Alors que le pèlerinage de Chartres connaît un nouveau succès puisque, en dépit de l’accroissement des moyens, les inscriptions ont été fermées plus d’un mois avant la Pentecôte, sort prochainement le nouveau livre de Rémi Fontaine “L’appel de Chartres !” aux éditions Via Romana.
Cet ouvrage retrace l’esprit originel, les fondements et les finalités du Pèlerinage de Chrétienté au cœur de la crise de l’Eglise.
Voici la préface, rédigée par l’abbé Jean de Massia (FSSP), aumônier général de Notre-Dame de Chrétienté :
Au-dessus du portail sud de la cathédrale de Chartres, quatre vitraux en forme de lancettes proposent au pèlerin attentif une scène étonnante. On y voit les quatre évangélistes, juchés sur les épaules des quatre grands prophètes de l’ancien testament ; illustration profonde de cette formule célèbre de saint Bernard de Chartres :
« Nous sommes des nains assis sur les épaules des géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas parce que nous sommes plus grands, c’est parce que nous sommes élevés par eux. »
Image évocatrice de la tradition (de tradere : transmettre), et de la dette qui nous lie envers ceux qui nous ont, selon le mot de saint Paul, transmis ce qu’ils avaient reçu.
Transmettre. Tel est bien le propos de ce recueil qui permet aux jeunes générations de Chartres d’avoir accès aux intuitions fondatrices du pèlerinage de Chrétienté depuis sa création en 1983, à travers le regard et la plume de l’un de ses fondateurs, Rémi Fontaine.
Transmettre. Tel était surtout l’objectif premier de ces primo-pèlerins historiques en lançant cette œuvre de résistance respectueuse mais tenace face à « l’amnésie de l’éternel» vers laquelle s’enfonçait la société, dans le silence assourdissant d’une certaine hiérarchie ecclésiale. « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? ». Le pèlerinage est né de cet appel du pape au Bourget en 1980. Contre les partisans de la rupture qui n’assumaient plus le passé doctrinal, moral et liturgique de l’Église, ou refusaient de le voir s’incarner dans la chrétienté d’une nation, bradant ainsi deux mille ans de christianisme et mille cinq cents ans de France chrétienne, le pèlerinage de Chartres a voulu simplement rester fidèle à la vocation du chrétien : Tradition, Chrétienté, Mission.
L’histoire du pèlerinage s’incarne dans des noms, qui claquent dans les mémoires telles des bannières au vent : Charles Péguy, Henri et André Charlier, le Père Emmanuel, Dom Gérard, l’abbé Montarien, Jean Madiran, Gustave Thibon… et tant d’autres, cités dans cet ouvrage. Ce furent des figures de foi, avec la passion et l’ardeur des témoins. « Nous tenions, nous aussi, violemment, à certaines choses plus qu’à la vie… » Mais ce furent aussi des penseurs de la chrétienté, héritiers de la lumière du thomisme vivant, qui ont posé les jalons essentiels pour guider l’action des hommes en période de crise. Dans un siècle gagné par la confusion des idées, Rémi Fontaine nous montre par son récit et nous démontre par ses réflexions comment une saine et solide formation intellectuelle peut féconder une œuvre concrète dans la durée. Son livre est un encouragement, pour les cadres de Notre-Dame de Chrétienté et plus largement pour toute personne désireuse d’évangéliser, à former droitement son esprit pour diriger droitement son action.
Certains s’étonneront, voire seront choqués, en découvrant les principes fondateurs du pèlerinage. Les mots militant, politique, résistant, combat, traditionnel, dissidence, composent la colonne vertébrale et l’identité du « pélé » depuis son origine. Ils y côtoient les termes de pénitence, conversion, prière, mission… C’est tout l’équilibre entre le spirituel et le temporel. Oui, Notre-Dame de Chrétienté est une œuvre de laïcs chrétiens militants qui pensent que la terre a besoin d’être irriguée par le Ciel pour être un bon escabeau vers lui, et que le Christ doit régner non seulement dans nos pauvres âmes mais aussi dans les institutions publiques et les nations.
Par ailleurs, on ne comprend rien au pèlerinage si l’on refuse de voir la crise que traverse la société et l’Église, ou si l’on s’en accommode comme un fait intangible et finalement pas si grave.
