De notre envoyé spécial Antoine Bordier
A 69 ans, ce pasteur de l’Eglise Evangélique Arménienne de France, qui est né à Marseille, revient régulièrement en Arménie. Homme de prière, il est aussi un homme de terrain. Il n’avait pas remis les pieds sur ces terres chrétiennes arméniennes depuis son dernier séjour. C’était en octobre 2020, en pleine guerre. Eclairage sur un homme qui essaie de ne pas laisser la lumière cachée sous le boisseau, et, qui a l’oreille des politiques.
Sa bible n’est pas loin. Il la cite par cœur. La bible, c’est sa vie. Même lorsqu’il est sur le terrain, que celui-ci soit familial, caritatif ou politique, il cherche Dieu, il essaie de parler de Dieu. Il prie Dieu. Mais il n’est pas prosélyte pour autant. Il n’essaie pas de vous convaincre. Il n’essaie même pas de vous évangéliser. Il n’en impose pas. Si ce n’est par l’action, sur le terrain. Il vient de passer une dizaine de jours en Arménie. Il a pu se rendre dans le Haut-Karabakh, à Stepanakert, la capitale de l’Artsakh, cette république auto-proclamée, défaite lors de son dernier affrontement avec l’Azerbaïdjan. L’Artsakh est en mal de reconnaissance internationale, depuis que le pétrole coule à flot à Bakou, la capitale azérie. Elle doit sa survie grâce à la Russie.
« Je suis en Arménie, explique-t-il, pour agir, pour chercher à comprendre, et, pour redonner confiance. La situation actuelle n’est pas facile. Il faut s’occuper des réfugiés, les loger, les nourrir, leur trouver du travail. Je viens motiver les équipes. Et, puis, il y a la situation politique. Nous devons tous travailler à l’unité nationale. »
Des raisons, il n’en manque pas et du travail non plus. Lui qui a l’oreille des présidents, il les a presque tous rencontrés pendant ces quelques jours. Dans le Haut-Karabakh, où il est resté deux jours, il a pu s’entretenir avec Arayik Harutyunyan, le président de l’Artsakh.
Une vocation de missionnaire
Il n’aime pas beaucoup parler de lui, et, préfère parler des autres et des œuvres caritatives, dont il a la responsabilité. Marié et père de deux enfants, après ses études de théologie, il devient pasteur. C’est à Lyon, en 1974, que démarre sa mission. Il y restera 9 ans. Puis, il poursuit ses études et obtient un doctorat de théologie. Diplômé des Hautes Etudes de Pratiques Sociales en 1985, il participe activement au mouvement du Comité Karabakh et se lie d’amitiés avec Levon Ter-Petrossian et Vazgen Manoukian. Ce mouvement est né à la suite des pogroms azerbaïdjanais contre les populations arméniennes du Haut-Karabakh.
« Pour bien comprendre ce qui se passe dans cette région, explique-t-il, il faut se replonger dans l’histoire. En 1921, Staline décide de rattacher ces terres arméniennes à l’Azerbaïdjan (NDLR : les historiens reconnaissent que ces terres sont arméniennes depuis le 3è ou 4è siècle avant Jésus-Christ). En 1985, avec la venue de Gorbatchev au pouvoir, sa politique de la Perestroïka apporte un vent d’autonomie dans le Haut-Karabakh. En 1988, la population la revendique. En février, les premiers pogroms ont lieu. »
Le Comité Karabakh se constitue à ce moment-là. En 1991, l’écroulement de l’ex-URSS est total, les satellites de l’Europe de l’Est et du Caucase en profitent pour déclarer leur indépendance. Le 21 septembre 1991, lors d’un référendum historique, l’Arménie devient indépendante. Le 16 octobre, Levon Ter-Petrossian devient le premier président de la République d’Arménie.
17 ans en Arménie
Le président lui demande de participer à l’ouverture de l’Ambassade Arménienne à Paris. Entre 1993 et 1994, il en sera le chef de chancellerie. A la vue de ses qualités diplomatiques, les instances dirigeantes du Conseil Mondial des Eglises Evangéliques Arméniennes lui demande de le représenter en Arménie. En 1994, il quitte la France et va vivre avec son épouse à Erevan, la capitale. Il ne le sait pas encore, mais il va y rester 17 ans. Être de passage dans un pays qui sort tout juste de l’ère soviétique est une chose. Y vivre en est une autre.
« Nous sommes arrivés dans un pays où il y avait des coupures d’électricité. La vie matérielle était rustique. Mais, ce n’était pas le plus important. Et, les choses se sont améliorées. Ma mission consistait à redonner vie à notre Eglise. Avant 1920, il y avait une vingtaine de lieux de culte évangéliques. Puis, avec Staline, dès 1921, les persécutions religieuses ont commencé. Il a fait table-rase de notre identité et de notre histoire religieuse. Quand je suis arrivé, il ne restait plus que trois lieux de culte : un à Erevan, un à Stepanavan, un à Vanadzor. Quand j’en suis parti, en 2011, il y en avait une quarantaine. »
Le pasteur visite les fidèles, il les rassemble. Il panse les plaies du communisme et revitalise la communauté évangélique. Le missionnaire s’est, ensuite, transformé en bâtisseur en créant des écoles. Il a ouvert, également, la Faculté de théologie. Sur le terrain caritatif, il s’investit dans plusieurs associations, notamment l’Association Missionnaire Arménienne d’Amérique (AMAA) et l’association Espoir pour l’Arménie.
Au chevet du peuple arménien
Le pasteur est sur tous les fronts, même encore aujourd’hui. Pendant toutes ces années, il s’est familiarisé sur les questions géo-politiques.
