comme si c’était le caractère politique de l’islam qui pose problème.
Car la religion est politique. C’est même sans doute sa définition : la religion est ce qui rend politique (c’est-à-dire, étymologiquement, relatif à la cité) la transcendance, la spiritualité ; la religion est ce qui lie (religio) le Ciel et la terre et les croyants entre eux. La religion détermine naturellement la vie dans la cité (cérémonies cultuelles, modes de vie, valeurs anthropologiques, etc.). Elle est légitime, par exemple, à demander le port du voile ou le jeûne du vendredi, des pratiques qui conditionnent la vie en cité.
Cependant, et c’est toute la richesse de la distinction entre le spirituel et le temporel développée au sein de notre civilisation chrétienne, la religion est politique par ses conséquences et non par essence. La foi a des conséquences temporelles, mais son essence est – par définition – spirituelle. Ainsi, le pouvoir spirituel est légitime à conditionner le spirituel (définir la foi) et donc légitime à avoir des conséquences temporelles (déterminer les pratiques), mais en matière temporelle, la légitimité suprême, c’est-à-dire la souveraineté, revient au pouvoir politique.
Redécouvrir la distinction entre spirituel et temporel, c’est ainsi redécouvrir les limites de chaque autorité légitime, contre les tentations totalitaires de la modernité. Le pouvoir spirituel est limité par la souveraineté du pouvoir politique, qui est légitime à interdire des pratiques religieuses qui lui semblent contraires à la nécessité politique. Concrètement, le gouvernement peut interdire les prêches islamistes complices du terrorisme. Mais d’autre part, le pouvoir politique est limité par la souveraineté du pouvoir spirituel, au nom de la liberté de religion. Concrètement, le gouvernement ne peut pas interdire a priori les rassemblements cultuels.
Certains diront, à juste titre sans doute, que l’islam ne fait pas cette distinction entre spirituel et temporel et qu’il est donc vain de vouloir la lui appliquer : on ne peut cependant faire autrement si l’on veut permettre à l’islam d’exister en France. Et au nom de la liberté de religion, l’Etat ne peut qu’interdire les conséquences temporelles jugées pernicieuses d’une foi, il ne peut pas interdire cette foi elle-même.
Il faut que les acteurs politiques, et notamment ceux qui s’inquiètent de l’islamisation du pays, se réapproprient la force de cette distinction des autorités et de leurs limites intrinsèques, une conception évidemment inspirée de la fameuse phrase du Christ “Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu” (Mt 22, 22) – laquelle phrase ne légitime pas forcément, par une telle distinction, une stricte séparation des pouvoirs spirituels et temporels comme l’a voulu le laïcisme promu par la gauche de 1905, mais c’est une autre affaire.
Si nous parvenons à réinstaurer cette distinction entre spirituel et temporel, la religion pourra trouver une place apaisée dans la société. Car le brouillage actuel ne sert pas seulement à rejeter “l’islam politique”, il blesse toutes les religions, y compris le catholicisme, qui ne devient légitime à déterminer la vie en cité que parce qu’il est culturel. Or le défenseurs du catholicisme comme culture oublient que celui-ci est une foi avant d’être une culture.
(1) Les usages de l’expression “islam politique” sont nombreux à droite, en témoigne Eric Ciotti qui affirme vouloir l’endiguer (novembre 2018). http://www.eric-ciotti.com/2018/11/15/la-laicite-est-une-digue-contre-lislam-politique-retrouvez-mon-interview-dans-lobs-sur-la-volonte-du-gouvernement-de-modifier-la-loi-de-1905/
Bernard Mitjavile
C’est bien de rappeler certaines réalités. Cette idée que la religion doit être indépendante de la politique est ridicule mais continue à circuler. Un chrétien qui défend au nom du Christianisme les valeurs familiales, prend position vis à vis de la théorie du genre, s’oppose à l’avortement, fait bien sûr de la politique. Bien sûr que la religion est politique. Il n’y a qu’à lire les prophètes de l’Ancien Testament comme Isaïe qui ne cesse de critiquer ou guider le roi, les juges et les puissants.
Meltoisan
Tout-à-fait ! Même s’il faut rendre à César ce qui appartient à César, il n’est pas dit qu’il faille se désintéresser de ce que fait César … surtout quand César se prend pour Dieu … en affirmant “en même temps” qu’il n’existe pas.
VIVANT
Premièrement : Jésus est le Maître de la Torah. Donc les chrétiens n’ont pas de charia intemporelle mais s’investissent continuellement dans la haute charité qu’est le service politique et donc dans la définition de lois justes qui servent le bien commun à une époque donnée. Ils combattent aussi les iniquités qui subsistent dans le Droit positif de leur patrie terrestre. Le chrétien actif en politique participe à la Création continuée du Dieu vivant. Fin du premièrement.