Au deuxième jour de son voyage au Japon – deuxième étape après la Thaïlande – le 24 novembre, le pape s’est rendu au Mémorial de la paix d’Hiroshima, où il a appelé de ses vœux un monde sans armes nucléaires. Dans son discours, il a déclaré :
[…] Je désire redire avec conviction que l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune. L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est immorale. Nous aurons à en répondre. Les nouvelles générations se lèveront en juges de notre défaite si nous contentons de parler de paix sans le traduire concrètement dans les relations entre les peuples de la terre. Comment pouvons-nous parler de paix en construisant de nouvelles et redoutables armes de guerre ? Comment pouvons-nous parler de paix en justifiant certaines actions fallacieuses par des discours de discrimination et de haine ?
Je suis convaincu que la paix n’est pas plus qu’un “bruit de paroles”, si elle n’est pas fondée sur la vérité, si elle n’est pas construite en accord avec la justice, si elle n’est pas vivifiée et achevée dans la charité et si elle n’est pas réalisée dans la liberté (cf. SAINT JEAN XXIII, Pacem in terris, n. 37).
La construction de la paix dans la vérité et dans la justice signifie reconnaître que sont nombreuses « les différences souvent notables de savoir, de vertus, de capacités intellectuelles et de ressources matérielles qui distinguent les hommes les uns des autres » (Ibid., n. 87), ce qui ne peut jamais justifier la volonté d’imposer aux autres ses intérêts particuliers. Au contraire, tout cela constitue une source de plus grande responsabilité et d’un plus grand respect. De même, les communautés politiques, qui peuvent légitimement différer entre elles en terme de culture ou de développement économique, sont appelées à s’engager à travailler pour le progrès commun, pour le bien de tous (cf. ibid., n. 88).
De fait, si nous cherchons réellement à construire une société plus juste et sûre, nous devons laisser tomber de nos mains les armes : « On ne peut pas aimer avec des armes offensives en main » S. PAUL VI, Discours aux Nations Unies, 4 octobre 1965, n. 5). Quand nous nous livrons à la logique des armes et nous éloignons de la pratique du dialogue, nous oublions tragiquement que les armes, avant même de faire des victimes et des ruines, peuvent provoquer des cauchemars, elles « exigent d’énormes dépenses, arrêtent les projets de solidarité et d’utile travail, elles faussent la psychologie des peuples » (Ibid., n. 5 ) Comment pouvons-nous proposer la paix si nous utilisons l’intimidation de la guerre nucléaire comme recours légitime pour résoudre les conflits ? Puisse cet abîme de souffrance rappeler les limites à ne jamais dépasser ! La véritable paix ne peut être qu’une paix désarmée. De plus : « La paix n’est pas une pure absence de guerre […] elle est sans cesse à construire » (Gaudium et spes, n. 78). C’est le fruit de la justice, du développement de la solidarité, de la sauvegarde de notre maison commune et de la promotion du bien commun, quand on retient les leçons de l’histoire. […]
Le pape n’évoque pas explicitement le concept de la dissuasion. Celle-ci est bien présente dans le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise (n° 508-509):
En outre, le Magistère a évalué au plan moral le phénomène de la dissuasion: « L’accumulation des armes apparaît à beaucoup comme une manière paradoxale de détourner de la guerre des adversaires éventuels. Ils y voient le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer la paix entre les nations. Ce procédé de dissuasion appelle de sévères réserves morales. La course aux armements n’assure pas la paix. Loin d’éliminer les causes de guerre, elle risque de les aggraver ». Les politiques de dissuasion nucléaire, typiques de la période de la guerre froide, doivent être remplacées par des mesures concrètes de désarmement, basées sur le dialogue et sur les négociations multilatérales.
Les armes de destruction de masse — biologiques, chimiques et nucléaires — représentent une menace particulièrement grave; ceux qui les possèdent ont une énorme responsabilité devant Dieu et devant l’humanité tout entière. Le principe de la non-prolifération des armes nucléaires, les mesures pour le désarmement nucléaire, ainsi que l’interdiction des essais nucléaires, sont des objectifs étroitement liés entre eux, qui doivent être atteints le plus rapidement possible grâce à des contrôles efficaces au niveau international.
En 1982, à la tribune de l’ONU, le pape Jean-Paul II évoqua deux conditions rendant « acceptable moralement » la dissuasion nucléaire, au moins provisoirement :
- la permanence de la guerre froide
- la volonté de mettre en place un processus de désarmement progressif, concerté, contrôlé.
Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi mais comme une étape sur la voie d’un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable.
La Guerre froide étant terminée, la dissuasion s’en trouve illégitime. En juillet 2017 à l’Assemblée générale des Nations Unies, le Saint-Siège avait voté en faveur d’un traité d’interdiction totale des armes nucléaires. En mars 2018, on annonçait que le Saint-Siège préparait une nouvelle encyclique sur le nucléaire militaire, qui devrait condamner fermement le principe même de la dissuasion nucléaire.