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L'Eglise : L'Eglise en France

Le pèlerinage de Chartres et la question pastorale

Le pèlerinage de Chartres et la question pastorale

De Cyril Farret D’Astiès pour Le Salon beige :

Les pèlerinages de Chartres ont rencontré cette année encore un beau succès. Rendons grâce à Dieu et remercions les organisateurs.

L’esprit traditionnel progresse et se diffuse. Traditionis custodes demeure globalement inappliqué quelles que soient les différentes positions des autorités religieuses à l’endroit de l’héritage liturgique commun. Ainsi, l’affaire de Quimper, Dieu merci, demeure un cas relativement isolé. Au-delà de tout ce qui a été dit et écrit, cette réaction empreinte d’un certain cléricalisme (pourtant unanimement dénoncé) est révélatrice de l’incompréhension fondamentale qui divise le catholicisme depuis plusieurs décennies. Cette incompréhension réside en grande partie dans le primat pastoral qui est devenu une fin en soi.

Selon le site de l’Église catholique de France, la pastorale est

« l’activité, née du dynamisme de la foi de l’Église, qui vise à donner à chacun selon ses besoins spirituels. Aujourd’hui se développe, à côté d’une pastorale générale qui définit les grands axes de l’action (dans un diocèse par exemple) des pastorales spécialisées, tourisme, malades, immigrés etc.. ».

Ors, vis-à-vis des catholiques de tradition, il n’est pas toujours envisagé de donner « à chacun selon ses besoins spirituels », il est peu question de prendre en compte « l’activité, née du dynamisme de la foi de l’Église ». Il s’agit parfois d’imposer un modèle pastoral par la force ou par la ruse (l’abbé Amar parle de mesquinerie dans une récente tribune). Et cette pastorale imposée — et par ailleurs souvent faillie — résulte d’une méconnaissance ou d’un déni envers la nécessaire cohérence entre liturgie traditionnelle (qui n’est pas de l’ordre de la pastorale insistons-nous) et les conséquences pédagogiques qui découlent de cette tradition liturgique (type de scoutisme, catéchisme sous forme de questions – réponses, grandes écoles de spiritualité, civilité, modalités des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles, pédagogies scolaires…).

Ce qui est profondément déroutant c’est que la réforme liturgique avait été menée pour une raison essentiellement pastorale. On voulait en effet modifier le culte par l’idée (conceptuelle, intellectuelle, sociologique…) que l’on se faisait des attentes du peuple. On promettait en échange de cet aggiornamento de faire jaillir un printemps dans l’Église ; on allait voir ce que l’on allait voir !

On a vu.

Sacrosanctum concilium, constitution sur la liturgie et premier document promulgué du concile, annonçait en son numéro 49 :

« C’est pourquoi, afin que le sacrifice de la messe, même par sa forme rituelle, obtienne une pleine efficacité pastorale, le saint Concile, à l’égard des messes qui se célèbrent avec le concours du peuple, surtout les dimanches et fêtes de précepte, décrète (…). »

Les grandes révisions envisagées étaient ensuite précisées (prière universelle, langue vernaculaire, concélébration, communion sous les deux espèces…). Dans un entretien donné au quotidien La Croix à l’occasion des trente ans du nouveau missel, le père Jounel, acteur important de la réforme, insistait sur ce motif pastoral : « J’ai ainsi parcouru la France, à cette époque, pour montrer qu’il s’agissait d’adapter la liturgie aux besoins actuels de la pastorale. » Paul VI lui-même, dans un fameux discours de présentation du nouveau rit le 26 novembre 1969, expliquait ses choix :

« Nous voulons encore une fois vous inviter à réfléchir sur cette nouveauté que constitue le nouveau rite de la messe (…). Et pourquoi ? (…) La réponse semble banale et prosaïque, mais elle est bonne, parce que humaine et apostolique. (…) Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui, qui veut qu’on lui parle clairement, d’une façon intelligible qu’il puisse traduire dans son langage profane. (…) »

On ne peut que regretter cette perte généralisée du sens liturgique qui, rappelons-le encore et encore, est d’abord et essentiellement un culte. Il semble que cette place prépondérante donnée à la pastorale était très largement partagée au mitant du XXe siècle, ce qui explique certainement le peu d’opposition à la réforme de la Semaine sainte par Pie XII ou la massive approbation de Sacrosanctum concilium en 1963. Le Mouvement liturgique avait si profondément labouré l’Église que plus personne ne semblait faire sienne la compréhension de la liturgie d’abord comme expression de la vertu de religion. C’est d’ailleurs le bénéfice de cette crise que de nous faire redécouvrir le sens profondément surnaturel de la liturgie à rebours d’un matériau pastoral. Mais n’approfondissons pas ici aujourd’hui les questions théologiques qui fondent notre attachement irrévocable à la liturgie traditionnelle, poursuivons sur les conséquences pastorales. Disons simplement que les luttes âpres qui traversent l’Église depuis 60 ans ne peuvent s’expliquer avec la clé de compréhension de la sensibilité ou de la pastorale. L’enjeu est bien plus profond.

Incontestablement cependant, ce sont souvent les aspects extérieurs, les pédagogies traditionnelles de la foi, qui attirent d’abord vers la liturgie traditionnelle. Pourtant, avec le temps, la compréhension plus profonde, plus spirituelle, moins identitaire (ou plus justement identitaire) prennent le dessus au fur et à mesure que la liturgie traditionnelle, par le génie de ses antiques et nobles prières, de ses gestes patinés, du cycle des ans, façonne notre âme de fils de l’Église. Au fur et à mesure que croît la compréhension plus juste de ce qu’est réellement la liturgie (et de tout ce qui en découle, qui en ruisselle, qui en jaillit plus exactement), l’attachement « sensible » cède la place à une véritable spiritualité liturgique que rien ni personne ne peut plus supplanter. Nourris par ce culte public rendu par le Christ à son Père et auquel nous sommes associés par l’Église, déjà initiés à la liturgie céleste, les besoins pastoraux s’effacent, ou restent à leur place fonctionnelle. Mais cette maturité spirituelle ne se décide pas et nous avons besoin pour l’atteindre d’une cohérence pastorale pour irriguer nos vies de baptisés.

Plus de 60 ans après cette révolution pastorale « pour le peuple », fort curieusement, on dénie en certains lieux aux catholiques de tradition la possibilité de vivre d’une pastorale spécifique. L’inversion est telle que les praticiens de la réforme se comportent parfois aujourd’hui en défenseurs inconditionnels de leur idée pastorale comme s’il s’agissait désormais d’une vérité révélée (la dernière et unique d’ailleurs en certains lieux), alors qu’elle n’est au mieux qu’une pédagogie, parfois un management. Non seulement on aimerait grandement comprendre en quoi les rites qui ont été supprimés avec le missel de Paul VI étaient mauvais ou dangereux pour la piété des fidèles et contraires à la Vérité ; mais on aimerait aussi que l’on nous explique pourquoi les pratiques pastorales traditionnelles sont les seules à susciter défiance et suspicion.

Dieu merci, la charité et le pragmatisme prévalent dans bien des diocèses et le Bon Dieu protège la liturgie traditionnelle.

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