« Quand je suis reparti en 2011, je revenais 4 à 5 fois par an. Après l’Eurasie et l’Arménie, je suis parti en mission au Canada et en Uruguay. J’ai gardé beaucoup d’amis ici. En 2020, avec la guerre et la défaite, les milliers de jeunes appelés tombés, les dizaines de milliers de réfugiés, je me devais encore plus de revenir. Ici, avec Espoir pour l’Arménie et l’AMAA, nous aidons plus de 2 500 familles. Nous nous occupons, à travers nos écoles et nos centres éducatifs, de plusieurs milliers d’enfants. L’AMAA a été la première organisation de la diaspora à être officiellement enregistrée dans le Haut-Karabakh. C’était en 1995.»
Il est devenu Vice-président honoraire de cette association américaine, qui est dirigée, actuellement, par Zaven Khanjian, son directeur exécutif. Il est, également, devenu citoyen d’honneur de Chouchi, qui est tombée en novembre dernier aux mains des azéris. Lors de son dernier séjour, le pasteur René Léonian se rend dans le Haut-Karabakh. Il passe tous les contrôles sans problème. Il a un passeport arménien.
« Au check-point,les militaires russes m’ont demandé si j’avais un passeport français. Je n’ai pas répondu. »
Il a bien fait, car il aurait, certainement, dû faire demi-tour, comme la plupart des français qui s’y rendent actuellement à titre privé. Surtout, s’ils sont journalistes. « Je n’ai pu apercevoir Chouchi que de loin », ajoute-t-il, en montrant l’une des photos prises, alors qu’il était, peut-être, dans la ligne de mire d’un sniper.
« Ce qui m’a frappé, c’est d’avoir vu d’un côté un tank avec un drapeau arménien et de l’autre côté des drapeaux azéris. »
Ses rencontres avec les présidents
Le 19 mars, à Stepanakert, qui se situe à une dizaine de kilomètres au nord de Chouchi, René rencontre le ministre des Affaires étrangères, David Babayan, et, le président, Arayik Harutyunyan. Ce-dernier porte un pull militaire. Il ne descend plus dans les tranchées. Elles ont été laminées par les drones turques. Ensemble, ils parlent de la guerre, de la défaite, et, passent vite sur ces 44 jours où l’Artsakh et l’Arménie ont sombré. Ils évoquent les nouveaux projets.
« Bien entendu nous avons parlé de la guerre. Mais, surtout, des projets. Nous avons une centaine de salariés qui travaillent sur place, dans des centres de jour, des écoles. Nous avons des programmes agricoles. Nous avons lancé de nouveaux programmes pour les réfugiés. »
Ils ont discuté près d’une heure. Il n’a pas trouvé le président affaibli : « Il fait bonne figure. Mais cela doit être dur pour lui. » De retour à Erevan, le pasteur rencontre en privé deux anciens présidents de l’Arménie, Robert Kotcharian et Serge Sarkissian. Face à la situation politique instable de son pays, Nikol Pachinian, le Premier ministre, serait le responsable de la défaite. D’après eux, Pachinian aurait mal géré l’Arménie depuis qu’il est au pouvoir. D’ailleurs, il a les pleins pouvoirs, depuis qu’il a renversé son prédécesseur (NDLR : en référence à la Révolution de velours en mars-mai 2018). La guerre et les négociations avec le Groupe de Minsk auraient été négligées. Pour eux la question maintenant, c’est leur retour au pouvoir. Pour d’autres, Pachinian aurait toute légitimité à continnuer son action gouvernementale. Dans ce bras-de-fer entre le pouvoir en place (Pachinian) et les anciens qui s’appuient sur une coalition de 17 partis politiques, le gouvernement a, finalement, répondu avec l’organisation d’élections législatives anticipées. Elles auront lieu le 20 juin prochain.
Sa mission spirituelle
A quelques jours des fêtes pascales, qui permettront, sans doute, à l’Arménie de retrouver une certaine unité, le pasteur est interpellé par ce texte biblique : « Recommande ton sort à l’Éternel, mets en Lui ta confiance, et il agira. Il fera paraître ta justice comme la lumière, et ton droit comme le soleil à son midi » (Psaume 37, 5-6). Au fil de son séjour, de ses rencontres, et, de ses discussions, le pasteur a souvent prié. Il évoque lui-même ses temps de prières :
« A la fin de ma rencontre avec le président du Karabakh, je lui ai proposé de prier pour lui et pour la paix. »
Dans le bureau du président, le pasteur ferme les yeux et prie un instant. Il évoque, aussi, le départ de Rita Sarkissian, l’épouse de l’ancien président de l’Arménie. Au mois d’octobre dernier, l’épouse du président est atteinte par la maladie du Covid-19. Elle en décède rapidement à l’âge de 55 ans. René, à son retour du Karabakh, rencontre son mari, dans les bureaux de son parti politique. Ils évoquent sa disparition
. « Dans son bureau du Parti Républicain d’Arménie (PRA), j’ai prié pour la consolation de Dieu, suite à ce décès prématuré. »
Le pasteur a prié, également, avec les familles des réfugiés, notamment lorsqu’il les visite dans les villages frontaliers du nord-est de l’Arménie. Il a prié en arménien : Տեր Հիսուս օգնիր մեզ; առաջնորդիր մեզ և խաղաղություն շնորհիր մեզ։ ԱՄԵՆ. Ce qui, traduit en français, veut dire : Seigneur Jésus, aide-nous, dirige-nous, et, donne-nous Ta paix. Amen.
Reportage réalisé par notre envoyé spécial Antoine BORDIER