Le pèlerinage veut être, depuis 1983, une « opposition nationale et chrétienne au régime de l’apostasie officielle » [Jean Madiran]. Non par la critique amère, désabusée et triste d’un camp retranché la veille de sa défaite : mais par la fidélité joyeuse, pleine d’espérance et missionnaire d’une jeunesse lucide dont l’idéal est Jésus-Christ. Or la vérité de Jésus-Christ, ce n’est pas un scoop, a toujours été à contre-courant du monde. Que le chrétien soit un réactionnaire, ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que certains chrétiens ne le soient plus, et reprochent à leurs frères de l’être, tétanisés qu’ils sont par la peur, l’amour de leur tranquillité et le besoin de plaire où de ne pas choquer. Mais Péguy nous le dit : « tout chrétien est aujourd’hui un soldat : le soldat du Christ. Il n’y a plus de chrétien tranquille » : il ne peut y avoir de chrétien mondain.
La plus grande des charités est de dire la vérité et d’annoncer Jésus-Christ, et tout Jésus-Christ, à contre-courant de la confusion doctrinale qui sévit durement et qui perd les âmes. Les besoins de la cause – témoigner clairement de la Vérité – ont naturellement orienté le choix des fondateurs vers la liturgie traditionnelle, patrimoine indisponible de l’Église, comme vers un phare lumineux et sûr au milieu des tempêtes que traversait – et traverse encore – la barque de Pierre. Ces choix allaient de pair avec un attachement et un respect sincère pour la hiérarchie ecclésiale, malgré les refus, brimades et portes fermées. Cet équilibre, inconfortable comme l’est la Vérité, est l’ADN du pèlerinage de Chrétienté, que ce soit en 1983, en 1988, ou en 2023 : l’histoire ici racontée le démontre amplement.
Seraient-ce là seulement des combats passés entretenus par quelques vieux nostalgiques aigris qui n’entendent rien aux aspirations des jeunes ? Qu’on regarde le réel, plus important que l’idée – et que l’idéologie. Ils partirent 500, 1000 ou 2000 vers Chartres en 1983 ; ils sont 16000 désormais, pèlerins de chrétienté. La jeunesse d’aujourd’hui qui vient à Chartres n’a peut-être pas la même homogénéité que celles des fondateurs, et c’est pour nous une fierté, car le pèlerinage, étant de chrétienté, est tout sauf un ghetto refermé sur lui-même : il rayonne, comme la joie qui anime ses chapitres. Cette joie cependant n’est pas une joie factice, fondée sur de faux optimismes, des naïvetés benoîtes, ou des excitations vulgaires et passagères comme en proposent aujourd’hui tant de rassemblements de jeunes. A Chartres nous souffrons, nous prions, nous méditons, nous disons aux pèlerins ce qui ne va pas dans le monde mais aussi dans l’Église, et pourtant ils repartent le sourire aux lèvres et la paix dans l’âme, prêts à répandre le feu de la Pentecôte, parce que leur joie est ancrée dans le Christ qui lui ne change pas. Miracle de petite vertu espérance, celle des premiers chrétiens et des martyrs, qui n’est jamais aussi lumineuse que dans les temps de crises et de persécutions, tant que Jésus reste au cœur de notre message et que la Vierge Marie est aimée.
« Est-ce que ça suit, monsieur l’aumônier ? » C’est l’interrogation que nous lancent nos pères, ceux qui
loin de vouloir améliorer le christianisme l’ont simplement gardé et tenu comme on porte la bannière en tête de chapitre. L’aumônier d’aujourd’hui, fier neveu d’un fondateur du pèlerinage, est heureux de lui répondre : « Ne craignez rien, cher Rémi, cher oncle : ça suit. » Et pour que ça suive encore mieux, il est essentiel que la jeune relève ait l’humilité de grimper sur les épaules des anciens plutôt que de vouloir réinventer l’eau chaude à chaque génération, ce qui est au fond le péché d’orgueil de notre époque déracinée ; et pour cela, qu’ils se forment, et se retrempent dans l’esprit des origines, non pour cultiver stérilement le passé, mais pour semer les graines de l’avenir. C’est l’objectif de cet ouvrage.
Abbé Jean de Massia
Aumônier de Notre-Dame de Chrétienté