Chaque jeudi, le quotidien Présent ouvre ses colonne à un jeune prêtre. Voici la tribune du 2 janvier :
Dans une attrayante anthologie littéraire sur les sept péchés capitaux, Sébastien Lapaque s’amuse à attribuer à chacun des siècles derniers un péché capital sensé le résumer. Comme souvent en pareil cas, l’attribution est évidemment arbitraire, mais l’ensemble présente l’intérêt piquant de regarder notre passé à travers la grille d’un confessionnal. Ainsi le XVIe, avec les guerres de religion, serait celui de la colère, le XVIIe traversé par les ravages du jansénisme, celui de l’orgueil. La luxure du marquis de Sade et le triomphe du libertinage collent à la peau du XVIIIe quand les révolutions égalitaires du XIXe, en même temps que la frénésie industrielle, renvoient au péché d’envie. Au XXe siècle, l’argent-roi devient toujours plus immatériel, le krach de 1929 comme les dérives de la société de consommation n’y feront rien : voici venu le siècle de l’avarice. A l’aube de la nouvelle année, et de notre XXIe siècle qui n’en est qu’à ses débuts, nous pouvons légitimement, pour clore cette sombre déclinaison, nous demander si le péché de paresse n’est pas celui de notre époque qui trouve fatigant le fait d’avoir raison, et dont le relativisme ambiant apparaît l’aveu terrible.
Fort de cet examen de conscience historique, il nous appartient de nous arrêter sur la nôtre. Quels sont nos états d’âme en ce début janvier ? Voilà une question pertinente, car année après année, défaite après défaite, nous pouvons nous repaître que, depuis 1789, tout aille mal. De la virée de galerne aux collines de Dien-Bien-Phû, du 6 février 34 aux manifestations roses et bleues, des espoirs déçus aux inexorables plafonds de verre, que notre famille de pensée ait été vaincue dans l’honneur ou qu’elle se soit trouvée aux portes de la victoire mais trahie ou mal accompagnée, il arrive que certains répètent à l’envie, lors des repas de famille, que notre monde craque de toute part, qu’il l’a bien mérité et que, finalement, c’est bien fait pour lui. Ainsi la crise générale secoue notre temps de bonnets rouges hier, de gilets jaunes aujourd’hui, de nuages noirs demain. Ah vraiment : si le quotidien est incertain, force est de reconnaître surtout que l’avenir n’est pas à la mode ! Proposerions-nous donc, comme d’autres, de le réduire légalement ?
Eviter les écueils du pessimisme
Le poison du découragement, Jacques Bainville en avait déjà pointé l’origine dans son Histoire des trois générations, en ouvrant son chapitre VIII avec cette citation du Duc d’Audiffret Pasquier : « Nous avez-vous seulement légué des embarras, des douleurs et des désastres ? Non, vous avez fait pire encore. Vous nous avez légué la démoralisation. »
A l’abordage de l’année 2019, évitons les écueils du pessimisme et le naufrage du désespoir. Plutôt que des grincheux aux soupirs stériles, prenons au contraire la résolution d’être de ces âmes trempées. Celles qui savent qu’elles ont un trésor à offrir et un patrimoine merveilleux à transmettre. La courtoisie, qui fonde les bonnes manières. La noblesse, qui incarne la droiture dans le regard et la bienveillance dans les propos. La curiosité, qui donne à l’observation du monde un appétit de la vie et de son Créateur. L’appréciation du silence, propre à la justesse de la réflexion. Le goût de la lecture, qui nous rend reconnaissant à l’endroit de ceux qui nous ont précédés et qui, avant nous, ont souffert, réfléchi et aimé. La charité intégrale, qui consiste à voir dans son prochain un frère à enrichir du Christ.
2019, déjà ! Chaque 1er janvier nous donne l’occasion de réaliser, comme l’écrit de façon charmante Pagnol, que « le temps passe, et qu’il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins ». Mais à quoi sert un moulin si, justement, il n’a rien à donner ? Qu’il s’agisse de plaquages dans un match de rugby ou de coups de canon lors d’une bataille navale, l’adversité de la vie nous apprend qu’il importe davantage de donner que de subir ; de se donner que de se retenir. Et c’est aussi valable pour l’amour et l’enthousiasme. Nous pouvons attendre toute une vie, assis sur le banc de notre tiédeur, que l’un ou l’autre finisse par arriver, au risque de terminer seul en gare… La vérité évangélique nous rappelle que nous ne sommes pas ici-bas pour attendre, mais pour nous consumer. Pas dans ce monde pour nous plaindre qu’il n’ait pas de goût, mais pour en être le sel. Plus que de lui donner la leçon, il s’agit de lui donner du feu. Un feu sans artifices.