Lu ici :
"[…] Mon premier contact avec la théorie du genre eut lieu lors d’une réunion
amicale d’universitaires dans les années 90. On parlait à l’époque de
la queer theory, dont la théorie du genre est un avatar. Je conversais
avec un jeune militant homosexuel qui m’annonçait avec fierté : « le
sexe est une catégorie plus subjective qu’objective qui devrait pouvoir
être modifiée sur la carte d’identité sur simple demande ». Notons que
depuis l’idée a progressé : l’Argentine a même rendu légale cette
possibilité en mai 2012. Avec cette anecdote, le décor est planté sous plusieurs aspects.D’abord le militantisme. Nous n’avons pas affaire à des personnes ou
démarches centrées sur le désir de connaître et d’explorer le réel, mais
à une volonté politique de transformation de la société. Le mot et la
volonté de subversion sont récurrents dans les textes de Judith Butler.Secondement le narcissisme. Aucun obstacle à mes désirs n’est
entendable, (je peux être homme ou femme en fonction de mon vécu
subjectif). Cette caractéristique générale de notre société a été bien
explorée, aux Etats Unis par Christopher Lasch, en France reprise et
critiquée par Alain Ehrenberg. Les psychologues, psychothérapeutes et
psychanalystes – entre autres professionnels des sciences humaines –
ont depuis longtemps repéré cette émergence croissante du
fonctionnement narcissique dans notre société. Ce dernier est notamment
tous les jours encouragé par les publicités qui soulignent en permanence
notre droit au bonheur et à la transgression : no limits ! Il est donc
important de relever que la théorie du genre n’est nullement une
aberration dans la vie intellectuelle contemporaine. Elle en incarne au
contraire l’esprit. Aussi on ne peut la condamner comme une lubie
superficielle.En tout cas, pour des militants qui exigent d’être respectés et non
discriminés même si leur manière d’être et notamment leur orientation
sexuelle ne correspond pas à la norme (ce qui est louable), le meilleur
moyen est encore de supprimer ces normes, de les détruire ou plutôt, on
va le voir, de les déconstruire. Alors la question d’une éventuelle
souffrance liée à l’atteinte de l’image de soi et de sa dignité ne se
pose même plus : ainsi, avec l’abolition du genre prescrit (homme ou
femme), si les lesbiennes ne sont pas des femmes, comment pourrait-on
encore ne serait-ce que s’étonner de leur conduite ou de leurs
préférences ? C’est la fin assurée des risques de discriminations
injustes. […]"